Clément Colson (X 1873) vice-président du Conseil d’État et professeur d’économie politique sous la IIIe République
Clément Colson est un de nos grands anciens à la carrière remarquable quoique méconnue. Conseiller d’État détaché dans le corps des Ponts, il a présidé en fin de carrière la Haute Assemblée. Mais il fut aussi un éminent professeur d’économie politique, d’abord dans les débuts d’HEC, puis à l’École des ponts, à Sciences Po et enfin à Polytechnique.
(Léon) Clément Colson entre treizième à l’École polytechnique en 1873 (le major était Henri Poincaré, le futur mathématicien). Né à Versailles le 13 novembre 1853, il est le fils d’un directeur des contributions directes de la Seine et le neveu de Paul Amédée Audibert (X 1847), qui poursuit une très brillante carrière administrative (inspecteur des finances, directeur des contributions indirectes au ministère des Finances, il deviendra procureur général près la Cour des comptes en 1880 et mourra en fonctions en 1886). Clément Colson entre dans le corps des Ponts et Chaussées, mais l’attrait de l’administration et l’influence familiale l’incitent à passer sa licence en droit pendant l’école d’application, puis à tenter (et réussir) le concours d’entrée au Conseil d’État de l’automne 1878.
À la jonction du technique et de l’administratif
Nommé auditeur à compter du 1er janvier 1879, Clément Colson devient – possiblement par l’entremise de son oncle Audibert – dès mai suivant sous-chef, puis chef de cabinet (février 1881) du ministre des Travaux publics, Charles de (Saulces de) Freycinet (X 1846), homme politique de premier plan de la IIIe République (il fut quatre fois président du Conseil entre décembre 1879 et février 1892, pour un total respectable dans ce régime de 48 mois, mais il sera ensuite une victime collatérale de l’affaire de Panama).
Une première loi du 18 mars 1878 avait imposé son idée d’un ambitieux programme d’investissements de travaux publics ; dans un second temps, un rapport de juin 1879, auquel on peut penser que le jeune Colson a contribué, déboucha sur la loi du 17 juillet 1879, dite plan Freycinet. Celle-ci affectait, à titre principal, 3 milliards de francs-or pour le chemin de fer, avec 16 000 km de voies nouvelles dont 8 848 km d’intérêt local, visant à relier toutes les sous-préfectures et le maximum de chefs-lieux de canton. Ce vaste programme sera presque achevé en 1914, même si ses effets macroéconomiques resteront discutés, après un démarrage contracyclique judicieux, en période de marasme économique relatif (phase mondiale descendante du cycle Kondratieff, de 1873 à 1895).
Clément Colson poursuit un cursus à l’intersection de la technique et de l’administratif, devenant maître des requêtes détaché dans le corps des ingénieurs des Ponts, une singularité rare ! Il se spécialise dans les chemins de fer, la grande priorité d’équipement d’infrastructure de l’époque, visant à décloisonner par un financement étatique le monde rural sinon à le rallier à la République, à une époque antérieure à l’automobile.
Nommé adjoint du directeur des routes, chemins de fer et canaux, Alfred Picard (X 1862, cet ingénieur des Ponts entrera au Conseil d’État au tour extérieur en 1882, deviendra président de section puis brièvement vice-président de la Haute Assemblée, entre le 27 février 1912 et son décès le 8 mars 1913), il en devient logiquement le successeur en février 1894. Mais avec son caractère entier, défendant de manière opiniâtre ses convictions, il se heurte à son ministre et démissionne l’année suivante. Il reste passionné par le mode de transport ferroviaire et occupera ultérieurement la fonction d’inspecteur général des Ponts et Chaussées (de deuxième classe en 1908, puis de première classe en 1912), après la parution en 1907de son Abrégé de la législation dans les chemins de fer et les tramways.
Un enseignant-chercheur à la tête du Conseil d’État
Retourné au Conseil, promu conseiller d’État dès 1897, il devient un membre influent de la section des Tavaux publics en raison de son activité d’enseignant-chercheur. Après la Grande Guerre, il prend en 1920 la présidence de la section des finances de la Haute Assemblée. Tardivement, à 70 ans, il en devient pour un quinquennat le responsable en qualité de vice-président de 1923 à 1928, couronnement de sa carrière administrative comme premier fonctionnaire de l’État. On rappelle que, symbole de la soumission de l’administration au pouvoir politique, c’est un ministre, traditionnellement le garde des Sceaux, qui est le président nominal du Conseil d’État ; la fonction de vice-président est placée protocolairement au premier rang de la hiérarchie administrative.
“Une profonde influence dans les sphères dirigeantes.”
Parallèlement en effet, Clément Colson développe une intense activité d’enseignement et de réflexion économique. Dès 1885, il professe les transports, pendant vingt ans, aux élèves de la jeune École des hautes études commerciales (fondée en 1881). Il publie en 1889 un livre sur La garantie d’intérêts et son application à l’exécution des travaux publics, approfondissant la réflexion sur les monopoles, s’intéressant à la formation des prix et des salaires, en s’appuyant sur les données de construction des gares. À partir de 1892 il délivre, et pendant près de quarante ans, un cours vite réputé d’économie politique à l’École des ponts.
En 1905 il est chargé de transformer le cours de circulation nationale en une vraie chaire d’économie politique, à l’École libre des sciences politiques de la rue Saint-Guillaume. Élu à l’Académie des sciences morales et politiques (section d’économie politique, statistique et finances) en 1910, qu’il présidera en 1922, il accepte, pourtant sexagénaire, en 1914, d’enseigner l’économie à Polytechnique pour une quinzaine de promotions, jusqu’en 1928.
Le maître de Jacques Rueff
Il se soucie de prolonger sa réflexion économique en formant des disciples et en les plaçant dans de grandes institutions : ainsi François Divisia (X 1909), trente ans professeur au Cnam, qui lui succédera comme enseignant à l’X ; ou René Roy ; et le plus connu, Jacques Rueff (X 1919S) au très brillant cursus administratif comme politique, figure de proue de cette pépinière d’ingénieurs-économistes que promeut Clément Colson. S’il est en la matière profondément libéral, croyant dans les vertus du marché, il s’écarte de l’école de Vienne en ne rejetant pas l’intervention de l’État, en tant que régulateur et disposant par les règles juridiques du pouvoir coercitif. Il incline au développement de la théorie du service public, dans le fil de la conception développée par le Conseil d’État au cours du premier tiers du vingtième siècle.
Soucieux de la dimension psychologique dans l’analyse économique comme paradoxalement d’un essor de l’économétrie mathématique dont il préside l’association, il sera un distingué président de la SEP (société d’économie politique), alors cénacle réputé de réflexions et d’échanges sur les sujets économiques et sociaux. Sa profonde influence dans les sphères dirigeantes sera mise en lumière lors de son soutien à la dévaluation du franc par Raymond Poincaré en 1928, puis lors de la parution sous sa houlette de l’ouvrage collectif La situation financière de la France (1926).
Chevalier de la Légion d’honneur dès 1881, fait officier par Alfred Picard en janvier 1895, il est promu commandeur en 1919, puis élevé à la dignité de grand officier en 1923. La base « Léonore » montre qu’il serait devenu grand-croix en 1929, lors de sa tardive retraite. Veuf depuis 1905 avec une seule fille comme héritière, cet agnostique qui n’était pas franc-maçon meurt le 24 mars 1939. Notons que Clément Colson aura donc eu un camarade et successeur à la tête du Conseil d’État, en la personne de Didier-Roland Tabuteau (X 78) nommé en janvier dernier.