Collaborations franco-chinoises sur l’étude du climat
Le Laboratoire de météorologie dynamique (LMD commun à l’X, ENS, Sorbonne Université et CNRS) entretient des collaborations avec la Chine de longue date. Laurent Li l’a rejoint en 1985 et évoque dans cet entretien les liens qui unissent institutions chinoises et françaises sur le climat.
Laurent Li, pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours au sein du LMD ?
Je suis né et j’ai grandi à Dengzhou dans la province du Henan. J’ai effectué mes études universitaires à Nanjing, l’ancienne capitale de la Chine. J’ai rejoint le LMD en 1985 grâce à une bourse de thèse, thèse que j’ai passée en 1990 sur les premiers modèles climatiques. Vu les capacités de calcul de l’époque, on ne pouvait encore modéliser le climat que très grossièrement, sur un tiers de la Terre seulement, c’était bien insuffisant ! En 1991, j’ai rejoint le CNRS en tant que chargé de recherche, et mes études sur le climat et le changement climatique continuent donc au LMD. Ma recherche a contribué aux différents rapports du Giec depuis les années 1990. J’ai été nommé directeur de recherche au CNRS en 2006.
Le LMD créé en 1968 est pionnier sur la modélisation de l’atmosphère terrestre, et des atmosphères planétaires. Le modèle atmosphérique, LMDZ, développé et continuellement mis à jour au LMD, est utilisé en recherche climatique par une large communauté scientifique en France et à l’étranger. Il est la composante atmosphérique du modèle couplé IPSL (de l’Institut Pierre-Simon-Laplace) qui modélise le climat avec une approche du système Terre qui prend en compte le couplage et les interactions parmi l’atmosphère, l’océan, la terre émergée, la neige et la glace, et la végétation.
Quelles sont les collaborations du LMD avec les laboratoires de recherche chinois ?
Le LMD travaille actuellement avec trois principales institutions en Chine, chacune de nature assez différente, et assez complémentaire en fin de compte.
La première collaboration, avec l’université spécialisée de météorologie de Nankin (NUIST), Nanjing University of Information Science and Technology, porte sur le changement climatique, la régionalisation du changement climatique en Chine, les événements climatiques extrêmes (fortes précipitations et sécheresses), et l’évaluation des scénarios 1,5 °C et 2 °C, réchauffements globaux ciblés par l’Accord de Paris sur le climat, conclu en 2015.
La deuxième collaboration est avec la prestigieuse université multidisciplinaire de Pékin, Beida (Beijing Daxue) et porte sur les sujets plus transversaux, tels que les scénarios d’émissions, l’écologie, l’impact sociétal, l’économie, le reboisement, etc.
La troisième collaboration est avec la CMA, la China Meteorological Administration, l’organisation homologue de Météo-France, mais outre des missions de service public, la CMA possède un réseau de laboratoires de recherche, dont le Beijing Climate Center (BCC) qui développe également un modèle couplé océan/atmosphère/carbone. La collaboration est pilotée par le haut, par l’État chinois, qui a décidé il y a une dizaine d’années de participer activement au Giec. La CMA dispose bien évidemment de beaucoup de données sur le vaste territoire de la Chine, et de beaucoup d’expertise sur le climat régional.
En réalité, la recherche climatique est très riche en Chine, car plusieurs autres laboratoires chinois travaillent également sur ces sujets, souvent plus en compétition entre eux qu’en collaboration.
Pouvez-vous donner un exemple de résultat de collaboration ?
Une étude menée en collaboration avec Beida a donné lieu à une publication conjointe Afforestation in China cools local land surface temperature parue au PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America). Une autre étude, plus récente, parue au journal Science Advances, portait sur le sujet Divergent hydrological response to large-scale afforestation and vegetation greening in China. Ces deux travaux de recherche étudiaient l’impact des grands programmes de reforestation en Chine sur la température et le cycle hydrologique des régions reboisées. En effet, si le stockage de carbone par les forêts ralentit le réchauffement climatique global de la planète, l’effet thermique local met en jeu d’autres processus physiques : d’une part le réchauffement de la température de surface en raison d’une augmentation de la chaleur absorbée (la couverture végétale de la forêt est plus sombre que les prairies et les champs cultivés), et d’autre part, le refroidissement du feuillage par évapotranspiration. Cet effet conduit à un refroidissement des forêts tropicales mais à un réchauffement des forêts boréales (toundra). L’étude a montré qu’en ce qui concerne la Chine le bilan de ces deux effets contraires conduit à un léger refroidissement local. On peut en conclure que la reforestation en Chine a un effet modérateur non seulement sur le plan du réchauffement climatique global, mais aussi pour la température locale. La reforestation accélère aussi le cycle hydrologique en augmentant le taux d’évapotranspiration et celui des précipitations dans certaines régions.
“Le déclin des deux dynasties impériales
les plus puissantes de l’histoire de la Chine
correspondait aux périodes de faible mousson d’été en Chine”
Quelles sont les caractéristiques fondamentales du climat en Chine ?
Le climat en Chine est gouverné par le régime de la mousson sud-est asiatique, qui impacte aussi la Corée et le Japon. C’est un régime particulier, différent du régime de mousson tropicale en Inde et en Afrique de l’Ouest. La mousson sud-est asiatique fait alterner une mousson d’hiver, donnant lieu à un climat sec et froid, et une mousson d’été, donnant lieu à un climat chaud et humide. En été, la mousson se matérialise par un front quasi stationnaire entre les masses d’air du sud et du nord de la Chine. Ce front, certes quasi stationnaire, présente un mouvement de migration (souvent chaotique) vers le nord avec l’avancement de l’été. La zone étroite et allongée de fortes précipitations en relation avec le front suit ce mouvement du sud vers le nord. Le mouvement de ce front et de la zone de précipitations associée est très variable selon les années, ce qui donne lieu à une grande variabilité des précipitations. Cette forte variabilité climatique constitue un défi sociétal à relever pour les populations qui habitent dans cette région. Dans le passé, quand les sociétés étaient encore très agricoles, on peut raisonnable penser que la variabilité de cette mousson sud-est asiatique a joué un rôle encore plus important.
Ce n’est peut-être pas une pure coïncidence que le déclin des deux dynasties impériales les plus puissantes de l’histoire de la Chine, celle des Tang de 618 à 907 et celle des Ming de 1368 à 1644, correspondait aux périodes de faible mousson d’été en Chine. Des sécheresses catastrophiques dans la vaste plaine en Chine du Nord s’ajoutaient aux problèmes politiques du moment.
Une autre remarque historique sur le climat concerne le tracé de la Grande Muraille, en fait des grandes murailles construites successivement par les différentes dynasties, la première remontant à 221 av. J.-C. à la dynastie Qin, unificatrice de la Chine mettant fin à la guerre des Royaumes combattants. Son tracé correspond à la ligne d’isoprécipitation de 200 mm annuels. Au nord, les pluies sont trop rares pour permettre une vie sédentaire basée sur l’agriculture. C’est donc la région des nomades, celle des Xiongnu qui combattaient la dynastie Han du temps de Jésus-Christ, celle des Mongols de Gengis Khan qui ont envahi la Chine et fondé un empire immense.
Est-il plus difficile de faire des prédictions climatiques pour une région comme la Chine que pour l’ensemble du système Terre ?
Les projections climatiques régionales sont très difficiles avec les modèles actuels basés sur des maillages de calcul dont la résolution est de l’ordre de 100 km. La variabilité climatique régionale en Chine est énorme, ce qui augmente considérablement les difficultés de faire une prévision ou une projection du changement climatique dans cette région. Il semble, néanmoins, que le réchauffement global du climat pourrait modifier
le régime de la mousson en augmentant les pluies
au nord et les diminuant au sud. Pour pouvoir obtenir des conclusions plus solides, il faut augmenter la résolution des modèles, une première étape en cours étant un maillage de 20 km, mais idéalement il faudrait descendre à un maillage de quelques kilomètres. Cela suppose aussi de densifier les points de mesure sur le territoire ce qui est très coûteux. Enfin, il faut aussi faire des progrès sur la connaissance des phénomènes physiques en jeu dans le système climatique, notamment sur les nuages, la couverture végétale, les processus du sol, les aérosols dans l’atmosphère, et le rôle du plateau tibétain dans la variation du climat régional.
Pour mener toutes ces études à bien, les laboratoires chinois, notamment le BCC du CMA, disposent de moyens importants, que ce soient des supercalculateurs ou des soutiens financiers. Mais je pense que le LMD peut aussi y jouer un rôle important avec ses riches expertises en matière de modélisation du climat global et régional. D’autre part, le LMD est aussi très avancé dans l’observation de la Terre depuis l’espace. Depuis une quinzaine d’années, la Chine a lancé plusieurs programmes d’observation spatiale et a acquis de très nombreuses données scientifiques. Je pense que le LMD pourra faire de belles études si on arrive à exploiter ces données chinoises.
Que voudriez-vous dire à nos jeunes diplômés de l’X intéressés par la recherche ?
La collaboration du LMD avec ces trois entités de recherche chinoise (CMA, Beida, NUIST) représente une superbe opportunité de stages pour les élèves de l’X qui voudraient se spécialiser dans la recherche climatique !
Propos recueillis par Francis Charpentier (75)