Colloque AX-HEC Alumni : Comment créer des licornes en Europe ?
En organisant le 29 novembre dernier un colloque conjoint, l’AX et HEC Alumni ont marqué leur volonté de voir s’instaurer une collaboration étroite entre les deux écoles à l’heure où se met en place le projet NewUni. Le thème retenu s’y prêtait particulièrement vu l’importance accordée par ces deux établissements à l’entrepreneuriat.
Ce colloque a attiré une assistance à la fois nombreuse et particulièrement jeune dans l’hémicycle du CESE au palais d’Iéna. En ouvrant la séance, Bruno Angles (84), président de l’AX, a souligné la portée symbolique de l’événement – le rapprochement X‑HEC –, puis a invité Denis Lucquin, président de Sofinnova Partners, à fixer un cadre au débat du jour : comment faire pour que, parmi les centaines de start-up qui voient le jour chaque année en France et en Europe, émerge un nombre significatif de licornes, ces sociétés récentes et non cotées en Bourse dont la valeur dépasse le milliard de dollars ? Ce dernier a beaucoup insisté sur le fait qu’au-delà du contexte dans lequel évoluent les entreprises, le marché, l’écosystème, l’environnement financier…, c’est l’ambition des fondateurs qui est déterminante.
L’ambition de créer du nouveau
Cette question de l’ambition a été le fil directeur de la première table ronde animée par le premier orateur. Elle a rassemblé deux créateurs d’entreprise et deux investisseurs : le docteur Pierre-Henri Benhamou cofondateur et dirigeant de DBV Technologies qui développe de nouveaux traitements basés sur l’immunothérapie contre les allergies alimentaires ; Quentin Soulet de Brugière (M 2015), cofondateur de Dreem, société qui ambitionne de diagnostiquer et traiter les troubles du sommeil ; Isabelle de Cremoux, présidente du directoire de Seventure, société d’investissement gérant 700 millions d’euros et s’intéressant principalement au microbiome ; et enfin, Jean-Marc Patouillaud, managing partner de Partech Ventures, fonds de capital-risque. Ils ont été unanimes à souligner l’importance de l’ambition, non pas l’ambition personnelle mais celle d’un projet partagé par une équipe. Pour les investisseurs, l’adhésion collective au projet et la valeur de l’équipe l’emportent sur la pertinence de l’idée qui sous-tend le projet. L’ambition est aussi celle des investisseurs : sont-ils prêts à apporter assez d’argent et assez longtemps pour faire émerger des licornes ? Et comment la France et l’Europe peuvent-elles rivaliser avec la Silicon Valley, cet écosystème exceptionnel ? Envoyer des start-up françaises se frotter au marché américain et acquérir ainsi un label planétaire est une piste envisageable, pour autant qu’elles ne perdent pas leurs racines.
Le rôle de grands groupes
La deuxième table ronde animée par Lyes Ghamissou, président de Mcii et accompagnateur de start-up, s’est intéressée à l’apport des grands groupes au développement des jeunes entreprises. Stéphane Guinet, fondateur et directeur général de Kamet, un incubateur du monde de l’assurtech créé par AXA, Marie-Hélène Gramatikoff, qui a créé et dirige Lactips, une start-up qui conçoit des plastiques biodégradables et hydrosolubles, Georges Passet, ex-président de Bouygues Telecom Initiatives et Pierre-Étienne Roinat, cofondateur et président de Recommerce, société spécialisée dans le reconditionnement des smartphones ont débattu des avantages d’une coopération entre grands groupes et start-up. Pour ces dernières, c’est souvent vital car, à moins de procéder à des levées de fonds énormes, elles peuvent difficilement espérer prendre une position forte dans le marché du B2C. Leurs débouchés naturels sont donc beaucoup dans le B2B : le partenaire industriel apporte des compétences et des effets de taille. Par exemple, Recommerce a eu accès à un marché important de reconditionnement grâce à son partenariat avec Bouygues Telecom qui lui a amené une grosse clientèle. Et les grandes sociétés trouvent dans ces coopérations plus d’agilité et de créativité car ces partenariats leur permettent de s’affranchir des rigidités et contraintes internes.
Cela soulève la question de la forme du partenariat ainsi noué et en particulier d’une prise de participation des groupes dans les start-up. Les débatteurs se sont accordés à considérer que la relation de partenariat doit être essentiellement commerciale et que, si prise de participation il y a, il faut la limiter à 10 ou 20 %. À la question « pourquoi si peu de licornes en France ? », ils ont apporté un premier élément de réponse : les start-up doivent courir très vite pour garder leur avance et donc pouvoir trouver des relais financiers rapidement mis en place, alors que les processus de décision sont encore trop lents.
Créer et retenir des licornes
Emmanuel Chain a été le modérateur de la troisième table ronde qui a permis d’entendre Stéphane Boujnah, président du directoire d’Euronext, Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance, Frédéric Jousset, cofondateur de Webhelp et président d’HEC Alumni et André Muller CFO d’Actelion, une biotech suisse achetée pour 30 milliards de dollars par Johnson & Johnson en 2017. Des débats centrés sur la question : pourquoi et comment créer des licornes en Europe ? Sur la question du pourquoi, le premier argument avancé est celui de notre indépendance et du risque d’être victime du colonialisme numérique. À cela s’ajoute l’intérêt pour l’emploi, pour les investisseurs et pour les bénéficiaires des services – en particulier les patients dans le domaine médical. Se contenter d’acheter à l’étranger, c’est entrer dans une logique d’esclavage ; produire, c’est entrer dans une logique de liberté. La question du comment est plus difficile, car force est de constater que l’Europe des start-up et du numérique reste à créer : les écosystèmes sont fractionnés, il n’existe pas un gros pôle de liquidités et le marché, c’est vingt langues et encore plus de systèmes fiscaux ou juridiques. Autre handicap, le faible nombre de compagnies dont l’histoire nourrit des légendes : trois cents licornes aux USA et une trentaine en Europe (SAP, Dassault Systèmes…). Il y a toutefois des raisons d’espérer. Les jeunes sociétés ne limitent plus leur ambition à un marché mais ont une vision mondiale de leur avenir. Les acteurs des écosystèmes apprennent vite et progressent. Et des voies de progrès sont clairement identifiables : développer l’usage de l’anglais – qui doit être considéré comme une compétence et non une langue –, améliorer les conditions d’exploitation des masses de données (on peut s’interroger sur les effets de la RGPD), orienter l’épargne de façon très ambitieuse vers l’appareil productif (pourquoi pas via des fonds de retraite ?), décloisonner l’Europe.
Lever les tabous français
En conclusion de ces débats, Frédéric Jousset a souligné l’importance d’une ambition forte, qui soit non pas de l’arrogance mais une arme contre tous les obstacles à surmonter, une ambition qui nous aide aussi à lever tous les tabous qui paralysent ou freinent notre action. Il s’est également félicité de la qualité de ce colloque qui rapproche deux écoles ayant en commun une longue histoire et une culture de l’excellence, écoles qui doivent se réinventer face à la compétition mondiale.
Néolithe et Viibe à l’honneur
Les pauses qui ont marqué l’après-midi ont permis un concours de pitches. Dix jeunes entreprises, cinq fondées par des HEC et cinq par des X, ont eu quelques minutes pour présenter leurs projets et un jury a désigné le lauréat dans chacun de ces groupes. Bruno Angles a annoncé les résultats en clôture de la journée.
Le lauréat X est Nicolas Cruaud (2016), avec la société Néolithe qui développe des granulats écologiques pour la construction ; et côté HEC, c’est Marc Prempain avec ViiBE, un service de téléassistance augmentée.