Comédie sur un quai de gare
Aux envolées tribunitiennes des Pères fondateurs de la République, la gent politique préfère de nos jours les petites phrases. Les esprits chagrins sont parfois tentés d’y voir comme une baisse de tonus. Or voici que le théâtre y vient aussi. Faut-il y discerner le même signe ?
Sur un quai de gare se tiennent un soir trois personnages : un père et sa fille, un inconnu. Ils attendent le train n° 817 à destination de Paris – entre nous, cela ne peut arriver : les trains impairs viennent de Paris, et non l’inverse – mais peu importe cette remarque idiote car nous ne sommes pas au Théâtre Antoine, jadis temple du réalisme forcené. Ce train a du retard, ce qui, au contraire, arrive plus souvent qu’on le voudrait par les temps qui courent, mais peu importe encore. C’est au contraire nécessaire au déroulement de la pièce.
Durant leur attente, les trois personnages échangent de petites phrases, en rapport avec la situation dans quoi ils se trouvent. Le Père et la Fille vont à Paris pour tenter de s’engager dans des vies nouvelles, mais séparées, ce qui leur sera infiniment difficile : le père, veuf, a élevé seul sa fille depuis sa très petite enfance, et ils sont attachés l’un à l’autre par une tendresse profonde. Mais, comme dit le Père : Si nous continuons à vivre ensemble, tu finiras par devenir plus vieille que moi. L’Inconnu va aussi à Paris, lui pour y ouvrir un bar-tabac. Une idylle se noue entre lui et la Fille, sous le regard tour à tour approbateur et hostile du Père.
Tel est le contenu de Comédie sur un quai de gare, écrite et mise en scène par Samuel Benchérit, jouée par J.-L. Trintignant, le Père, sa fille Marie, la Fille, et P. Lizana, l’Inconnu.
M. Benchérit se montre un excellent metteur en scène. Dans un décor aussi dépouillé qu’un vrai quai de gare, garni de trois bancs, d’un Repère C et d’un haut-parleur, il fait évoluer les trois protagonistes en jouant avec une discrète habileté de leurs positions respectives sur les bancs, selon les sentiments, fluctuants, qui les traversent. Il a aussi de bonnes trouvailles de dramaturge : son idée, par exemple, de confier au haut-parleur non seulement les annonces de retard et autres nécessités ferroviaires, mais de lui attribuer en sus une fonction de confident du Père, demeuré un moment seul sur le quai. C’est inattendu, et saisissant.
Malheureusement, le même jeu recommence presque aussitôt avec la Fille, à son tour esseulée. Cela sent alors terriblement son procédé. On le regrette car les deux dialogues ont l’un et l’autre une forte puissance d’évocation du désarroi dans quoi errent ces deux êtres.
Venons-en pourtant aux petites phrases. Elles sont, hélas, le plus souvent d’une minceur extrême, proches de l’insignifiance, comme si l’auteur n’avait pas su aller au bout de son thème dramatique, pourtant riche. Bien que la salle par moments glousse de rire, cela n’a guère la cocasserie d’un Ionesco, ni l’éblouissante absurdité d’un Beckett. Cette impression de ténuité était accentuée par l’insuffisance vocale des deux hommes. Même J.-L. Trintignant, qui a pourtant du métier, et Dieu sait quel, on peinait trop souvent à le comprendre.
Sans doute, les circonstances appelaient les protagonistes à susurrer plutôt qu’à crier comme des furies. Mais l’art du comédien n’est-il pas justement de paraître marmonner entre ses dents si la situation l’exige, mais de garder pourtant une diction nette ? Aussi surprenant que ce soit de la part d’un très grand, passé en ses jeunes années par l’école de Dullin, ce n’était pas le cas.
De sorte que des filets de voix au service d’un texte bien mince ne faisaient pas du très grand théâtre. Cela était d’autant plus dommage qu’on ne s’en sentait pas très loin, tant par l’intemporalité du sujet que par la qualité de présence des comédiens.