Comment conseiller les lycéens motivés par des études longues ?
Introduction de Jean-Marc Fournier, fondateur de l’Association Tremplin
Pourquoi cette table ronde ?
Tremplin a été fondé sur l’idée de donner leur chance à des jeunes de lycées de ZEP motivés par des études longues, sur le thème : « toi aussi, tu peux ». Les questions d’orientation sont nombreuses au lycée et plus particulièrement en terminale ; les jeunes étudiants de l’Association ne sont pas des spécialistes pour répondre aux multiples interrogations des élèves. Pour réfléchir sur ce thème, nous lançons donc cette table ronde.
Intervenants
Jean-Marie Petitclerc réalise un accompagnement dans les lycées et collèges au sein de Valdocco. Cinq élèves de l’X effectuent chaque année leur service dans cette association.
Les jeunes sont confrontés à deux difficultés majeures : un problème de niveau et une incapacité totale à se projeter dans des études longues. Ils ne les envisagent même pas, considérant que cela n’est pas fait pour eux. La question est de savoir comment innover afin qu’ils puissent avoir accès à ces filières, comment les orienter. De façon sous-jacente apparaît l’échec : les jeunes peuvent-ils risquer d’y être confrontés (notamment par le biais des classes préparatoires) ?
Serge Goldberg membre de l’Institut Paul Delouvrier, souligne combien il est difficile d’être bon élève dans un mauvais environnement. Le rôle de l’environnement est encore plus important dans les filières littéraires. L’accompagnement individualisé que réalise l’Institut Paul Delouvrier met en lumière de nombreux problèmes de communication et d’expression ainsi que des barrières culturelles pour les jeunes issus de l’immigration.
Cyril Delhay responsable des conventions avec les zones d’éducation prioritaire à l’Institut d’Études politiques, précise que les cinquante étudiants accueillis dans le cadre de ce programme réussissent aussi bien que les étudiants du cursus traditionnel. Sciences Po a mis en place un système de recrutement particulier pour répondre à différents problèmes : impossibilité financière, épreuves de sélection codifiées, défaut d’information de proximité (famille, proches), autocensure (le « ce n’est pas pour moi »). Les étudiants disposent d’un accompagnement par un tuteur la première année, éventuellement d’une bourse de mérite de 6 000 euros, et d’une chambre à la Cité universitaire internationale.
Pour Sciences Po, il s’agit d’une nouvelle forme de recrutement des talents.
M. Sidokpohou professeur de mathématiques au lycée Jacques Brel2, nous rappelle que, du point de vue du service public, un BTS ou un CAP bien menés constituent également des voies de réussite. Il faut aussi garder à l’esprit que les bons élèves en terminale S ne sont pas les plus défavorisés.
L’information à flux continu permet de rendre plus familier le monde de l’enseignement supérieur et des études longues : cet effort est déjà fourni par les professeurs au niveau du lycée (mention de l’utilisation post-bac de ce qui est fait en cours). Le désir de faire des études longues est le plus souvent freiné par la peur de perdre en allant dans une voie non balisée.
Bruno Manuel ancien élève du lycée Jacques Brel et de Tremplin, actuellement en DEUG STPI, nous fait part du fossé séparant la terminale de la première année universitaire et souligne l’importance de l’autonomie qu’il faut savoir acquérir dans son travail.
Isabelle Jubin proviseur du lycée Sainte-Geneviève à Versailles, présente le projet dans son établissement : un protocole d’accord avec certaines banques permet à trois élèves de financer leur scolarité grâce à un don pour la première année et un prêt pour la deuxième année avec remboursement sur dix ans après le premier emploi. Quarante-cinq élèves d’origine maghrébine effectuent leurs classes préparatoires à Ginette : à la mixité géographique s’ajoute une mixité sociale.
Patrice Corre proviseur du lycée Henri IV, rappelle que le handicap social est encore plus fort dans les classes littéraires, où l’aisance culturelle et la maîtrise de la langue sont indispensables. Il envisage un recrutement spécifique pour ces classes, un peu à la manière de celui de Sciences Po en ZEP.
Ce projet se heurte à de nombreux obstacles, les lycées de banlieue protestent, ne voulant pas se voir enlever leurs bons élèves.
La question est de savoir si l’école joue toujours son rôle d’ascenseur social ; contrairement aux idées reçues, beaucoup de choses sont faites et le pari du nombre a permis une élévation du niveau d’ensemble et une augmentation globale de la proportion de jeunes faisant des études supérieures.
Cependant il y a une trentaine d’années existait un système d’encadrement complémentaire aux cours qui permettait de compenser les inégalités, notamment avec les études du soir. Ce système a aujourd’hui disparu et l’entourage a pris le relais de façon inégalitaire.
Monsieur Lalan proviseur adjoint du lycée Jacques Brel, un de ces lycées situés dans des lieux qui ont un poids économique faible, où une grande partie des élèves sont boursiers, où les familles sont souvent déstructurées et où le sens des études est dénaturé. L’attrait du BTS qui permet de sortir du milieu éducatif, d’avoir de l’argent et de s’émanciper du milieu familial nuit à la poursuite d’études longues. Les étudiants brillants sont bridés. En CPGE3, le risque d’échouer rapidement décourage. Ce risque est pris dans le cas de Science Po car les aides sont importantes et donnent un coup de pouce pour se décider et s’engager.
Roland Husson est président d’Alter Égaux, une jeune association qui, partant d’un constat d’autocensure, réalise des interventions par binôme dans des classes de lycées ainsi que des conférences débats sur des thèmes variés. Il faut savoir s’adresser aux bons élèves de la classe sans décourager les autres.
Pierre-Yves Laligand, président de Tremplin, indique les principales caractéristiques de l’Association : Tremplin donne des cours d’approfondissement qui permettent d’ouvrir de nouveaux horizons, le professeur devient peu à peu un « grand frère » et la confiance établie permet de démystifier les études longues.
Denis Oulès rappelle qu’un court-circuit se produit entre deux plaques lorsque la différence de potentiel est trop élevée ou que la distance entre ces plaques est trop faible. Les distances entre les couches sociales se sont réduites : si l’on veut éviter les conflits sociaux, il faut tout faire pour permettre aux jeunes d’accéder à des études supérieures. Le Rotary Club de Fontainebleau organise ainsi le parrainage de jeunes issus de milieux défavorisés capables de faire des études. Le parrain est souvent celui qui donne des conseils déterminants dans les moments difficiles.
Olivier Coquard, professeur en hypokhâgne à Henri IV, constate que la plupart des élèves issus des milieux défavorisés sont « flingués ». Un an serait nécessaire à ces élèves pour préparer le saut culturel auquel ils sont confrontés. Il y a quarante ans les écoles normales d’instituteurs prenaient les élèves lorsqu’ils avaient quinze ans et payaient entièrement leurs études. Cela constituait la première étape de l’ascenseur social : les professions se diversifiaient à la seconde génération.
Francis Kramarz, directeur de recherche au CREST, professeur à l’X, souligne que la France contrairement aux États-Unis possède une université exclusivement réservée aux jeunes.
Le système français n’autorise pas l’échec alors que 70 % des élèves qui arrivent en terminale ont redoublé une classe, et que l’efficacité d’un redoublement n’a jamais été prouvée. Les grandes écoles ont par ailleurs une importance démesurée.
Les statistiques ont montré qu’à niveau social équivalent les élèves ne réussissent pas mieux en ZEP qu’ailleurs. La diminution des effectifs d’une classe doit être drastique pour être efficace. Le saupoudrage réalisé en ZEP a permis d’avoir bonne conscience mais il est inefficace. En France, les classes de primaire et du collège fournissent des connaissances : le décalage se produit très tôt.
Gérard Debeaumarché, professeur au lycée Clemenceau à Reims, président de l’Union des professeurs de Spéciales, indique qu’une pénurie de 400 000 cadres est à craindre : un élargissement social du recrutement est donc nécessaire. Les débouchés existent. Il y a autant de places en écoles d’ingénieurs que dans les classes de maths spé.
D’autre part, le rôle des professeurs est crucial, et ce dès la troisième. Il faut qu’ils soient motivés. Enfin les élèves qui réussissent sont ceux qui ont toujours été soutenus par leur famille. Rappelons que certains DUT ou BTS peuvent conduire à des voies délivrant des diplômes d’ingénieur.
Le système actuel est-il adapté à tous les étudiants ? Un effort de lisibilité est indispensable. À titre d’exemple, les sigles utilisés dans le système français sont inutilement compliqués.
Jacques Denantes souligne que, dès la sixième, les difficultés de maîtrise des bases du calcul ou du français sont alarmantes. Les références littéraires des programmes sont très étrangères à la culture des élèves. Pour beaucoup la connaissance se résume à « avoir une bonne note » par n’importe quel moyen.
Marie-Blanche Mauhourat, inspecteur en sciences physiques dans l’académie de Versailles, insiste sur l’importance du « lire et faire lire » dans les petites classes. Chaque jeune a par ailleurs besoin d’un adulte référent.
Débats
Des échanges entre intervenants permettent d’apporter les éclaircissements suivants :
- Il faut tout d’abord accepter que l’ascension sociale prenne une ou deux générations comme c’était le cas dans les années 50. En remontant deux générations à partir d’une promotion de polytechniciens, on retrouvait la composition de la société française.
- Les professeurs sont tout autant à convaincre que les élèves (nos élèves ne sont pas capables). L’autocensure est un phénomène social. Ceux qui font des études longues sont ressentis de façon positive par les jeunes du lycée d’où ils proviennent mais les étudiants de Sciences Po, par exemple, ressentent parfois une franche hostilité lorsqu’ils retournent chez eux : ils sont écartelés entre deux mondes, deux cultures.
- Il paraît nécessaire de faire tomber plusieurs préjugés : les classes préparatoires sont certes composées de l’élite, mais à un âge donné et dans un système donné. Elles sont un enfer mais aussi deux années éblouissantes sur le plan intellectuel. Enfin, le problème de l’échec est surtout flagrant en filières littéraires où les voies de rattrapage sont inexistantes.
- Concluons par les quatre obstacles majeurs qui empêchent un certain nombre de jeunes d’entreprendre des études longues : les difficultés de financement, les inégalités devant l’information, le besoin d’encadrement au travail et l’autocensure. C’est en travaillant parallèlement dans ces quatre directions que nous pourrons mener à bien la mission conjointe de Tremplin et de tous les acteurs de l’enseignement.
- Le général de Nomazy, directeur de l’X, conclut en montrant qu’il faut susciter le désir de faire des études longues et s’en donner les moyens. Il a repris une réflexion de Jean-Marie Petitclerc selon laquelle il n’y a pas de grande théorie pour répondre aux questions soulevées ici. En s’appuyant sur les initiatives déjà prises par diverses associations (Le Valdocco, Tremplin, Alter Égaux, La main à la pâte…), la solution réside dans des expérimentations locales.
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1 - La Jaune et la Rouge, n° 578 d’octobre 2002.
2 - Un article sur ce lycée a été publié dans la rubrique Forum social du n° 583 de mars 2003 de La jaune et la Rouge.
3 - Classes préparatoires aux grandes écoles.