Comment créer une nouvelle assurance-maladie

Dossier : La Santé, l'inéluctable révolutionMagazine N°630 Décembre 2007
Par Claude BÉBÉAR (55)

Notre sys­tème d’as­su­rance-mala­die obli­ga­toire est à bout de souffle. Il est temps d’en­ga­ger une vaste réforme qui implique la tota­li­té des acteurs : l’É­tat, les pro­fes­sion­nels de la san­té, les assu­rés, les ins­ti­tu­tions d’as­su­rances. Les pro­po­si­tions éla­bo­rées dans le cadre de l’Ins­ti­tut Mon­taigne, résu­mées dans cet article, res­pon­sa­bi­lisent cha­cun sur ses domaines de com­pé­tence et créent une véri­table conver­gence d’in­té­rêt. Elles pré­servent trois prin­cipes fon­da­men­taux : la liber­té de consom­mer, la liber­té de pres­crire, le rôle d’é­va­lua­tion et de contrôle de l’État.

Il y a dix ans, je lan­çais l’i­dée d’une « Sécu­ri­té sociale pri­vée ». L’ex­pres­sion fit grand bruit. Dans mon esprit, il s’a­gis­sait d’ou­vrir la ges­tion de l’as­su­rance-mala­die obli­ga­toire aux ins­ti­tu­tions pri­vées ou para­pu­bliques et non bien évi­dem­ment de la sup­pres­sion de la Sécu­ri­té sociale. Le sujet est tou­jours d’ac­tua­li­té mais la situa­tion s’est aggra­vée ! La Sécu­ri­té sociale est pro­gres­si­ve­ment deve­nue un véri­table orga­nisme public direc­te­ment gou­ver­né par l’É­tat qui est à la fois l’i­ni­tia­teur des règles, l’or­ga­ni­sa­teur de l’offre de soins, le finan­ceur de cette offre et l’as­su­reur de la demande.

L’as­su­rance san­té aujourd’hui
La Sécu­ri­té sociale défi­nit ce qui est rem­bour­sé et ce qui ne l’est pas. L’ac­cès à l’assurance mala­die repose sur la rési­dence et non plus sur l’exercice d’une acti­vi­té pro­fes­sion­nelle. Une grande part du finan­ce­ment repose sur la masse sala­riale des entre­prises. Outre la CSG qu’ils paient direc­te­ment, peu de sala­riés sont conscients de ce que leur contri­bu­tion à l’assurance mala­die repré­sente annuel­le­ment plus de deux mois de salaire. Ils ne savent pas ce qui est le coût de leur risque propre et ce qui est une coti­sa­tion de solidarité.
C’est la Caisse natio­nale d’assurancemaladie qui paie les méde­cins, l’hôpital, les médi­ca­ments. On ne peut pas dire qu’elle gère le risque mala­die. Il suf­fit d’observer les péri­pé­ties du Dos­sier médi­cal per­son­nel et par­ta­gé, la répar­ti­tion anar­chique des méde­cins sur le ter­ri­toire, la pau­pé­ri­sa­tion de nos hôpi­taux publics et enfin, ce qui paraît le plus grave, l’absence totale d’évaluation a pos­te­rio­ri.

Une augmentation inéluctable

Le risque mala­die des Français
On peut répar­tir les per­sonnes pro­té­gées par groupes repré­sen­tant 5 % de la popu­la­tion (20 groupes au total), en allant de ceux qui dépensent le moins à ceux qui dépensent le plus.
Dans les trois pre­miers groupes (30 % de la popu­la­tion), la dépense est nulle ou insi­gni­fiante. Dans le 10e groupe, elle atteint 529 euros par per­sonne et par an.
Pour 50 % de la popu­la­tion, la dépense annuelle moyenne des soins n’excède pas 530 euros.
Dans le 17e groupe, la dépense moyenne est de 1 717 euros. Dans le der­nier groupe réunis­sant les der­niers 5 % de la popu­la­tion, elle est de 21 687 euros.
Seule­ment 1 à 2 % de la popu­la­tion repré­sente le « grand risque » avec des dépenses moyennes annuelles de l’ordre de 82 000 euros.
Jac­que­line Simon (revue Com­men­taires)

Les dépenses de san­té aug­mentent et conti­nue­ront à évo­luer plus vite que le PIB (plus de 11 % du PIB aujourd’­hui, 15 % dans les dix ans à venir). C’est iné­luc­table et dû à l’al­lon­ge­ment de la durée de la vie, aux pro­grès tech­niques, au fait que les Fran­çais – et c’est nor­mal – veulent se soi­gner pour se main­te­nir en bonne santé.

On voit clai­re­ment depuis quelques années au fil des « réformes » mises en place à quel point l’as­su­rance-mala­die obli­ga­toire échappe aujourd’­hui à tout contrôle. Les réformes ont essen­tiel­le­ment consis­té à accom­pa­gner la dérive des coûts par une hausse des pré­lè­ve­ments et une baisse des rem­bour­se­ments sans remise en cause de la struc­ture du sys­tème mis en place. Notre sys­tème actuel est mani­fes­te­ment à bout de souffle. Nous ne pou­vons répondre aux défis de l’a­ve­nir qu’en chan­geant de paradigme.

Le risque mala­die est bien dis­tri­bué (voir enca­dré), il évo­lue len­te­ment et régu­liè­re­ment, et n’est jamais très éle­vé. Il n’est donc pas dif­fi­cile à assurer.

Il y a des solutions

Les solu­tions pos­sibles ont pour pos­tu­lat de départ que ces dépenses contri­buent à la crois­sance, c’est-à-dire à la créa­tion de richesses et d’emplois, et même qu’elles en seront demain un fac­teur essen­tiel. Qu’elles sont à la source des pro­grès scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques. Qu’elles sont éga­le­ment fac­teur d’a­mé­lio­ra­tion de la qua­li­té de vie de nos concitoyens.

Pour avoir une chance de sau­ver les prin­cipes aux­quels les Fran­çais sont atta­chés : cou­ver­ture mala­die pour tous, soli­da­ri­té et grande qua­li­té de soins, les mesures pro­po­sées doivent être poli­ti­que­ment accep­tables, effi­caces et pragmatiques.

Chacun dans son rôle

Redéfinir le rôle de l’État

Son rôle est pri­mor­dial. Il fixe les règles et il est garant de leur appli­ca­tion. Si l’É­tat le sou­haite, ces fonc­tions pour­raient être celles de la Sécu­ri­té sociale redéfinie.

Définir les soins remboursables

Peu de sala­riés sont conscients de ce que leur contri­bu­tion à l’assurancemaladie repré­sente annuel­le­ment plus de deux mois de salaire

C’est aux pou­voirs publics de déci­der de ce qui relève de l’as­su­rance-mala­die uni­ver­selle, c’est-à-dire réper­to­rier les soins et ser­vices qui sont pris en charge inté­gra­le­ment pour toute la popu­la­tion défi­nie. C’est ce que l’on appelle « le panier de soins ».

Nous pré­co­ni­sons de lier la prise en charge à l’ob­ser­va­tion de pro­to­coles thé­ra­peu­tiques décri­vant avec pré­ci­sion l’en­semble des soins néces­saires au trai­te­ment d’une patho­lo­gie ou d’une situa­tion médi­cale, quels qu’ils soient. Un même acte peut être rem­bour­sé ou ne pas l’être, selon que le pro­to­cole thé­ra­peu­tique est res­pec­té. Il est évident que le bon sens doit gui­der cette démarche qui doit com­por­ter sou­plesses et déro­ga­tions afin de per­mettre le bon fonc­tion­ne­ment du sys­tème et bien sûr être évolutive.

Par ailleurs, cette cou­ver­ture inté­grale des soins et ser­vices n’existe que si la per­sonne est assu­rée (l’é­qui­valent d’adhé­rent à la Sécu­ri­té sociale aujourd’­hui) et si le pres­crip­teur est agréé.

Cette liste de soins et ser­vices rem­bour­sés doit être éla­bo­rée avec une grande atten­tion afin de ne lais­ser en dehors de l’as­su­rance-mala­die uni­ver­selle que des actes que cha­cun peut assu­mer de façon cor­recte à tra­vers des assu­rances sup­plé­men­taires ou des dépenses personnelles.

Définir la population couverte (population assurée)

C’est aux pou­voirs publics de défi­nir qui peut béné­fi­cier de « l’as­su­rance-mala­die uni­ver­selle ». Nous sommes par­ti­sans de conser­ver le sys­tème actuel basé sur la non-dis­cri­mi­na­tion par l’argent de ceux qui béné­fi­cient de l’ac­cès aux soins : toutes les per­sonnes rési­dentes en France et en situa­tion régu­lière, c’est-à-dire Fran­çais ou étran­gers pos­sé­dant un per­mis de séjour, doivent béné­fi­cier de l’as­su­rance-mala­die uni­ver­selle. Tous les autres pré­sents sur le ter­ri­toire doivent, bien sûr, être soi­gnés, mais doivent payer.

Contrôler l’application de ces règles et sanctionner les acteurs qui ne les respectent pas

En ces­sant d’être opé­ra­teur, l’État ces­se­ra d’être juge et partie

C’est un rôle essen­tiel et qui garan­tit que le sys­tème mis en place fonc­tionne bien et qu’il res­pecte les choix poli­tiques qui ont pré­si­dé à sa mise en place. Si une ins­ti­tu­tion d’as­su­rance san­té ne res­pecte pas les prin­cipes édic­tés par l’É­tat (non-dis­cri­mi­na­tion, refus d’as­su­rance via­gère par exemple), cette ins­ti­tu­tion doit se voir reti­rer l’ha­bi­li­ta­tion de tra­vailler dans le domaine de la santé.
Défi­ni­tion des règles, contrôle et sanc­tions sont les res­pon­sa­bi­li­tés essen­tielles de l’É­tat dans le domaine de la san­té. Mais il n’est plus opé­ra­teur et, de ce fait, ces­se­ra d’être juge et partie.

Collecter et redistribuer la partie du financement de ces dépenses qui relève de la solidarité

Nous y revien­drons lorsque nous abor­de­rons le finan­ce­ment de l’as­su­rance-mala­die universelle.

Accréditer les professionnels de la santé

Entre désert et surenchère
La concur­rence entre les ins­ti­tu­tions les inci­te­ra à veiller à l’implantation des pro­fes­sion­nels en fonc­tion de l’existence de clients dans cer­tains endroits. Cela résou­dra l’énorme pro­blème actuel résul­tant de la dis­pa­ri­té entre désert médi­cal (grave pour les assu­rés) et la sur­po­pu­la­tion médi­cale (entraî­nant une sur­en­chère médicale).

Les pro­fes­sion­nels qui apportent des soins aux assu­rés sont de deux types : des éta­blis­se­ments comme les hôpi­taux ou les cli­niques et des indi­vi­dus comme les méde­cins, les infir­mières, les kiné­si­thé­ra­peutes, etc.

S’ils veulent que leurs clients soient rem­bour­sés pour tout ou par­tie (selon le « panier de soins » défi­ni) des soins qu’ils leur donnent, ils doivent être accré­di­tés par une ou plu­sieurs ins­ti­tu­tions d’as­su­rance san­té : mutuelles, com­pa­gnies d’as­su­rances, Caisse d’as­su­rance-mala­die. Ils doivent, bien sûr, res­pec­ter les pro­to­coles thé­ra­peu­tiques défi­nis par les pou­voirs publics. S’ils n’ont pas cette accré­di­ta­tion, leurs patients ne seront pas pris en charge. De cette situa­tion, on peut attendre deux résultats :

une amé­lio­ra­tion de la qua­li­té des soins, les résul­tats obte­nus par les pro­fes­sion­nels de san­té étant sui­vis de près par les ins­ti­tu­tions de san­té : en cas de mau­vais résul­tats, les ins­ti­tu­tions peuvent désa­gréer les pro­fes­sion­nels concernés ;
 une répar­ti­tion de l’offre de soins sur le ter­ri­toire fran­çais répon­dant à la demande de soins (voir encadré).

Obligations et choix des clients assurés

Le client doit souscrire un contrat universel

Chaque indi­vi­du pou­vant béné­fi­cier de l’as­su­rance-mala­die uni­ver­selle a l’o­bli­ga­tion de sous­crire un contrat auprès d’une ins­ti­tu­tion d’as­su­rance san­té de son choix, que ce soit à titre indi­vi­duel ou à tra­vers un groupe (entre­prises, asso­cia­tion, etc.). Il n’y a pas de sélec­tion de risque de la part de l’ins­ti­tu­tion et la cou­ver­ture est viagère.

Nous ver­rons au cha­pitre finan­ce­ment com­ment cette coti­sa­tion d’as­su­rance est financée.

Le client peut s’assurer pour d’autres actes

Outre cette assu­rance-mala­die uni­ver­selle obli­ga­toire, les assu­rés peuvent éga­le­ment choi­sir d’être rem­bour­sés pour des actes qui ne sont pas inclus dans la nomen­cla­ture fixée par les pou­voirs publics. Il s’a­git là d’une démarche volon­taire lais­sée au choix de cha­cun, la coti­sa­tion cor­res­pon­dante fixée par l’o­pé­ra­teur varie en fonc­tion du degré de cou­ver­ture choi­si pour ces soins « hors norme ».

Des institutions d’assurance santé en concurrence

Il s’a­git des Caisses d’as­su­rance-mala­die, des groupes de pré­voyance, des mutuelles et des com­pa­gnies d’as­su­rances. Pour pou­voir exer­cer l’ac­ti­vi­té d’as­su­rance san­té, ces ins­ti­tu­tions doivent être agréées et obéir à un cahier des charges défi­ni par l’É­tat. Elles tra­vaillent en concur­rence totale entre elles, sans avan­tages par­ti­cu­liers concé­dés à une caté­go­rie ou à l’autre.

Il y a liber­té de tari­fi­ca­tion pour cette assu­rance-mala­die uni­ver­selle qui prend en charge la tota­li­té des soins défi­nis par les pou­voirs publics. La coti­sa­tion de base peut varier en fonc­tion d’op­tions prises par l’as­su­ré, par exemple choix d’une fran­chise, actions de prévention…

Leur métier est le remboursement des dépenses de santé de tous les résidents en situation régulière en France

Gérer sur des cri­tères de qua­li­té et sor­tir enfin de la situa­tion de payeur aveugle

En pre­mier lieu, elles rem­boursent les actes et soins défi­nis par l’as­su­rance-mala­die uni­ver­selle à condi­tion qu’ils soient pres­crits et effec­tués par des pro­fes­sion­nels agréés (voir ci-contre) et que, s’il existe des pro­to­coles thé­ra­peu­tiques défi­nis, ils aient été res­pec­tés. Il s’a­git là de leur contrat de base avec leurs clients. Ce contrat de base peut com­por­ter des dif­fé­rences mar­gi­nales : choix de fran­chise, accep­ta­tion d’une poli­tique de prévention…

En aucun cas elles ne peuvent exclure des patho­lo­gies ou des actes pré­vus par l’as­su­rance-mala­die universelle.

En second lieu, elles bâtissent des offres d’as­su­rance san­té sup­plé­men­taires pour répondre aux dési­rs de cer­tains de cou­vrir leurs dépenses cor­res­pon­dant à des choix par­ti­cu­liers : homéo­pa­thie, acu­punc­ture, esthé­tique, cures d’amaigrissement…

Elles agréent les professionnels de santé et passent des contrats avec eux pour garantir qualité et contrôle des coûts

Un réseau de soins
Pour les actes réper­to­riés par les pou­voirs publics comme fai­sant par­tie de l’assurancemaladie uni­ver­selle, le rem­bour­se­ment ne peut avoir lieu que si les assu­rés se font soi­gner dans des éta­blis­se­ments ou chez des pro­fes­sion­nels de san­té agréés par leur ins­ti­tu­tion d’assurance-maladie. On peut ima­gi­ner des accords entre cer­taines ins­ti­tu­tions afin d’élargir les réseaux de soins aux­quels leurs clients ont accès.

Comme ce sont elles qui gèrent la base des clients et des pres­crip­teurs et qui subissent les consé­quences finan­cières occa­sion­nées par les soins pres­crits et don­nés, elles sont donc à même d’a­na­ly­ser les meilleures pra­tiques, les dérives, les abus.

Ces ana­lyses nous per­mettent de gérer notre sys­tème de soins sur des cri­tères de qua­li­té et de sor­tir enfin de la situa­tion de « payeur – aveugle » que nous vivons.

On peut même ima­gi­ner que ces ins­ti­tu­tions d’as­su­rance, en par­te­na­riat avec les pro­fes­sion­nels de san­té, sus­citent des ini­tia­tives qui relèvent aujourd’­hui du tabou, par exemple :

- rem­bour­ser des actes de pré­ven­tion aujourd’­hui non couverts,
– ouvrir pour les pro­fes­sion­nels de san­té qui le sou­haitent un finan­ce­ment par­tiel à la capitation,
– négo­cier avec des groupes de méde­cins un auto­con­trôle des pres­crip­tions sur des cri­tères de qua­li­té avec en contre­par­tie une reva­lo­ri­sa­tion notable des actes médi­caux de base,
– déve­lop­per à grande échelle de réels réseaux de soins per­met­tant d’of­frir des ser­vices de qua­li­té aux adhérents,
– mettre en œuvre des pro­cé­dures d’é­va­lua­tion médi­cale a pos­te­rio­ri par des orga­nismes indé­pen­dants des ins­ti­tu­tions d’as­su­rance dont les résul­tats seraient com­mu­ni­qués à l’en­semble de leurs assu­rés, démo­cra­ti­sant ain­si l’ac­cès à des soins de qualité.

Elles agissent en stricte concur­rence entre elles dans le res­pect du cahier des charges défi­ni par l’É­tat et contrô­lées par lui
Cela nous paraît une condi­tion essen­tielle de la garan­tie de qua­li­té du sys­tème de san­té, de son effi­ca­ci­té et de sa capa­ci­té d’innovation.

Cela éli­mine le risque d’en­tente et de car­tels qu’on a pu voir dans cer­tains pays, ou celui de la dérive des coûts qui peut résul­ter d’une cen­tra­li­sa­tion trop grande telle qu’on la vit aujourd’­hui en France.

Que faire ?

Le financement des dépenses de santé

Finan­cer par une com­bi­nai­son de coti­sa­tion d’assurance et d’impôt de solidarité

Aujourd’­hui, les dépenses de san­té sont finan­cées par la CSG (5,10 % du reve­nu brut des ménages, + 2,9 % au titre du RDS) et par des coti­sa­tions payées par l’employeur (12,6 %), arti­fice qui rend assez indo­lore le coût de la mala­die pour chaque Fran­çais. Est-on conscient de payer comme coti­sa­tion d’as­su­rance envi­ron 20 % de ce qu’on coûte à son employeur ? Si cette somme nous était ver­sée, ferait-on un chèque d’un tel mon­tant sans se poser des ques­tions de qua­li­té, de choix de consom­ma­tion, de contrôle des dépenses ?

Il nous paraît aujourd’­hui impor­tant de revoir l’en­semble du sys­tème de finan­ce­ment pour qu’il puisse :

 répondre au prin­cipe de soli­da­ri­té, indis­cu­table pour faire face aux inéga­li­tés face à la mala­die et aux dis­pa­ri­tés de revenu,
 mettre en conver­gence d’in­té­rêt tous les acteurs de la san­té pour un meilleur rap­port qua­li­té prix dans le domaine de la santé.

Nous pro­po­sons, dans la refonte de l’as­su­rance-mala­die, que les dépenses de san­té soient scin­dées en deux grands domaines :

 celui défi­ni par l’É­tat et cou­vert par l’as­su­rance-mala­die obligatoire,
 celui cor­res­pon­dant à une consom­ma­tion médi­cale sup­plé­men­taire, et donc hors du champ de l’as­su­rance-mala­die obli­ga­toire. Ces dépenses existent déjà lar­ge­ment en France : homéo­pa­thie, acu­punc­ture, cures, esthétique…

Elles sont géné­ra­le­ment payées direc­te­ment par les indi­vi­dus. Elles peuvent bien évi­dem­ment faire l’ob­jet d’une offre d’as­su­rance clas­sique de la part des ins­ti­tu­tions d’as­su­rance san­té. En aucun cas leur champ ou leur cou­ver­ture ne doit résul­ter d’une inter­ven­tion de l’État.

Il nous faut donc cou­vrir les dépenses d’as­su­rance-mala­die obli­ga­toire. Nous pro­po­sons de les finan­cer par une com­bi­nai­son de coti­sa­tion d’as­su­rance et d’im­pôt de soli­da­ri­té, la pro­por­tion de l’une ou de l’autre ayant un carac­tère hau­te­ment politique.

Une cotisation d’assurance

Pour pou­voir être rem­bour­sée de ses dépenses de san­té, toute per­sonne appar­te­nant à la popu­la­tion déter­mi­née par les pou­voirs publics doit obli­ga­toi­re­ment sous­crire un contrat d’as­su­rance auprès d’une ins­ti­tu­tion d’as­su­rance san­té agréée (Voir p. 27). Elle la choi­sit libre­ment et les ins­ti­tu­tions sont en concur­rence. Le contrat sous­crit peut être indi­vi­duel ou collectif.

Nous pré­co­ni­sons que désor­mais les employeurs versent à leurs col­la­bo­ra­teurs, en plus de leur salaire, la tota­li­té de la part sala­riale et patro­nale cor­res­pon­dant à la san­té soit envi­ron 20 % du salaire net en plus. Ensuite, les indi­vi­dus paient eux-mêmes direc­te­ment leurs coti­sa­tions d’as­su­rance santé.

18 % du salaire moyen des Français

Ces coti­sa­tions doivent être d’un ordre de gran­deur équi­valent pour cha­cun, quel que soit son reve­nu, les dif­fé­rences pou­vant résul­ter de la concur­rence entre les ins­ti­tu­tions et du choix indi­vi­duel d’ac­cep­ter une fran­chise, ou une poli­tique de pré­ven­tion par exemple. À titre d’exemple, les coti­sa­tions d’as­su­rance san­té pour­raient repré­sen­ter de l’ordre de 18 % du salaire moyen des Fran­çais. Ceux dont le salaire est plus éle­vé paie­raient donc moins qu’au­jourd’­hui. Ceux dont le salaire est infé­rieur au salaire moyen paie­raient plus, ce qui est contraire à l’é­qui­té recher­chée. Les bas reve­nus se ver­raient donc attri­buer une aide per­son­na­li­sée d’au­tant plus impor­tante que leurs reve­nus sont faibles. Cette aide san­té serait payée par l’É­tat, soit à la per­sonne, soit direc­te­ment à l’ins­ti­tu­tion qui l’as­sure. Cette aide consti­tue­rait une par­tie de la solidarité.

L’en­semble de ces coti­sa­tions, col­lec­tées par les ins­ti­tu­tion­nels de la san­té, cou­vri­raient les dépenses de san­té jus­qu’à un cer­tain seuil (voir ci-après) et pour­raient don­ner lieu à des démarches de responsabilisation.

Ces ins­ti­tu­tions d’as­su­rance san­té, en concur­rence, auront tout inté­rêt à bien coor­don­ner la chaîne de soins, à exi­ger de la qua­li­té de la part des éta­blis­se­ments et des pro­fes­sion­nels de la san­té, en bref, à nous main­te­nir en « bonne santé ».

Il n’en reste pas moins qu’il faut mettre au point un sys­tème de soli­da­ri­té pour trai­ter des énormes inéga­li­tés face à la mala­die, aux­quelles nous sommes confrontées.

Un impôt de solidarité

Il en existe déjà un : il s’ap­pelle la CSG. Il repré­sente aujourd’­hui 5,1 % (plus les 2,9 % au titre du RDS) de l’en­semble des reve­nus de chaque Fran­çais et ne péna­lise pas les entre­prises et le tra­vail et per­met que la contri­bu­tion des riches soit beau­coup plus éle­vée que celle des pauvres. Faut-il un impôt sup­plé­men­taire de soli­da­ri­té ? Aux pou­voirs poli­tiques à décider.

Les sommes, col­lec­tées à ce titre, auront deux destinations :

- payer l’aide per­son­na­li­sée san­té à ceux dont la coti­sa­tion d’as­su­rance san­té est plus éle­vée que celle qu’ils paient et que l’employeur paie pour leur compte aujourd’­hui. Cela consti­tue une soli­da­ri­té par rap­port aux dis­pa­ri­tés de salaire ;
– payer aux ins­ti­tu­tions d’as­su­rance san­té les « sur­dé­penses » occa­sion­nées par les risques lourds que repré­sentent cer­tains de leurs clients. Il fau­dra fixer le seuil de dépenses san­té par indi­vi­du (30 000 euros de dépenses annuelles ? 50 000 ? 80 000 ?) qui déclen­che­ra le com­plé­ment de rem­bour­se­ment par l’É­tat aux ins­ti­tu­tions d’as­su­rance santé.

Cela aura le mérite de bana­li­ser les affec­tions de longue durée (ALD) qui aujourd’­hui voient leurs dépenses rem­bour­sées à 100 % avec exo­né­ra­tion du ticket modé­ra­teur, même si ceux qui en sont atteints ont les moyens de payer et si leur mala­die ne requiert plus de soins coû­teux, alors qu’a contra­rio cer­taines mala­dies ne relèvent pas d’une ALD alors que les malades atteints engagent d’é­normes dépenses qui ne relèvent pas du 100 %. Là, nous sommes dans le domaine de la soli­da­ri­té face à la maladie.

Le mon­tant total de la CSG pour­rait être variable en fonc­tion des résul­tats de l’an­née pré­cé­dente. Le cahier des charges pour­rait pré­voir qu’une frac­tion des excé­dents réa­li­sés, soit par les ins­ti­tu­tions d’as­su­rance, soit par la CSG, pour­rait être consa­crée au finan­ce­ment d’o­pé­ra­tions de prévention.

« Ce sys­tème ne devait être qu’un pre­mier pas pour une popu­la­tion trop fruste éco­no­mi­que­ment pour com­prendre que cha­cun doit coti­ser contre la mala­die et le chô­mage et pour sa retraite. Aus­si ai-je d’abord obli­gé les patrons à assu­rer les ins­crip­tions et la plus grande par­tie des cotisations.
Puis les moda­li­tés auraient dû bas­cu­ler pro­gres­si­ve­ment au cours des décen­nies jusqu’à ce que cha­cun assume en tota­li­té ses res­pon­sa­bi­li­tés en coti­sant comme il veut et quand il veut à une caisse cen­trale d’État par exemple, sans que les patrons ne pré­lèvent plus rien des salaires, paies ou mêmes soldes pour les mili­taires, et n’assument que ce qui leur revient de toute façon : les assu­rances contre les acci­dents du travail.
Ain­si n’aurait-on plus à dis­cu­ter indé­fi­ni­ment de la nature des acti­vi­tés de cha­cun ni de l’inclusion des primes ou indem­ni­té dans la retraite, etc. Natu­rel­le­ment, les chô­meurs doivent être tou­jours secou­rus par l’État et les sommes ver­sées par cha­cun pour sa sécu­ri­té doivent-elles être inté­gra­le­ment défis­ca­li­sées puisqu’elles ne sont pas des reve­nus disponibles. »

GÉNÉRAL DE GAULLE
(Extrait de Phi­lippe de Gaulle – Mémoires acces­soires, 2000)

Impliquer la totalité des acteurs sans en créer de nouveaux

Notre sys­tème d’as­su­rance-mala­die obli­ga­toire est né après la Deuxième Guerre mon­diale. Il a extra­or­di­nai­re­ment rem­pli son rôle, mais depuis de nom­breuses années, il est à bout de souffle, et les évo­lu­tions à la marge qui ont été réa­li­sées n’ar­rivent plus à enrayer les dérives tant en qua­li­té qu’en coût.

Certes, ce que je viens de décrire est une vaste réforme qui implique la tota­li­té des acteurs.
Elle a l’a­van­tage de ne pas en créer de nou­veaux, de res­pon­sa­bi­li­ser cha­cun sur ses domaines de com­pé­tence, de créer une véri­table conver­gence d’in­té­rêt. Et sur­tout de pré­ser­ver trois prin­cipes aux­quels nous sommes attachés :

- la liber­té de consom­mer de la san­té pour chacun,
– la liber­té de pres­crire des professionnels,
– le rôle poli­tique de l’É­tat tant en matière de prin­cipe que d’é­va­lua­tion et de contrôle.

Pour être faite, cette réforme néces­site une large cam­pagne d’ex­pli­ca­tion et du cou­rage poli­tique. Le temps presse.

2 Commentaires

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Nico­las BALESTATrépondre
20 juin 2018 à 21 h 45 min

L’as­su­rance mala­die
Mer­ci, inté­res­sant, même si le titre fait est un peu fort

Fran­çois-Xavierrépondre
30 mars 2020 à 14 h 56 min

Mer­ci pour l’ar­ticle ! Si vous pou­vez nous conseiller com­ment com­men­cer une assu­rance mala­die en Afrique et com­ment trou­ver le finan­ce­ment, vu que les popu­la­tions n’ont pas assez de reve­nus et que les Etats contri­buent peu aux impôts de soli­da­ri­té, et que les coti­sa­tions de la part des béné­fi­ciaires res­te­ront insi­gni­fiantes s’il faut tenir compte que le coût de la mala­die en Afrique dépend des indus­tries phar­ma­ceu­tiques étran­gères, où tout est cal­cu­lé en devise.

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