Comment définir et suivre un itinéraire polytechnique
Donner à l’École la place qui doit être la sienne dans le nouveau pôle d’enseignement supérieur de Palaiseau et Saclay ne doit pas être pas la seule préoccupation de ceux qui ont en main son avenir. D’autres réformes sont à mener pour étendre le recrutement à plus de talents, élargir la palette des disciplines, renforcer la présence du corps professoral, développer un modèle de recherche adapté aux besoins du XXIe siècle, et créer les conditions d’une gouvernance capable de conduire ces changements dans la durée.
Réflexions conduites par Maurice Bernard (48), avec Jean-Claude Toledano (60), Antoine Compagnon (70), Claudine Hermann, Jean-Claude Lehmann
REPÈRES
Maurice Bernard (48), qui a dirigé l’enseignement et la recherche à l’École polytechnique de 1983 à 1990, Antoine Compagnon (70), professeur au Collège de France et à Columbia, Claudine Hermann, ancien professeur à l’École polytechnique, Jean-Claude Lehmann, ancien directeur de la recherche à Saint-Gobain et président de l’Association des anciens élèves de l’École normale supérieure (Ulm et Sèvres), et Jean-Claude Toledano (60), ancien professeur à l’École polytechnique, ancien directeur général adjoint pour l’enseignement, ont formé un petit groupe de réflexion sur l’avenir de l’École polytechnique. Ces réflexions sont résumées ici.
Un cadre pour l’École
L’avenir de l’École doit, désormais, être pensé dans le cadre du grand projet du plateau de Saclay, d’inspiration jacobine. Ce projet soulève certaines interrogations : la taille est-elle primordiale ? Depuis dix ans, l’émergence des classements type Shanghai, bénéfique à certains égards car elle a réveillé nombre de responsables assoupis, a aussi contribué à brouiller les pistes et, par exemple, à fausser complètement la vision que l’on a en France des universités américaines et de leur fonctionnement ( La Jaune et la Rouge n° 666 ).
Excellence
La force des meilleures universités repose sur la pratique assidue de l’excellence
La force des meilleures universités américaines, suisses, allemandes, bientôt chinoises, repose non sur la taille, mais sur la pratique assidue de l’excellence ; et c’est à l’aune de ces considérations qu’il faut évaluer les projets.
Au fondement de toute réussite humaine, l’idée d’excellence, de grandeur est toujours présente, sous une forme ou sous une autre. On observe aussi que, dans les cas de réussite, l’idée a été portée par un ou plusieurs personnages exceptionnels, s’appuyant sur un groupe légitime dans la cité.
Méritocratie
L’image de l’X, et plus généralement l’image de l’itinéraire méritocratique national, évolue rapidement.
Il faudra imaginer une méthode d’admission rigoureuse, mais plus ouverte et moins dépendante d’un programme précis
L’enseignement supérieur français devra à court terme attirer de jeunes talents issus des classes défavorisées, ce à quoi l’École polytechnique peine comme la plupart des autres filières d’excellence du monde occidental. Pour montrer la route, l’École devra résoudre un problème difficile : tout en conservant, au moins en partie, son concours d’admission traditionnel dont tout le monde reconnaît que la grande sélectivité a des mérites indéniables, il lui faudra imaginer une méthode d’admission rigoureuse, mais plus ouverte et moins dépendante d’un programme précis.
Par ailleurs, on peut penser que l’École polytechnique pourrait, devrait, prendre la tête d’un important mouvement visant à attirer davantage de jeunes filles vers l’enseignement supérieur scientifique tout en luttant contre la désaffection en Occident des jeunes pour les études scientifiques.
Des enseignants à plein temps
Si l’X attire toujours d’excellents enseignants, rares sont ceux qui n’ont pas une autre activité d’enseignement ou de recherche en dehors de l’École. De là il résulte que l’enseignement et la recherche sur le campus de l’X restent des activités disjointes, ce qui n’est pas de mise dans l’enseignement supérieur de notre temps.
Certes, dans certains cas rares et bien identifiés, il peut être bénéfique pour l’École qu’une personnalité extérieure apporte un certain concours à l’enseignement, mais le cumul pratiqué à grande échelle et depuis longtemps, en France en général et à l’X en particulier, doit être éradiqué sans faiblesse.
Nouvelles disciplines
L’École doit prendre pied dans des disciplines nouvelles. Le spectre des compétences requises du corps enseignant, qui s’est déjà beaucoup élargi depuis sa création, devra s’étendre encore.
D’autant plus que le cursus lié à un itinéraire polytechnique modernisé doit s’étendre sur quatre ans, et même plus pour ceux qui se lanceront dans un doctorat. Il s’agit là d’achever une révolution que la réforme X 2000, instituée par Pierre Faurre , avait amorcée sans pouvoir la mener à son terme. Il faut ajouter qu’un tutorat très efficient devra devenir la règle, de sorte que l’intérêt des élèves pour leurs études soit très accru par rapport à la situation actuelle, et que soit rendue plus efficace leur orientation professionnelle.
Organisation de la recherche
Les laboratoires présents sur le site de Palaiseau relèvent, pour la plupart, partiellement de l’École elle-même, mais aussi simultanément d’institutions diverses : du CNRS presque toujours, dont relèvent tous les personnels des laboratoires, mais aussi d’institutions associées. Le rôle du CNRS est donc crucial pour les chercheurs qu’il évalue et dont il contrôle les carrières, pour les équipes auxquelles il attribue des moyens.
C’est là une organisation illogique et perverse qui déresponsabilise la gouvernance de l’École dans sa politique de recherche. Comme la situation est identique dans toutes les universités françaises, on peut penser que des textes réglementaires viendront prochainement prolonger la loi LRU de l’été 2007 et modifier cet état de fait.
Situer et évaluer
L’X doit redéfinir le socle commun de savoirs et de compétences qui était sa caractéristique originale
Le problème principal reste de pouvoir répondre à deux questions précises. Tout d’abord, comment situer les diverses équipes actuelles dans la recherche mondiale ? Lesquelles sont réellement au premier niveau, lesquelles sont seulement honorables ? On notera que l’École n’est l’objet d’aucune évaluation globale (enseignement et recherche), comme le sont bien d’autres institutions. Une évaluation des départements enseignement et recherche, évaluation approfondie, donc indépendante et internationale, doit être mise en route dans les meilleurs délais.
Recherche applicative
La seconde question concerne le type de recherche à privilégier : fondamentale, orientée, appliquée ou applicative ? Aux États-Unis, des institutions comme Caltech ou MIT ont montré que le vrai choix est celui de l’excellence. La recherche fondamentale est indispensable pour asseoir le prestige international de l’institution et attirer les meilleurs professeurs. La recherche applicative est essentielle si l’on continue, à juste titre, de voir l’X comme une école d’ingénieurs. Le document présenté ci-contre répond à cette question essentielle.
Socle commun
L’École devra veiller à assurer la cohérence de la formation polytechnicienne. Suivre un itinéraire polytechnique, c’est d’abord acquérir, durant les premières années à Palaiseau, les outils nécessaires à la réelle pluridisciplinarité que requiert la complexité du monde d’aujourd’hui et que les élèves, dans leurs dernières années à Palaiseau, apprendront à pratiquer. Aussi l’X doit-elle redéfinir ce socle commun de savoirs et de compétences qui, à sa naissance, en était la caractéristique originale.
Le rattachement au ministère de la Défense présente plus d’avantages que d’inconvénients.
© ÉCOLE POLYTECHNIQUE/J. BARANDE
Tutelle militaire
Inévitablement, la question de la tutelle de l’École se posera. Le rattachement au ministère de la Défense présente plus d’avantages que d’inconvénients. Notamment, il apporte aux élèves un environnement de qualité, dont un encadrement humain qui n’a pas d’équivalent dans les autres institutions d’enseignement supérieur françaises ou étrangères : il faut donc le conserver.
D’autre part, il serait de l’intérêt général que la défense de la nation retire beaucoup plus de l’École avec le recrutement de cadres du plus haut niveau et de compétences multiples, et surtout qu’elle développe des partenariats privilégiés avec certains laboratoires de l’École.
Le pilotage de ces réformes implique que l’X se dote d’une gouvernance professionnelle du meilleur niveau. Ce qui exige d’attirer à sa tête une personnalité exceptionnelle qui saura s’entourer d’une équipe pleinement légitime à l’intérieur comme à l’extérieur, et qu’elle dispose des moyens matériels et humains nécessaires.
Contrats « Défense »
Le ministère de la Défense devrait proposer à chaque personnel travaillant sur le site de l’École un contrat personnel. Un tel contrat définirait de manière précise les droits et obligations des personnels travaillant sur le site : avantages propres à un campus moderne, devoir de réserve, participation à la vie de l’École et à l’encadrement des élèves, contribuant ainsi à ce que, dans la formation des élèves en quatre ans, les laboratoires et les structures associées jouent un rôle accru. Ainsi, à l’X, l’enseignement et la recherche cesseraient enfin d’être des domaines disjoints.
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Où est le privé ?
Une grande partie des polytechniciens sont employés dans le secteur privé, internationalement ou nationalement, dans la recherche aussi bien que dans la gestion. Il est étonnant qu’il n’y ait pas un mot à ce sujet dans ce rapport. Et c’est encore plus étonnant quant on connaît le rôle fondamental du privé dans les meilleures universités (dont une incarnation récente est la recherche translationnelle). Il me semble que la première chose à faire est de revoir ce rapport en considération du rôle économique de l’école, et peut-être d’autres rôles (politique?) qui me sont moins familiers, ayant moi-même fait une carrière aux États-Unis dans la recherche privée. Cette myopie datée curée en ajoutant des auteurs informés sur le sujet, on fera face à une véritable perspective d’avenir concurentielle.
Réponse à Bertrand Du CASTEL qui déplore que l’on ne parle guère
Nous n’avons pas souhaité nous référer au modèle historique de l’X, pourvoyeuse des cadres supérieurs de la Nation, fonctionnaires ou pas, ce qui est connu de tous. Pour nous, une institution d’enseignement supérieur forme les talents pour des emplois extrêmement variés.