Comment financer les politiques d’adaptation
Au niveau international, certains fonds, comme le Fonds spécial pour le changement climatique ou le Fonds d’adaptation, mis en place par la CNUCC (Convention des Nations unies pour le changement climatique) ont vocation à financer des solutions d’adaptation. Mais ils sont largement insuffisants car ils ne disposent globalement que d’un demi-milliard de dollars seulement au total (et non annuellement) et ne concernent que les pays en voie de développement (PVD).
Beaucoup de solutions exigent des capitaux importants. Comment les financer dans le contexte actuel de crise économique avec une rareté des ressources financières, notamment publiques ?
REPÈRES
Le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) soulignait dès 2007 le besoin d’adaptation des sociétés, et diverses études l’ont chiffré à plusieurs dizaines de milliards annuels au niveau mondial, voire plus de cent milliards de dollars annuels pour certaines. Parmi les solutions proposées, certaines sont dites « douces » car peu coûteuses, fondées sur des mesures organisationnelles ou réglementaires (par exemple la création d’un système d’alerte et d’évacuation des populations). D’autres sont dites « dures » au sens où elles exigent beaucoup de capitaux immobilisés et de matériaux (par exemple, la construction d’une digue).
Un nouveau financement pour les PVD
Modifier les constructions
Les solutions coûteuses d’adaptation au changement climatique concerneront principalement les infrastructures, du fait de leur grande durée de vie et de leur besoin élevé en capitaux. Ces solutions consisteront le plus souvent à modifier la construction prévue ou existante de l’infrastructure, donc en engendrant un surcoût, ou à en construire de nouvelles. Ce surcoût ou ce coût de la construction neuve pourra être financé dès l’investissement initial ou par des revenus supplémentaires réguliers au cours de la durée de vie de l’infrastructure.
Le nouveau Fonds vert pour le climat créé par la CNUCC suite à la conférence de Cancún en 2010 devrait pouvoir financer plus de projets, grâce à son abondement de cent milliards de dollars annuels d’ici 2020. Il ne devrait, en revanche, financer que des projets dans les pays en développement, et à la fois couvrir des actions de réduction des émissions et d’adaptation, mais la clé de répartition entre les deux n’est pas encore définie. De plus, ce financement de l’adaptation sur le long terme reste encore à garantir. Quant aux banques de développement, autres acteurs financiers utiles pour l’adaptation, elles agissent envers les pays en développement plutôt sous forme de prêts bancaires à des taux avantageux.
La clé de répartition entre actions de réduction et adaptation reste à définir
Du fait du contexte économique et des contraintes portant sur le budget des États et des collectivités, de nouvelles sources de financement des solutions d’adaptation, notamment recourant au secteur privé, sont à trouver (en plus bien sûr d’une optimisation économique de ces solutions).
Afin de ne pas brouiller le raisonnement avec les questionnements sur le lien entre adaptation-développement et adaptation- équité entre pays développés et en développement, nous ne traiterons ici que du cas du financement des solutions coûteuses d’adaptation dans les pays développés et ne reviendrons pas sur le processus de choix des solutions d’adaptation retenues.
L’INVESTISSEMENT INITIAL
Le recours classique à l’emprunt est toujours possible, avec éventuellement un système de bonification si l’État le décide, mais dans le contexte de rareté des ressources publiques, d’autres solutions peuvent être étudiées comme le développement des partenariats publicprivé, l’utilisation des project bonds, ou un système de tiers investissement.
Partenariat public-privé
Les partenariats public-privé (PPP) consistent à lier dans un projet, ou via une entreprise créée pour porter le projet, un ou plusieurs acteurs publics avec un ou plusieurs acteurs privés.
Intéresser les investisseurs socialement responsables
Deux avantages pourraient justifier le recours à ce montage pour mettre en œuvre des solutions d’adaptation : attirer des capitaux privés pour préfinancer le projet et ne pas pénaliser le budget du secteur public (l’acteur public ou l’usager remboursant ensuite au fur et à mesure l’investissement initial), bénéficier de l’expertise technique et économique du secteur privé pour notamment inciter le partenaire industriel à optimiser la robustesse de l’infrastructure aux risques climatiques.
Le recours aux PPP ne présage pas du niveau final de protection contre les impacts du changement climatique, mais permet en théorie de se rapprocher du niveau de protection optimal acceptable (car défini en fonction des possibilités techniques de l’infrastructure et des conditions financières acceptées par l’acteur public), et d’un système de préfinancement utile pour les finances publiques
Obligations particulières
Couvrir un risque spécifique
D’autres mécanismes liés au système assurantiel sont aussi à l’étude ou envisageables. Une modification, sur le même principe que celui décrit précédemment, du système des cat bonds (obligations liées à la survenue de catastrophes naturelles), pourrait servir à lever des fonds, mais avec des taux d’intérêt plus faibles si des actions de prévention sont mises en place.
Une modification des outils financiers existants, dits « dérivés climatiques », permettrait une couverture financière d’un risque spécifique lié au climat futur.
Les project bonds constituent une autre solution, complémentaire. Ce sont des obligations, donc des titres négociables de créance, adossées à un projet en particulier. Ils permettent de lever du capital à leur émission, avec des conditions de remboursement fixées contractuellement.
Des projets d’adaptation au changement climatique pourraient être l’objet de ces obligations, qui pourraient alors être considérées comme « vertes » (green en anglais) et intéresser ainsi plus d’investisseurs, notamment les investisseurs socialement responsables qui intègrent des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leurs choix d’investissement. Ces green project bonds pourraient ainsi permettre une diversification des sources de financement, voire bénéficier d’un avantage financier en offrant un taux d’intérêt plus faible aux investisseurs qu’une obligation classique.
Éviter les coûts ultérieurs
Plus innovant, un système de « tiers investissement », où un tiers paye ex-ante une protection ou un aménagement et se rémunère sur les coûts évités par la suite, peut également être envisagé.
Ce cas de figure peut exister notamment si le projet d’adaptation permet également ex-post une réduction de la consommation d’un consommable (énergie, eau, etc.). Le surcoût initial peut alors être couvert, en totalité ou en partie, par l’économie de consommation réalisée. La mise en place de ce système est cependant assez complexe pour l’instant.
Régions affectées par le changement climatique et exemples d’impacts directs possibles au cours du XXIe siècle |
Les impacts indirects du changement climatique sur divers secteurs économiques, dus par exemple à la dégradation des écosystèmes marins et continentaux, ne sont pas représentés. Source : Mission Climat d’après le GIEC, Météo France, l’OCDE et le Conservatoire du littoral. |
DES MONTAGES INNOVANTS
L’accès au capital initial sera d’autant plus aisé que des solutions seront mises en place pour garantir son remboursement (et même son financement car, in fine, c’est bien souvent l’utilisateur-bénéficaire final ou le contribuable qui « paie » réellement l’infrastructure). Cela peut ainsi passer par la génération de revenus supplémentaires au cours de la vie de l’infrastructure.
Une taxe locale
Un premier exemple repose sur l’instauration d’une « taxe locale » pesant sur le contribuable, le propriétaire ou l’usager. Selon les cas, il pourrait s’agir d’une augmentation classique d’un tarif, pour couvrir les surcoûts nécessaires liés à l’adaptation (par exemple l’augmentation du péage d’une autoroute devant assurer des travaux de rénovation pour augmenter sa résistance aux impacts, ou l’augmentation de la taxe foncière des propriétés privées pour financer des digues de protection) ou de la création d’une nouvelle contribution, selon les compétences administratives et juridiques de la collectivité locale concernée.
Trois des grandes difficultés de ce mécanisme sont : la définition du niveau optimal de la taxe, générant suffisamment de revenus pour financer le projet concerné ; la définition d’un taux d’actualisation pertinent qui permette de ne pas sous-estimer l’importance des futurs revenus et coûts évités ; son acceptabilité sociale.
Si le projet relève plus du secteur privé, une augmentation du prix de vente sera à envisager, mais au prisme également des questions précédentes : le niveau de l’augmentation, le taux d’actualisation retenu et son acceptabilité par le consommateur.
Un système assurantiel plus incitatif
L’assurance est une solution d’adaptation qui aide à supporter le risque climatique
L’assurance est une solution d’adaptation, au sens où elle aide à supporter le risque climatique en le transférant au secteur privé, et en le répartissant entre les acteurs. Elle permet aussi parfois de financer la reconstruction après les dégâts.
Des réflexions sont en cours entre les assureurs et les décideurs publics pour améliorer ce système et inciter à prendre des mesures de prévention en modulant la prime d’assurance en fonction du niveau d’exposition au risque : en se protégeant mieux contre les événements climatiques, le coût de l’assurance pourra être diminué. S’il est mis en place, ce système d’assurance aidera au financement de la mesure de prévention prévue, à hauteur de la diminution de la prime d’assurance engendrée.
TROIS TYPES D’OUTILS
Pour lutter contre les impacts du changement climatiques et dans les cas où il se révélerait justifié de recourir à des solutions « dures » d’adaptation nécessitant de forts capitaux, trois types d’outils de financement complémentaires pourront être recherchés : des outils pour lever le financement initial (prêts, PPP, bonds), des outils pour percevoir des revenus au fil du projet et rembourser l’investissement initial (taxes adaptées ou créées, apport de quotas de CO2, etc.) et des outils de couverture financière en cas de réalisation de l’aléa climatique (assurance, cat bonds).
La solution retenue dépendra des acteurs publics et privés
Étant donné les montants en jeu et la diversité des situations, toute cette panoplie d’instruments financiers sera à exploiter, mais la solution retenue dépendra principalement des acteurs privés et publics impliqués, qui connaissent le contexte particulier local dans lequel se situe le projet, et qui aident au montage d’un projet et à la composition du financement.
La demande de ces nouveaux outils ou l’adaptation des outils existants devraient être assez élevées pour que l’ingénierie financière les développe, à condition aussi que leur rentabilité et les incitations étatiques soient suffisantes.
L’auteur remercie en particulier Romain Morel et Cécile Bordier (CDC Climat Recherche), Sabrina Archambault (AFD), F. Lecocq (CIRED) et Thomas Sanchez (CDC) pour leurs commentaires pertinents. Elle assume seule l’entière responsabilité de toute erreur ou omission.
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Le chaînon manquant est dans le système monétaire
Dommage que le dernier rapport du club de Rome ne soit pas encore bien connu de ceux qui sont les premiers à pouvoir en bénéficier et le promouvoir ! La clé du développement durable est dans le système monétaire : tant que nous raisonnons dans un cadre classique, c’est à dire sans tenir compte de la monnaie et de sa variété potentielle, nous n’irons pas très loin et ne sortirons pas de la faille structurelle de nos sociétés : la monnaie monopolistique et fondée sur une dette bancaire doit être urgemment complétée par des monnaies locales, régionales, nationales et mondiales. Ce n’est pas contre l’euro, mais en complément.
Ainsi une collectivité peut trouver un outil pour débloquer les énergies qui n’attendent que le bon système pour se mettre en oeuvre. Une panoplie de solutions s’ouvre à tous ceux qui veulent enfin œuvrer strucurellement à un autre monde, durable, sans dette qui s’amoncelle de manière exponentielle avec des intérêts composés (intérêt des intérêts).
Référence : Money & Sustainability – The missing link, Triarchy Press, 2012, par Bernard Lietaer, Christian Arnsperger, Sally Goerner et Stefan Brunnhuber. Vient d’être traduit en français sous le titre : “Halte à la toute puissance des banques”, Odile Jacob, Nov 2012.
Videos et livre consultable sur money-sustainability.net
Un livre incontournable pour ceux qui veulent comprendre pourquoi nous luttons sans succès contre le court termisme, les crises à répétition et la fascination de l’argent. Urgent et indispensable. Sans cela, on ne fait que lutter contre le courant tout en ne cherchant pas d’où il vient.
Cordialement, BdH