Comment partager un grand marché ? L’Europe vingt ans après
Il y a vingt ans les États membres de la Communauté européenne ont décidé de construire un marché unique. Les polytechniciens voulaient alors faire de l’Europe la puissance industrielle du XXIe siècle. Ils avaient raison. Le grand marché et l’euro sont des réalisations extraordinaires sans lesquelles nous serions aujourd’hui perdus dans la compétition mondiale. Mais l’intégration est insuffisante, et les nouvelles politiques industrielles sont dans les limbes. Je vais plaider ici pour l’achèvement du grand marché et montrer qu’il n’est possible qu’avec la mise en place de biens publics européens et une cohérence des choix publics et privés, qui appellent un nouvel « Acte unique » communautaire.
Libéralisation sans intégration ?
La révolution informationnelle a bouleversé le paysage. Les produits incorporent de plus en plus de services et les services s’industrialisent : les activités se recomposent (InduServices). La chaîne de création de valeur est internationalisée ; l’innovation relie idées et marchés par-delà les frontières ; la technologie et les réseaux se partagent. Dès lors, la demande de services connaît une croissance très forte et, nouveauté historique, le commerce international de services est en plein essor.
Le moteur, c’est l’investissement direct à l’étranger, la construction des réseaux logistiques et informationnels des multinationales. Les échanges se multiplient pour la finance, le business, la communication. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas l’OMC qui impose le libre-échange. La négociation multilatérale pour les services est particulièrement difficile. La libéralisation est décidée de façon autonome par les États et par l’Union européenne.
Pourtant les mesures de libéralisation n’entraînent pas un raz-de-marée du commerce intraeuropéen. La croissance des échanges de services de l’Europe avec l’extérieur, surtout dans l’espace transatlantique, est beaucoup plus rapide que celle du commerce intérieur. Il est en proportion deux à trois fois inférieur à celui que connaissent les États-Unis. Les firmes étrangères utilisent mieux le grand marché que nous-mêmes. Pourquoi ?
Rappelons-nous les quatre modes possibles pour l’échange des services : investissements à l’étranger ; circulation des consommateurs ; des travailleurs ; commerce électronique. Seul le premier est réellement libéralisé. La circulation des travailleurs et des consommateurs est faible (tourisme excepté) : la nationalité nous enferme. L’espace reste fragmenté ; les masses d’investissements nécessaires pour des réseaux transeuropéens font défaut ; l’échange transfrontières est abusivement coûteux.
Les États-Unis ont conduit une stratégie de compétitivité très agressive axée sur un leadership mondial de la finance et des services aux entreprises. La Grande-Bretagne trouve une spécialisation sur les mêmes créneaux. L’Union ne parvient pas à créer les synergies, mobiliser les projets pour un développement InduServices tirant parti du grand espace. Comment ne pas stigmatiser l’irresponsabilité de ses membres ? Une certaine connivence relie les États et leurs « champions » : vendre et s’installer ailleurs, oui, ouvrir « son » territoire, non (cf. énergie, finance…). Des restructurations, des réseaux, des mobilités d’intérêt mutuel et européen sont nécessaires pour l’intégration industrielle ; ainsi que des politiques susceptibles de bâtir l’économie de la connaissance et du développement durable.
L’Union doit se donner les compétences et les ressources pour assumer ces enjeux.
Vers un droit positif européen ?
Explorons pas à pas la question du marché des services. Chateaubriand a écrit qu’en France, tout commence et tout finit par des chansons. Dans l’Union européenne, tout commence et tout finit par le droit.
La libéralisation n’a été entreprise que dans un petit nombre de secteurs : l’énergie, les communications, les transports, les services financiers. Les premiers « paquets » de directives ont ouvert l’accès des tiers aux réseaux nationaux et les États ont créé des régulateurs plus ou moins indépendants. Pour les autres secteurs les barrières administratives perdurent. M. Bolkestein (ancien commissaire européen chargé du marché intérieur) a voulu accélérer les choses par une directive horizontale, fondée sur le principe du droit du pays d’origine.
C’est un levier qui force l’ouverture des espaces nationaux, mais qui remet en question les règles nationales d’ordre public.
Le Parlement européen et le Conseil, comme c’était prévisible, ont corrigé la copie. Le principe du droit du pays d’origine est écarté, mais celui du pays d’accueil est encadré : les règles intérieures devront être justifiées (santé, environnement…), et respecter des principes de non-discrimination, nécessité et proportionnalité. Des guichets uniques nationaux seront créés permettant aux prestataires extérieurs de disposer des informations nécessaires en un seul lieu.
Le droit national du travail continuera de s’appliquer. Les risques de dumping social sont exagérés et les problèmes de mobilité transfrontières demeurent sans réponses satisfaisantes. En fait les intérêts sociaux s’opposent. Les petites entreprises des nouveaux pays membres cherchent à accéder aux marchés des anciens, c’est nécessaire pour développer l’emploi. Les pays développés leur refusent l’entrée bien que leurs propres entreprises soient déjà établies à l’extérieur et qu’ils soient exportateurs nets de services. La protection des « acquis » intérieurs ignore la réciprocité et la solidarité.
En l’état, ce texte va faciliter la liberté d’établissement des firmes et des professions libérales à l’étranger. Compte tenu de leurs avantages comparatifs, la Grande-Bretagne et les Pays-Bas pourraient être les principaux bénéficiaires.
Les Services d’intérêt général (SIG) ont été placés hors du champ de la directive, qui concerne principalement les services juridiques, informatiques, logistiques et de distribution. Les traités ont établi un Yalta : le droit est européen pour le marché et la concurrence, mais chaque État est maître chez lui pour les SIG. Nulle part les traités ne définissent les SIG. Mais ils disent que les Services d’intérêt économique général (SIEG) – non plus définis – sont soumis aux règles de la concurrence, sauf dérogations. Qu’est-ce qui est « économique » et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Mystère. Face aux conflits d’intérêts qui se sont développés, la Cour de justice et la Commission européenne ont le pouvoir de décider des éventuelles dérogations.
Le Parlement européen (PE) souhaite définir lui-même les principes. Les rapports Langen (2001) et Herzog (2004) ont réuni une majorité en faveur d’une législation. Mais la Commission européenne, qui dispose du monopole d’initiative, cache son refus derrière des atermoiements. Les votes négatifs sur le projet de Traité constitutionnel n’arrangent rien. Ce projet appelle explicitement à légiférer sur les SIEG, et il constitutionnalise la Charte des droits fondamentaux qui inclut l’accès aux SIEG.
Une législation devra accorder les violons. Pas simple : les missions et les modes d’organisation diffèrent profondément d’un pays à l’autre. Service public en France : l’État est garant d’une bonne prestation. Public utilities en Angleterre : soyons pragmatiques, une régulation doit permettre l’accès de tous. Daseinvorsorgen en Allemagne : il s’agit de services de prévoyance sociale, accessibles à proximité. Services d’État dans les anciens pays communistes : on servait l’État, pas les usagers. Les États veulent garder leurs prérogatives. La société civile, les villes et régions craignent une directive cadre où « Bruxelles » imposerait des Obligations de service public (OSP).
Dans un premier projet de rapport au PE, j’avais proposé de bâtir des biens publics européens : ce fut un tollé général à droite comme à gauche. J’ai dû ajuster le tir et n’ai trouvé un relatif consensus que sur un compromis : réduire la pression du marché et de la concurrence pour accroître la liberté d’administration décentralisée. Mais je demeure convaincu qu’à côté des SIG locaux, régionaux, voire nationaux, il faut aussi des biens publics européens, par exemple pour que les jeunes acquièrent, par jumelages, une éducation européenne dès le collège ; pour la santé publique et l’information (bibliothèque numérique européenne) ; pour des réseaux transeuropéens de transport « propre » (ferroutage et fret marchandises) et de transit énergétique (interconnexions) ; pour les paiements transfrontières et la compensation-livraison des titres financiers… Autant de projets qui appellent l’action.
Le travail du Parlement européen a néanmoins ébranlé les positions dogmatiques. La distinction des traités entre les SIG dits « économiques » parce qu’existe un marché, et ceux qui ne le sont pas, apparaît ridicule quand le marché, l’administration publique et l’économie sociale sont de plus en plus imbriqués. Le financement public pour les services locaux, le logement social, les hôpitaux est désormais admis ; les OSP pour les infrastructures de réseaux et la promotion des « services universels », également.
Mais faute de choix collectifs partagés par les Européens, le déséquilibre subsiste en faveur du marché. Ainsi, l’Union décide de la fin du « domaine réservé » (hors concurrence) pour la Poste, sans avoir donné une définition substantielle du Service universel (SU). Dans l’électricité, l’État-nation peut décider d’une tarification à un prix abordable. Mais la Commission accuse la France de dresser barrière à l’entrée avec des prix bas ! Certes le tarif doit couvrir les coûts réels, mais comment accuser de fausser le marché quand il y a huit marchés différents dans l’Union et quand on ne sait pas où est le prix, la Commission elle-même enquêtant pour suspicion de « prix malhonnêtes » ? Elle milite pour la dé-intégration des monopoles nationaux (séparation des activités de production, commercialisation, distribution et transit) afin d’imposer la concurrence. Cela n’assurerait pas pour autant l’investissement dans des réseaux transfrontières ni une tarification raisonnable du transfrontières, en raison des divergences d’intérêts nationaux et de l’absence d’un régulateur au niveau de l’Union.
Vers une régulation européenne ?
Supprimer des rentes de monopoles pour faire place à l’innovation de marché, c’est bien, mais réciproquement la concurrence devrait respecter des logiques de « bien public ». L’expérience anglaise de libéralisation fait une large place à la « régulation », même si en la matière les bons modèles ne sont pas encore trouvés. Dieter Helm, économiste anglais, définit la régulation comme la combinaison de règles, d’incitations et de coordinations, visant à garantir à la fois une concurrence effective et le respect de choix collectifs sociétaux et environnementaux.
Au niveau de l’Union européenne, c’est particulièrement difficile, la politique de concurrence n’est pas conçue pour faire face à une situation de compétition très monopolistique, et ni les modèles ni les structures de régulation ne sont au point. Cela étant, secteur par secteur, les chantiers sont ouverts. Petite revue de détail.
Pour l’énergie, les transports et les télécommunications, de gros efforts ont été engagés mais il est difficile de nier les défaillances de marché. Les prix augmentent, les investissements manquent, les échanges transfrontières sont pénalisés par le niveau des tarifs et l’insuffisance des interconnexions. La Commission veut lever ces obstacles en accentuant sa politique de concurrence. Ainsi pour l’énergie elle veut une séparation patrimoniale entre les producteurs et les opérateurs de réseaux (unbundling). Mais cette dé-intégration pourrait compliquer la sécurisation des investissements à long terme, donc la sécurité d’approvisionnement. Peut-être serait-elle justifiée s’agissant de l’électricité. C’est plus compliqué pour le gaz parce que les coûts de transports sont beaucoup plus élevés et les contrats à long terme sont nécessaires pour un pays qui ne dispose pas de ressources ou en est éloigné. Cela étant, ne nous laissons pas tirer en arrière par les nostalgiques des monopoles nationaux. On croit rêver quand on entend parler de la renationalisation d’EDF-GDF. Monopole à l’intérieur, capitaliste à l’extérieur : quelle éthique ! Et qui peut croire que la France pourra renouveler son parc nucléaire sans alliances industrielles et financements de marché, et assurer sa sécurité d’approvisionnement gazier en méprisant les règles de la concurrence qu’elle a signées !
Les problèmes combinés des prix, du climat et de la sécurité d’approvisionnement obligent à mettre en place une Communauté de l’énergie dont le socle sine qua non est un grand marché régulé. Les États devront assumer une complémentarité des choix des sources pour un mix énergétique viable et pour l’efficacité énergétique. Ainsi l’objectif de 20 % de la part des renouvelables pourrait être remplacé par celui de 60 % pour une énergie sans carbone, impliquant l’acceptation du nucléaire, à condition de partager la sûreté et le traitement des déchets, et du charbon, à condition de capter le CO2. L’objectif d’un réseau européen sans coutures ni effets de frontière pourrait légitimer la transformation des grands opérateurs de réseaux en public utilities soumis à un régulateur européen. Et cela permettrait aussi de disposer d’une unité d’action face au géant russe et aux autres puissances.
Dans les transports terrestres, où les problèmes sont comparables, les résistances sont encore plus fortes. Il paraît aberrant que nos cheminots soient régulièrement en grève contre l’Europe de la concurrence, alors que les concurrents extérieurs ne pénètrent pas chez nous, et que le rail peut avoir un formidable avenir dans ce petit continent. Il faut s’armer de l’impératif écologique : on doit réduire massivement les émissions de CO2, et pour cela l’objectif n° 1 est une politique de transport propre. Les infrastructures transfrontières de fret et de ferroutage devraient être développées et gérées comme des biens publics ; les mutations des transports urbains et de la logistique activées dans une perspective de développement durable. Pour les télécommunications, l’Union a su mettre en place des normes communes, par exemple pour les téléphones mobiles. Mais la régulation reste enfermée dans l’espace national. La duplication des investissements a provoqué une crise dans l’industrie, qui ne sait pas combiner contenus et contenants, le besoin de politiques de la demande informationnelle étant évident.
La santé ne fait pas l’objet d’une directive de libéralisation. Son financement repose sur les régimes nationaux de sécurité et de protection sociale. Mais les problèmes de santé publique dépassent les frontières et chaque État est confronté au casse-tête de l’efficacité des régimes. Un marché unique des médicaments est à bâtir. La circulation des patients et des personnels de santé doit être favorisée ; elle appelle des dispositifs de partage des coûts ; les coopérations transfrontières public-public, public-privé, également.
S’agissant des services sociaux personnels, l’exigence de proximité n’est pas contestable, et elle ne s’oppose pas à l’innovation. La traditionnelle notion de « tiers secteur » entre marché et État n’est plus adaptée, et d’ailleurs après un gros effort de prise de conscience les associations et les mutuelles à but non lucratif assument le fait qu’elles sont prestataires sur le marché. Ce qu’elles demandent, c’est l’introduction de règles de respect de la diversité des types d’entreprises.
L’Union a forgé un important droit de l’environnement, il en découle des objectifs de qualité et des principes de gestion que chaque État doit respecter. Cela étant, l’organisation des services est essentiellement locale et régionale, notamment pour le traitement des eaux et des déchets. Pour l’instant des directives de libéralisation sont écartées. Ce qui n’empêche pas la pénétration des grands opérateurs privés, mais faute de solidarités transfrontières et compte tenu du coût des investissements, les inégalités régionales sont considérables.
Dans les services informationnels, les problèmes de régulation sont posés à l’échelle mondiale : ainsi Internet est un bien public mondial régulé par une entreprise privée américaine ! L’Union est divisée par la barrière des langues mais surtout par des États soucieux de préserver une tutelle sur « leurs » citoyens. Il y a besoin de télévision et de cinéma européens car la circulation des informations et des œuvres entre les nations, qui permettrait de créer un espace public et culturel commun, reste très pauvre.
Les premières fondations d’un marché européen des services financiers ont été créées, grâce à la procédure Lamfalussy, qui repose sur la consultation des professionnels et la coopération des régulateurs nationaux. Les « marchés de gros » ont progressé, mais les « marchés de détail » de la banque et des assurances restent profondément nationaux.
L’intégration financière est une question cruciale pour l’utilisation du grand marché et la dynamisation de l’Union économique. En effet, sortir de la balkanisation des systèmes nationaux permettrait d’abaisser fortement le coût du capital et de générer les innovations susceptibles de financer les projets transfrontières.
L’intégration financière est aussi nécessaire pour faire face au défi démographique, résoudre les problèmes des retraites et faire entrer les jeunes dans une société de la connaissance.
En mutualisant nos ressources et en partageant les risques, nous pourrions résoudre ces problèmes, d’où un agenda ambitieux. Dépasser la logique des champions nationaux avec la formation d’acteurs financiers opérant à l’échelle européenne – banques, assurances, fonds de private equity, fonds de pension -, avec des public utilities pour les paiements et le back office des titres ; une régulation européenne, atout essentiel dans la compétition mondiale en matière de finances ; l’harmonisation de la protection des consommateurs et de la fiscalité de l’épargne.
Vers un capitalisme partenarial européen ?
On m’objectera : cela n’est pas réaliste. Je n’ai qu’une réponse : appuyons-nous sur l’expérience, toutes ces questions sont sur la table. Ce qui manque c’est l’esprit de partage des responsabilités.
Les États ont signé pour le marché et s’y opposent ; ils accusent la Commission qui fait son travail mais sans mandat ni compétences adéquates.
Côté entreprises, il y a aussi un double jeu. Beaucoup veulent la liberté complète d’aller ailleurs tout en demandant des appuis à « leur » État. La France défend ses champions nationaux. La Grande-Bretagne prétend être ouverte à tous les actionnaires extérieurs, pourtant son gouvernement s’oppose à l’entrée d’investisseurs russes – à juste titre, faute de réciprocité -, et la Bourse de Londres exige de garder l’appui d’une régulation spécifiquement britannique. Ainsi ce que les marxistes appelaient le « capitalisme monopoliste d’État » (national) n’est pas mort.
Il faut maintenant un saut qualificatif pour achever le grand marché : des plans sectoriels dans les domaines stratégiques, des public utilities pour les réseaux transfrontières, une harmonisation fiscale… Cela inciterait les entreprises à mieux exploiter les potentiels du marché intérieur. Mais on devra aussi expliciter leur part de coresponsabilité avec les institutions publiques. Elle est évidente pour l’économie de la connaissance, les plates-formes technologiques, les projets stratégiques que n’assument pas le marché (cf. Galileo), la création et la gestion des grands réseaux…
Voici quelques éléments du cadre nécessaire pour créer ainsi des identités européennes d’entreprises.
1) Les restructurations devront être discutées et choisies en fonction de l’intérêt industriel. Elles ne seront pas pilotées par les seuls investisseurs globalisés et n’obéiront pas à la logique stérile des champions nationaux. La viabilité du projet fera appel à des pactes d’actionnaires stables, où des fonds collectifs paneuropéens devront jouer un rôle éminent. Il faut donc rouvrir le chantier des règles des OPA et de la gouvernance.
La diversité des types d’entreprises est un atout essentiel. Les mesures de libéralisation mettent en cause les monopoles nationaux, mais elles n’obligent pas à privatiser les entreprises publiques. Mais celles-ci ont des besoins de financement qui les conduisent vers le marché. Bruxelles les traite alors comme les autres entreprises commerciales. Un défi pour l’avenir est la formation d’entreprises pouvant rester mixtes, à la fois commerciales et de service public.
2) La formation d’un marché européen du travail est nécessaire : il s’agit de développer des mobilités qualifiantes et de réussir les restructurations. Des conventions collectives européennes sont nécessaires, et une cogestion de ressources mutualisées pour sécuriser les parcours. Dans beaucoup de pays, les fonctionnaires sont devenus des agents comme les autres, couverts par des conventions collectives. La mobilité transfrontières des agents publics doit aussi être organisée.
Tout cela est en rupture avec la vieille culture de préférence nationale pour l’emploi.
3) Le développement des partenariats public-privé (PPP) est une immense opportunité. Des centaines de milliards d’euros d’investissements publics et privés aujourd’hui en souffrance pourraient être réalisés ; on pourrait diffuser l’innovation et créer des réseaux en partageant les risques. Les PPP se complexifient : ni marchés publics ni privatisations, ils associent durablement des entreprises et des collectivités publiques. Qui porte la dette ? Les risques sont-ils bien répartis ? Les collectivités publiques sont souvent en asymétrie d’information, elles doivent se doter d’une capacité de contractualisation et de cogestion. Les États ne peuvent plus décider seuls des investissements publics qui structurent l’avenir.
4) Les collectivités territoriales joueront un rôle croissant. La mondialisation entraîne la déterritorialisation d’activités, mais elle permet aussi de nouvelles localisations, et la capacité d’innovation est essentielle pour relier idées et marchés. Cela appelle l’intégration locale à des réseaux transfrontières, et impose la proximité aux prestataires de marché. L’Union devrait favoriser la multiplication des coopérations interrégionales frontalières et transfrontières. Il faut empêcher les États de renationaliser les politiques régionales et de réduire les fonds structurels. Ils n’ont pas compris que l’objectif de cohésion sociale et territoriale dans la stratégie de Lisbonne est un facteur essentiel de la compétitivité globale.
En 1986, l’Acte unique c’était : un objectif, le marché unique ; un horizon, 1992 ; une méthode, le vote à la majorité qualifiée. Vingt ans après l’objectif n’est pas atteint. Le réseau associatif Confrontations Europe, que je préside, propose aujourd’hui un Nouvel Acte unique. Objectifs : achever et partager le grand marché ; élaborer des politiques communes pour la société de la connaissance et le développement durable ; doter l’Union d’une capacité de prospective et de politique macroéconomique. La méthode fera appel à un agenda précis et à un vote majoritaire, ainsi qu’à la mobilisation des acteurs économiques et sociaux. Des outils seront créés pour les partenariats, avec un véritable budget.
L’identité européenne n’a rien d’évident : elle se construit à l’épreuve de l’altérité. Tous les jeunes devraient pouvoir devenir européens par les échanges scolaires. Les travailleurs devraient pouvoir améliorer leur compétence et leur qualification grâce à la mobilité sur un marché du travail européen. Chacun devrait pouvoir participer à des coopérations interrégionales, accéder à des biens publics transeuropéens, inscrire ses projets de vie dans l’espace commun. Voilà la perspective politique ; elle seule donnera sens au marché et au droit, qui sont si difficiles à partager **.
** Cette proposition est présentée dans La Lettre de Confrontations Europe n° 77. Confrontations Europe, 227, boulevard Saint-Germain, 75007 Paris. Tél. : 01.43.17.32.83. www.confrontations.org