Comment peut-on être birman ?
Quand la rédaction change d’horizon…
Pour cette rubrique, nous invitons nos camarades qui auraient séjourné à l’étranger, de préférence pour raisons professionnelles, à nous soumettre des articles décrivant leur périples et racontant les pratiques locales.
Proscrits par la junte militaire , les deux-roues restent peu nombreux.
Mardi 2 décembre à 10 heures et demie, aéroport de Yangon. Une foule dense et bigarrée s’agglutine devant les guichets du contrôle de police. Les rares voyageurs birmans passent par un guichet réservé. Les autres voyageurs sont des hommes d’affaires et des familles d’origine chinoise, thaïlandaise, indonésienne ou malaisienne et quelques touristes.
Les contrôles, qui se déroulent sous le regard de chefs soucieux de justifier leur présence, sont minutieux et d’une lenteur exaspérante. Il faut plus d’une heure et demie au petit groupe dont je fais partie pour franchir ce barrage et monter dans le car qui nous conduit à notre hôtel.
La Birmanie, enfin ! Ou plutôt le Myanmar, car il faut bien effacer les traces de la présence britannique.
Des deux-roues en petit nombre
Nous mettrons près d’une heure pour atteindre notre destination au milieu des embouteillages quasi permanents de l’ancienne capitale Rangoon, rebaptisée Yangon.
La ville tracée par les urbanistes anglais est sillonnée d’avenues aussi larges que vertes, mais on y roule à droite. Et surtout, les deux-roues y ont été proscrits par la junte militaire qui craignait des attentats. Cet interdit qui visait l’ancienne capitale Rangoon a eu comme effet de limiter la diffusion des deux-roues motorisés : ici pas de hordes de motocyclistes comme à Hanoï ou Saïgon.
Autre particularité : le parc automobile est largement constitué de véhicules d’occasion achetés dans les pays voisins, les uns ayant le volant à gauche et les autres le volant à droite. C’est ainsi que nous eûmes droit pendant deux jours à un car dont on descendait côté gauche, ce qui n’était pas vraiment rassurant.
FEMMES GIRAFES
À l’est de la Birmanie, dans l’État de Kayah, vit l’ethnie Padaung, un groupe d’environ sept mille personnes qui perpétue la tradition des femmes girafes. Celles-ci, parées au cou et aux jambes de longs colliers spirales en laiton dont le poids total peut atteindre 25 kg, sont souvent présentes sur des sites touristiques. Le gouvernement souhaite décourager cette tradition en raison de l’image qu’elle donne, alors que la tribu Padaung y voit le moyen d’attirer des touristes. Mais qui se soucie vraiment du sort de ces femmes ?
Un pays étonnament hétérogène
Limitrophe de l’Inde, du Bangladesh, de la Chine, de la Thaïlande et du Laos, le peuple birman est un mélange de plus de 130 ethnies – appartenant à huit groupes principaux – qui ont conservé leurs traditions et leurs langues. Plus de 240 langues ou dialectes sont parlés dans le pays.
Cette diversité se remarque dans les habitats et dans les costumes. Car les habitants sont encore attachés aux tenues traditionnelles : les jeans ou les jupes sont rarissimes (on en voit surtout dans les principales villes).
Les longys, sortes de longues jupes, sont portés aussi bien par les hommes que par les femmes mais sont plus travaillés dans leur version féminine. Les tissus, les couleurs et les dessins sont propres à chaque ethnie.
Donner une place aux minorités
En plus de notre guide français et du guide birman, les autorités locales nous ont imposé deux guides Pa‑o.
L’ethnie dominante est celle des Birmans, qui représentent les deux tiers des 55 millions d’habitants actuels du pays. Ce sont eux qui détiennent le pouvoir depuis 1948, mais l’épineuse question de la place des minorités est encore posée.
Avant même l’indépendance, elle a divisé les leaders du mouvement indépendantiste. Aung San – le père d’Aung San Suu Kyi – a été assassiné en juillet 1947 parce qu’il souhaitait instaurer un État fédéral permettant de protéger les minorités, ce dont les nationalistes birmans ne voulaient pas entendre parler.
Au fil des ans, la junte militaire a bien dû accepter certaines concessions et laisser s’exprimer les particularismes locaux. C’est ainsi que nous avons eu quatre guides pour visiter le site de Kakku : le guide français et le guide birman qui nous ont accompagnés du premier au dernier jour, mais aussi deux guides Pa‑o dont la présence nous a été imposée par les autorités locales.
Une économie dominée par le secteur primaire
L’économie birmane est largement dominée par l’agriculture, l’artisanat et l’exploitation des matières premières issues du sous-sol. Les exploitations agricoles sont petites et la mécanisation commence tout juste.
Les ressources minérales du pays sont importantes, avec en particulier du pétrole et des pierres précieuses. Les secteurs secondaire et tertiaire sont très peu développés, situation qui pourrait rapidement évoluer.
Longtemps, le pays est resté replié sur lui-même et a subi le boycott occidental : mais l’évolution vers une démocratie plus ouverte et l’adhésion de la Birmanie à l’ASEAN (Association of Southeast Asian Nations) transforment radicalement les perspectives de croissance. Les investisseurs affluent et les nouveaux chantiers se multiplient.
Le lent décollage du tourisme
Le tourisme est longtemps resté embryonnaire.
La mécanisation est en retard.
Si le climat politique y fut pour quelque chose, c’est surtout l’absence d’infrastructures qui a pénalisé le développement du secteur. Pour les déplacements de quelques centaines de kilomètres, l’avion est indispensable.
Les déplacements moins longs sont l’occasion de découvrir un réseau routier peu développé, mal entretenu et lacunaire. Les vitesses moyennes ne dépassent pas 30 ou 40 km/h. L’État birman, faute de pouvoir investir dans les infrastructures routières, concède leur modernisation et leur exploitation à des opérateurs privés qui se payent en installant des péages aux entrées des villes, des ponts ou de tronçons de route concédés.
Quant au train, inutile d’en parler. Sur les rares lignes à voie unique circulent des convois que les Birmans qualifient de TGV : trains à grandes vibrations.
Autre handicap, le faible nombre d’hôtels capables d’attirer une clientèle étrangère exigeante.
Des édifices religieux par milliers
Que voir en Birmanie ? Les séjours en bord de mer sont encore peu développés alors que le pays compte près de 2 000 km de côtes. Certaines zones côtières sont peu hospitalières, mais c’est surtout l’absence d’équipements qui explique ce retard.
Le nord du pays est très montagneux – avec des sommets à plus de 5 000 mètres – mais reste pratiquement inaccessible à la grande majorité des touristes en raison de l’instabilité politique et de la faiblesse des infrastructures.
La grande richesse touristique du pays repose donc sur ses innombrables temples, pagodes, stupas et monastères. Autant de témoins de ce qui est le vrai ciment du peuple : le bouddhisme, ou plus exactement le bouddhisme theravada que l’on rencontre également au Sri Lanka, en Thaïlande, au Laos et au Cambodge.
EMPLOIS TERTIAIRES
Les nombreux postes de péage que nous rencontrons sur nos trajets offrent un spectacle peu commun pour des Occidentaux habitués à une recherche permanente d’efficacité.
Chaque barrière occupe quatre personnes. Est-ce pour éviter les fraudes ou les détournements, ou pour développer l’emploi ?
De l’or partout
L’architecture de ces édifices religieux est à la fois originale et extraordinairement variée : chaque site est l’occasion de découvertes inattendues. La dévotion reste immense et les monuments remarquablement entretenus. À tel point que beaucoup de statues paraissent sortir de l’atelier alors qu’elles datent du début du second millénaire.
Une des caractéristiques remarquables de cette architecture est l’emploi massif d’or pour décorer non seulement les statues ou les intérieurs, mais aussi les toits et les pagodes.
Un or que l’on retrouve en telle quantité sur certaines statues du Bouddha que celles-ci n’ont plus de forme.
UN ANGKOR BIRMAN
À 600 km au nord de Yangon, la plaine de Bagan s’étend au bord de l’Ayeyarwaddy. Sur une zone d’environ 50 km2, plus de treize mille temples ont été construits du XIe au XIIIe siècle. À cette époque, la cité a compté jusqu’à 200 000 âmes.
Aujourd’hui, il reste un peu plus de deux mille temples pour attester de ce passé prestigieux.
Une vie monastique intense
La visite des sites religieux est l’occasion de croiser de nombreux moines, dont beaucoup de jeunes garçons. La plupart des jeunes Birmans suivent en effet une sorte de noviciat entre neuf et douze ans, période qui leur permet de compléter leur éducation et de s’initier à la vie spirituelle.
Quant aux adultes, ils peuvent choisir de mener une vie de moine mendiant pendant quelques années, sans en faire un engagement définitif.
Une troisième capitale
Les adultes peuvent choisir de mener une vie de moine mendiant pendant quelques années, sans en faire un engagement définitif.
La Birmanie compte trois capitales. Mandalay, deuxième ville du pays avec plus de deux millions d’habitants, fut la capitale royale au XIXe siècle. Elle abrite une cité royale de 4 km², cernée de huit kilomètres de douves.
Au XXe siècle, la capitale a été Rangoon, principale ville du pays avec plus de cinq millions d’habitants, une ville qui garde fortement la marque de la présence anglaise.
Mais, par souci d’asseoir son prestige, la junte militaire a créé au sud de Mandalay une nouvelle capitale baptisée Naypyidaw.
Les touristes évitent cet endroit qui, selon les journalistes, est un véritable désert. La ville est traversée par une immense avenue très large : il se dit qu’elle pourrait servir de piste aérienne pour évacuer les dignitaires du régime, au cas où.
Incontournable lac Inle
Situé à neuf cents mètres d’altitude, environné de sommets culminant à plus de 1 500 mètres, le lac Inle offre aux voyageurs un moment de détente et de dépaysement : après les pagodes, les pirogues. Long de 21 km et large de 11 km, il fait vivre quelque 70 000 Intha.
Ceux-ci habitent des cités lacustres bâties sur pilotis, et vivent de cultures maraîchères flottantes et de pêche.
Dans les eaux claires du lac, cette activité se pratique au moyen de nasses spéciales que les pêcheurs jettent sur les poissons.
Mais cet écosystème unique est fragilisé par la surpopulation et les changements dans les pratiques agricoles. Le développement des cultures fait en particulier craindre une réduction de la surface du lac.
Un calme étrange
Le 16 décembre, notre périple birman s’achève. Les sites que nous avons visités étaient anormalement déserts. Les rares touristes croisés étaient surtout français, parfois allemands ou italiens. Très peu d’Américains et d’Anglais, ce qui peut paraître étonnant dans une ancienne colonie britannique.
Une situation que nos guides ont expliquée par les craintes des voyagistes de voir s’ouvrir une période d’instabilité et de troubles après les élections libres qui ont eu lieu le 8 novembre 2015.
Celles-ci ont donné à la Ligue nationale démocratique (LND), parti d’Aung San Suu Kyi, une très large majorité au Parlement birman, et ouvrent à un des pays les plus pauvres du Sud-Est asiatique la perspective de rejoindre le peloton des pays les plus avancés de cette zone.
Mais la transition démocratique ne fait que commencer.
Les pêcheurs du lac Inle pratiquent leur activité au moyen de nasses spéciales qu’ils jettent sur les poissons.
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Photographies : © Hubert Jacquet
Commentaire
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Naypyidaw, construit pour une dictature à l’abri
Merci pour cette article !
Le raison qui explique la construction de Naypyidaw et sa transformation en capitale (à l’époque de la junte, en 2005), plus encore que le prestige, serait la volonté du général Than Schwe d’échapper à toute tentative de renversement (insurrection populaire ou attaque de l’étranger), en s’éloignant beaucoup de Yangon, et rendant la nouvelle capitale imprenable : étendue immense, rues extrêmement larges, postes de contrôles, quartiers fermés…
Remarquons que c’est une stratégie qui s’inscrit dans une certaine tradition. Louis XIV s’est précisément installé à Versailles pour s’y faire construire un palais que l’Europe entière lui envierait (réussi !), et où la monarchie serait en sécurité (moins réussi), après la Fronde qui l’avait marqué dans sa jeunesse.
En Egypte, le pouvoir militaire aujourd’hui en place pense à suivre le consternant « exemple » birman, avec les mêmes ingrédients (création ex nihilo, prestige, sécurité, démesure) : http://tempsreel.nouvelobs.com/monde/20150316.OBS4685/egypte-une-nouvelle-capitale-a-45-milliards-le-projet-fou-d-al-sissi.html
Il existe sans doute d’autres exemples, actuels ou historiques ; en voyez-vous ? En regardant http://www.lonelyplanet.fr/article/10-capitales-construites-de-toutes-pieces, je ne trouve qu’Astana qui pourrait avoir été construite pour des raisons similaires, et peut-être Islamabad.