Comment sont formés les ingénieurs aux États-Unis
REPÈRES
REPÈRES
Aux États-Unis, la formation des ingénieurs est confiée aux départements de sciences de l’ingénieur des universités. Elle s’effectue en étroite liaison avec la profession et particulièrement les associations professionnelles d’ingénieurs, qui veillent à l’équilibre et à l’homogénéité du contenu des enseignements. Le diplôme de Bachelor of Science, préparant à exercer le métier d’ingénieur, s’obtient en quatre ans, le titre de Professional Engineer (PE) autorisant à exercer n’étant décerné qu’à l’issue d’un examen spécial administré par la profession.
La plupart des étudiants américains choisissent alors de rentrer dans la vie active. Seule une petite partie continuera des études en master (un ou deux ans) et éventuellement en doctorat (trois ans), formations dans lesquelles les étudiants étrangers se retrouvent en très large majorité.
La formation des ingénieurs aux États-Unis a été calquée au départ sur le modèle français
La formation des ingénieurs aux États- Unis a été calquée au départ sur le modèle français, et permis l’émergence des sciences de l’ingénieur comme discipline scientifique à part entière. L’apprentissage et la maîtrise des techniques, qui ont longtemps reposé sur des bases purement empiriques, se sont peu à peu transformés pour tirer leurs orientations et leurs valeurs de la science.
L’apparition en France à la fin du XVIIIe siècle d’écoles spécifiquement dédiées à la formation des ingénieurs, calquant l’enseignement des techniques sur celui des sciences, devait exercer sur les États-Unis une influence considérable.
Initiative fédérale
L’X comme modèle
La première formation formelle d’ingénieurs aux États-Unis remonte à 1818, date de la réorganisation de l’Académie militaire de West Point sur le modèle de l’École polytechnique. On sait peu que le Massachusetts Institute of Technology, qui a vu le jour en 1861, résulte d’un projet d’École polytechnique présenté dès 1846 par son fondateur Barton Rogers.
L’université Rensselaer, réorganisée en École polytechnique en 1847, fut la première université à créer des départements spécifiques organisés autour des diverses disciplines de l’ingénieur, encourageant ainsi la spécialisation nécessaire à leur développement
La place de l’enseignement des techniques (la technologie) dans le système d’enseignement supérieur américain sera confortée par le Morrill Act de 1862, signé par le président Lincoln en pleine guerre civile, dans le but d’encourager » une éducation libérale et pratique des classes industrielles adaptée aux diverses professions ». Le gouvernement fédéral mettait ainsi à la disposition de chaque État de l’Union des terres dont les revenus de la vente ou de la location permettraient la constitution d’au moins une université par État « essentiellement consacrée, sans toutefois exclure les autres matières scientifiques ou classiques, à l’enseignement des arts agricoles et mécaniques ».
La formation des ingénieurs est homogène et équilibrée, associant théorie et pratique
C’était introduire les préoccupations pratiques au cœur même de l’université, ce qui est plus que jamais le cas aujourd’hui. L’ensemble des universités d’État en a été affecté : si toutes n’ont pas conservé jusqu’à aujourd’hui de référence explicite à l’agriculture et à la mécanique (comme Texas A&M), il n’en reste pas moins vrai que les départements de sciences de l’ingénieur mis en place dès l’origine, tels le génie mécanique et le génie civil, ou créés depuis au fur et à mesure de l’évolution des techniques, ont eu ainsi les moyens de se développer et de tenir une place de premier plan en leur sein, qu’ils ont conservée et fortifiée depuis.
Modèle allemand
Repli français
Au milieu du XIXe siècle, l’Université française, cantonnée dans les études classiques et les sciences dites exactes, n’avait pas de prétention à concurrencer les grandes écoles, auxquelles elle abandonnait les sciences de l’ingénieur.
Nos écoles pour leur part, une fois le souffle fondateur initial dissipé, ont eu à la même époque tendance à se refermer sur elles-mêmes, se contentant de perpétuer une tradition qui eut son heure de gloire sans chercher réellement à questionner un modèle qui avait fait ses preuves.
C’est le modèle allemand des prestigieuses universités de recherche qui a ainsi été adopté aux États-Unis dès le milieu du XIXe siècle. C’est désormais en Allemagne plutôt qu’en Angleterre ou en France comme c’était le cas jusqu’alors que les plus prometteurs des étudiants américains vont aller parfaire leurs études, une pratique qui ne s’éteindra qu’à la veille de la Première Guerre mondiale. Ils allaient importer à leur retour un modèle de rigueur théorique et expérimentale appliqué à la pratique de l’art de l’ingénieur.
Fortes de leurs moyens et des conditions de travail qu’elles ont été depuis susceptibles d’offrir, les universités américaines ont très largement profité à partir de la première moitié du XXe siècle de l’immigration, et ont su attirer et retenir certains des meilleurs scientifiques et ingénieurs formés en Europe. Ayant bénéficié dans leurs pays d’origine d’une excellente formation théorique, ces ingénieurs ont fait partager leur souci d’aborder les problèmes pratiques au moyen de méthodes scientifiques inédites. En contribuant à élever les sciences de l’ingénieur au rang de sciences à part entière, les départements d’ingénierie des universités américaines ont pu bénéficier de soutiens gouvernementaux jusque-là accordés aux seules sciences fondamentales.
Deux niveaux
Norme
Le modèle de formation d’ingénieurs qui s’est développé outre-Atlantique est aujourd’hui la norme, non seulement dans les universités nord-américaines, mais aussi d’Europe du Nord, du Commonwealth et de l’ensemble de l’Asie, avec les résultats que l’on connaît.
La formation des ingénieurs est homogène et équilibrée, associant théorie et pratique. Elle est dispensée au sein des collèges universitaires (établissements, pour la plupart privés, délivrant uniquement le diplôme de Bachelor) et des universités, dans le cadre de départements spécifiques rattachés à une faculté d’ingénierie (school of engineering).
Elle se fait à deux niveaux : sous-gradué (undergraduate) conduisant au diplôme de Bachelor of Science (BS) au bout de quatre ans ; et gradué (graduate) conduisant aux diplômes de Master (un ou deux ans) et PhD (trois ans après le Master).
Travail personnel
Le cursus conduisant au Bachelor requiert 180 unités correspondant à 1800 heures de cours sur une durée de quatre ans. Ce nombre peut nous paraître faible : c’est oublier l’importance attachée au travail personnel dans les universités américaines, qui vient en complément obligé des cours : entre assimilation, travail à la maison et projets, il est convenu qu’une heure de cours nécessite trois heures de travail personnel. Les contrôles, fréquents et sévères, sont là pour le vérifier.
Théorie et pratique
La formation au Bachelor a pendant longtemps fait appel à des cours d’ordre essentiellement pratique, avec des notions de mathématiques réduites à l’essentiel et un accent particulier sur l’apprentissage du processus de conception (design) faisant largement appel aux codes et autres méthodes traditionnelles.
Le master se fait en une année, parfois deux, sous forme de cours spécialisés
Les développements des techniques, en particulier ceux apparus pendant la Seconde Guerre mondiale, ont montré les limites d’une telle approche. Le financement de la recherche scientifique dans les universités par l’État fédéral a également encouragé ces dernières à renforcer leurs départements d’ingénierie par un corps enseignant mieux formé à la théorie. L’accent mis sur la pratique s’est peu à peu accompagné du développement d’une approche plus scientifique.
La première année est ainsi uniquement consacrée à des cours de mathématiques et de sciences, ainsi qu’à des humanités et sciences sociales. Des cours généraux de sciences de l’ingénieur sont introduits en seconde année. Les cours spécifiques à la discipline (génie électrique, génie mécanique, génie civil, informatique, génie chimique, génie industriel…) sont introduits en troisième année à côté de cours plus généraux. La quatrième année voit l’introduction de cours de spécialité et d’apprentissage au processus de conception.
Diplôme d’ingénieur
Les études d’ingénieur en quatre ans sont reconnues par le diplôme de Bachelor of Science (BS), qui ne donne pas droit au titre d’ingénieur. Celui-ci s’obtient à l’issue d’un examen spécifique (Professional Engineer, PE). La plupart des étudiants américains s’arrêteront à ce stade de leurs études pour entrer directement dans la vie active. Seule une minorité d’entre eux continuera en master, éventuellement en doctorat.
Passerelles
La nature générale des cours des deux premières années permet à des étudiants ayant suivi des cours équivalents dans d’autres départements ou établissements d’entreprendre des études d’ingénieur à partir de la troisième année. Cela est en particulier le cas des meilleurs étudiants des collèges communautaires (établissements publics dispensant une formation en deux ans, gratuits et ouverts à tous) qui peuvent ainsi être admis en troisième année dans les plus prestigieuses universités publiques, un modèle exemplaire d’ascenseur social. Plus du tiers des étudiants recevant leur Bachelor de la faculté d’ingénierie de l’université de Californie à Berkeley sont ainsi issus de cette filière.
Master et PhD
Un doctorat très sélectif
Les études de doctorat sont subordonnées à la réussite d’un examen extrêmement rigoureux, écrit et oral, portant sur les disciplines de base, avec une importance particulière donnée aux mathématiques, analogue à l’examen d’entrée à nos grandes écoles. Deux tentatives seulement sont permises. L’étudiant éliminé sera dans l’impossibilité de s’inscrire en doctorat dans son université, et, son dossier le suivant, généralement dans une autre université offrant le doctorat en sciences de l’ingénieur (une centaine).
Si le modèle de la formation en quatre ans suivant un contenu spécifié et contrôlé par la profession est la norme, le master offre la possibilité d’acquérir une spécialisation ou de poursuivre en doctorat, ce dernier préparant avant tout à des carrières d’enseignement et de recherche. Le master se fait en une année, parfois deux, sous forme de cours spécialisés (cours » gradués ») faisant une large part à la théorie, les étudiants étant encouragés à suivre les cours d’autres départements. Une voie recherche est introduite dans certaines universités, les activités de recherche donnant lieu à l’attribution d’unités de valeur (crédits).
Le PhD se fait en trois ans. Les recherches en sciences de l’ingénieur, orientées sur la résolution d’un problème pratique, ne le cèdent en rien sur le plan de la théorie à celles menées dans les disciplines scientifiques traditionnelles.
L’étudiant en doctorat suit une année de cours, et reçoit également des » crédits » pour activités liées à la recherche. La soutenance ne fait en général pas appel à un exposé du candidat, considéré être à cet instant le meilleur spécialiste dans son domaine de recherche (sa thèse, élaborée en étroite concertation avec son directeur de thèse, aura auparavant été lue et relue), mais à une interrogation orale des membres du jury portant sur les connaissances générales du candidat, qui peut réserver des surprises.
Études abordables
Contrairement à une idée reçue, les études dans les établissements publics restent pour les étudiants américains très abordables, et les collèges communautaires, gratuits et ouverts à tous, offrent la possibilité à leurs meilleurs éléments de poursuivre leurs études dans les universités publiques. Certains étudiants de master et la plupart des étudiants de doctorat, en majorité étrangers, bénéficient de bourses d’enseignement (teaching assistantship) ou de recherche (research assistantship) qui les dispensent également de frais d’études.
Associations professionnelles
Les associations professionnelles d’ingénieurs jouent un rôle clé dans l’encadrement de la formation en quatre ans. Les formations d’ingénieurs sont depuis 1936 accréditées par l’ABET (Accreditation Board for Engineering and Technology), un organisme à but non lucratif qui certifie la qualité des programmes sousgradués en quatre ans conduisant au Bachelor.
Il est exceptionnel qu’un établissement fasse le choix de se dispenser de l’accréditation
L’ABET est une émanation des principales associations professionnelles d’ingénieurs, telles que la Société américaine des ingénieurs du génie civil (ASCE) ou l’Institut des ingénieurs en électricité et électronique (IEEE). L’ABET veille particulièrement à maintenir la place dans les programmes de la part consacrée à l’enseignement des techniques proprement dit, en assurant ainsi une remarquable cohérence de l’ensemble des formations.
L’accréditation par l’ABET n’est pas obligatoire : il est toutefois extrêmement rare qu’un établissement fasse le choix de se dispenser de l’accréditation. Seuls les diplômés d’un programme accrédité par l’ABET peuvent, par exemple, se présenter à l’examen spécifique (Professional Engineer, PE) donnant droit au titre d’ingénieur. Une accréditation retirée après une période d’observation peut avoir des conséquences catastrophiques pour le département et même l’établissement concerné.
Liens avec l’industrie
En règle générale, la formation des ingénieurs fait appel aux États-Unis à des enseignants qui, s’ils ne sont pas toujours eux-mêmes des praticiens, sont en étroit contact avec la profession et dont la recherche, souvent financée par l’industrie, est motivée par les applications.
Académies
La France ne dispose pas d’une Académie des sciences de l’ingénieur sur le modèle de la National Academy of Engineering qui réunit les ingénieurs, chercheurs et enseignants les plus influents dans leur profession et joue ainsi un rôle considérable dans la définition et le choix des orientations de la formation des ingénieurs. L’Académie des technologies, issue du Comité pour les applications de l’Académie des sciences (CADAS), n’est pas réservée aux seuls ingénieurs et s’est fixé une mission plus générale.
L’ABET veille à ce que les ingénieurs formés par les programmes qu’il accrédite disposent des bases minimales nécessaires à l’entrée dans le marché du travail ou à la poursuite d’études ultérieures. L’ABET spécifie ainsi des contenus a minima adaptés à chaque discipline. Par exemple, il est exigé pour le Bachelor au moins une année d’études (environ 450 heures de cours) en sciences mathématiques, physiques ou naturelles ainsi que des cours de culture générale.
L’ABET a, par exemple, rendu obligatoires dans certains programmes des cours d’éthique de l’ingénieur destinés à sensibiliser les étudiants aux responsabilités qui seront les leurs vis-à-vis de la société. L’ABET exige également la réalisation d’un projet ou des cours de conception (design).
Nouveaux critères
Les universités publiques américaines se sont, dès l’origine, structurées autour des sciences de l’ingénieur
Une évolution s’est toutefois produite à la fin des années 1990 suite à une remise en cause par la communauté des ingénieurs de la pertinence des critères d’accréditation et de leur caractère perçu comme trop rigide. Les ingénieurs sont en effet confrontés à des tâches de plus en plus complexes. Le contenu de leur travail (les problèmes auxquels ils sont confrontés comme les connaissances dont ils ont besoin) change constamment, comme les relations qu’ils ont avec leur environnement. De nouveaux critères (Engineering Criteria 2000) ont été adoptés, privilégiant les connaissances effectives des étudiants à l’issue de leurs études par rapport au contenu des enseignements et permettant l’introduction continuelle d’améliorations et d’innovations dans les programmes.
Leçons pour la France
Contrairement aux nôtres, les universités publiques américaines se sont, dès l’origine, structurées autour des sciences de l’ingénieur, introduites ensuite à leur tour dans les universités privées de tradition européenne comme Harvard ou Johns Hopkins, jusque-là uniquement tournées vers les arts libéraux. Il est temps que l’ensemble de l’université française reconnaisse enfin les sciences de l’ingénieur par la création de départements spécifiques, comme ont su le faire les INSA et les universités de technologie.
L’École polytechnique est unique en ce qu’elle continue à dispenser de fait une formation en quatre ans, choisie comme modèle initial des formations américaines. Il lui appartient par contre de développer, comme elle a commencé à le faire, les masters et doctorats au sein de véritables départements de sciences de l’ingénieur qui n’existent pas aujourd’hui, irriguant l’enseignement et la recherche et lui donnant autorité à délivrer seule de tels diplômes.
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bien
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