Commerce électronique et services financiers, comment gérer les enjeux de la nouvelle économie ?
Dans certains secteurs d’activité tels que le transport ou les technologies de l’information, de nombreux acteurs ont construit une réelle chaîne de valeur de leur activité sur Internet et peuvent donc servir maintenant de base de comparaison. Alors que les États-Unis sont aujourd’hui, et de loin, le marché Internet le plus important au monde, et devraient le rester dans le futur, d’autres zones économiques à travers le monde semblent prêtes pour le commerce électronique. Ainsi, c’est le cas de l’Europe où, en 2001, le chiffre d’affaires global des activités réalisées sur Internet devrait dépasser les 60 milliards US$.
Plus conservateur, le secteur des services financiers a été plus long à adapter son modèle économique à ce nouvel environnement. Les assureurs, en particulier, ont longtemps hésité avant de considérer Internet comme une opportunité valable pour le développement de leurs activités. Les transactions bancaires réalisées en ligne sont devenues choses courantes, mais la mise à disposition de l’ensemble de ces services sur la toile a pris du temps, en particulier dans les pays ou l’on retrouve de très puissants services en ligne de type propriétaire (T‑Online en Allemagne par exemple).
Les banques évoluent lentement de l’optique accueil de la clientèle existante sur leur site web à une optique d’acquisition de clients via Internet. La situation est, à peu de chose près, équivalente dans le secteur de l’assurance où, jusqu’à maintenant, très peu de compagnies disposent d’une offre de services en ligne à l’attention de leurs clients ou prospects. Lorsque celle-ci existe, elle est orientée avant tout en direction de leur clientèle existante. Certaines sections de leur site web leur sont exclusivement réservées, et proposent des services du type consultation de comptes ou autres.
Le commerce électronique comme impératif stratégique
Afin d’évaluer les implications du commerce électronique sur les institutions financières, on doit tenir compte des tendances prévalant sur ce secteur, pour lequel le commerce électronique est à la fois une réponse adéquate et un moteur. Les consommateurs ne veulent plus être facturés pour des opérations administratives et attendent de la valeur ajoutée de la part de leur fournisseur. Parce qu’Internet propose de faibles coûts de transaction, il est tout particulièrement adapté aux entreprises qui font face à une pression croissante sur les prix de la part de leurs clients.
Les consommateurs souhaitent une offre de services personnalisée et sur mesure. Internet est un moyen facile et transparent de combiner offres de produits packagées et descriptifs de ces mêmes produits. Les consommateurs veulent pouvoir choisir librement le moment et le moyen d’accéder à l’offre de services d’une entreprise. Internet n’est pas seulement un nouveau canal de distribution mais également le moyen le plus simple et le plus pratique pour entrer en contact avec une entreprise.
Finalement, les consommateurs cherchent une réponse à leurs attentes auprès d’un nombre toujours plus restreint d’intermédiaires conduisant ainsi à une convergence intersectorielle telle la bancassurance ou à une concentration sectorielle. Internet, sous la forme de marketplace, est idéalement adapté car il permet de combiner une vaste gamme de produits, propres à l’entreprise concernée ou proposés dans le cadre de partenariat, selon le concept du One-Stop-Shopping.
Considérant tous ces avantages, il devient clair que le commerce électronique est à la fois un lieu d’échanges commerciaux et un nouveau modèle économique. Afin d’exploiter les opportunités sous-jacentes, le commerce électronique doit être utilisé de manière stratégique : c’est en effet bien plus que la simple mise en œuvre de nouvelles technologies ou la construction d’un nouveau réseau de distribution. Le potentiel d’Internet n’est pas seulement limité à des transactions commerciales : afin de comprendre l’ensemble du potentiel du commerce électronique, il faut passer en revue toutes les phases du processus de relation client-fournisseur.
Généralement, le potentiel que représente Internet pour les institutions financières peut être évalué en fonction du degré d’intégration verticale de ces dernières sur Internet. Les étapes d’intégration sont les suivantes :
- information (description de l’entreprise et de ses produits)
- interaction (commande de produits, e‑mail, newsletters, forum de discussion),
- transaction (vérification de comptes, catalogues, commandes et paiements en ligne),
- intégration (de la chaîne de valeur, des partenaires pour la distribution),
- innovation (reengineering des systèmes traditionnels, création de nouveaux business models).
Alors que les trois premières étapes ne nécessitent qu’un simple website, le quatrième niveau comprend nécessairement l’intégration d’activités de back-office dans la chaîne de valeur. Toutes ces étapes de développement peuvent être décrites comme étant évolutionnistes dans le sens où, à long terme, toutes les institutions financières auront suivi ce processus. La plupart des acteurs globaux ont, au minimum, atteint la phase » transaction « , et offrent des services du type vérification de comptes ou trading en ligne, au moins pour certaines de leurs filiales. La principale étape à venir, et qui signifie une révolution des business systems et une différenciation des premiers intervenants par rapport aux suiveurs, est le modèle » Innovation « .
Observations par secteur d’activité
Le meilleur exemple en termes de changement de règles est le secteur des brokers. L’impact d’Internet sur les activités traditionnelles des brokers est irréfutable : la part de marché des activités de trading en ligne atteignait 25 % en 1998 (37 % des opérations totales de trading d’actions aux États-Unis). Des brokers tel Merrill Lynch ont finalement décidé » d’arrêter de faire l’autruche » et lancent leur propre offre de services de trading en ligne. Cependant, avec un nombre de comptes estimé à 7,3 millions, représentant environ 4,4 millions d’investisseurs et des entreprises déjà bien implantées comme Charles Schwab E*Trade et DLJDirect, on peut se demander à juste titre s’il reste encore de la place disponible pour d’autres grands acteurs sur ce secteur (Charles Schwab a de plus dépassé Merrill Lynch en termes de capitalisation boursière en décembre 1998).
Les banques font pâle figure face aux brokers en ligne en termes de services et de facilité d’utilisation. Cependant, elles conservent un certain nombre d’avantages à leur actif qui ont trait à la confiance et à la perception du service. La plupart des consommateurs préféreront toujours une banque lorsqu’ils cherchent à rassembler toutes leurs opérations financières auprès d’un prestataire unique. Ceci confère à ces dernières un avantage important par rapport aux brokers ou aux nouveaux intermédiaires potentiels que sont les SSII ou les portails Internet.
Mais les banques doivent conserver leur place de principaux fournisseurs de services financiers en développant leurs activités en ligne en plus de leurs activités traditionnelles de banque par téléphone ou la simple fourniture d’informations concernant l’évolution des cours boursiers. Les opportunités sont nombreuses et les sujets variés allant de la présentation de factures sur Internet à la mise à disposition de ces services sur les téléphones mobiles.
Parmi l’ensemble des fournisseurs de services financiers, le secteur des assurances est le moins avancé en termes d’utilisation d’Internet. Cela est dû, en partie, au caractère non transactionnel de cette activité, fournissant aux assureurs peu d’occasions de contact direct avec leurs clients. Mais les assureurs sont également longs à tirer profit du potentiel que leur offre Internet pour établir des relations plus proches avec leurs clients et réduire leurs coûts.
Seuls les plus avancés d’entre eux commencent à proposer des services de consultation de comptes en ligne ou impliquent leurs forces de vente dans leurs activités en ligne. L’arrivée d’intermédiaires plus avancés comme Insweb ou Insuremarket rend la vie dure au secteur traditionnel de l’assurance, alors que la concurrence sur les prix s’intensifie.
Facteurs clés de succès dans le commerce électronique
Afin de mettre en évidence les facteurs critiques nécessaires au succès d’une stratégie commerce électronique, il est utile de s’intéresser aux modèles développés par les leaders sur Internet, ce secteur se caractérisant par des cycles d’innovation extrêmement courts.
Un fait doit être souligné : la plupart des entreprises remportant un succès en matière de commerce électronique sont des start-ups Internet. Ce sont des entreprises innovantes et flexibles qui, en tant que premier entrant, réinventent souvent l’activité ou créent même les règles de fonctionnement du commerce électronique. Contrastant avec cela, les entreprises dites de l’ancienne économie ne font, en général, que transférer leur modèle économique traditionnel et leurs marques vers ces nouveaux canaux de distribution. Une telle attitude risque de créer des conflits d’intérêts avec les canaux de distribution et les structures existants.
Considérés comme moyens permettant d’atteindre les objectifs stratégiques, les facteurs clés de succès doivent être tirés des attentes des consommateurs. On peut identifier cinq facteurs principaux.
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Délai d’accès au marché (Time to market)
En fonction des conditions du marché, trois options peuvent être identifiées :- l’approche de premier entrant est particulièrement adaptée lorsque les clients sont prêts à payer un prix élevé pour l’innovation et où des relations clients-fournisseurs de longue durée sont monnaie courante, en raison de barrières à la sortie élevées pour ces mêmes clients. Les premiers entrants créent ce marché spécifique, définissent les règles et peuvent même participer à la redéfinition de la chaîne de valeur de leurs clients ;
- les suiveurs les plus rapides tirent profit de l’expérience acquise par le premier entrant, tout en se différenciant au moyen de meilleures offres de produits et/ou services. Les clients appréciant ce type d’approche se trouvent parmi les plus aisés : ils sont prêts à payer pour cette valeur ajoutée et pour une certaine image créée. Le suiveur tire également profit de cet effet » d’acteur libre » ;
- les derniers entrants doivent viser une clientèle sensible aux prix pouvant changer facilement de fournisseur du fait de barrières à la sortie limitées. Le marché présente alors une certaine stabilité et un faible risque d’échec, aussi longtemps que l’on suit les leçons tirées de l’expérience de ses prédécesseurs. L’objectif de cette stratégie est clairement de réaliser des économies d’échelle, les premiers entrants n’en bénéficiant pas du fait de marges réduites.
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Approche multicanaux (Multi-channel approach)
Les clients des principaux fournisseurs de services financiers souhaitent pouvoir choisir librement le mode d’accès à une offre de services donnée. Un processus possible de gestion des contrats pourrait être le suivant : information sur Internet, publicité/relance par téléphone, réception du contrat par courrier, ceci dépendant de la complexité des services concernés. Les institutions financières n’ont pas d’autres choix que de cannibaliser une partie de leurs réseaux de distribution, sans quoi, un autre acteur le fera à leur place. L’intégration des structures IT et les processus sous-jacents sont prérequis lors d’une telle approche. Une étude menée auprès des consommateurs étaye ces faits en mettant en évidence une fidélité accrue de la part du client et un taux de croissance de l’activité plus rapide pour les entreprises disposant des deux types de canaux de distribution. Les chances de succès d’une banque présente uniquement sur Internet sont limitées et il est peu probable que cela évolue à l’avenir.
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Large gamme de produits et services (broad product/service range)
Le concept du portail (i.e. concentration d’une multitude de services, détenus en propre ou proposés dans le cadre de partenariat, sur un même site) est particulièrement valable pour les entreprises du secteur des services financiers. Les portails financiers (verticaux) sont de plus en plus populaires sur Internet, ouvrant ainsi la voie au concept de One-Stop-Shopping. Une définition intelligente de packages produits sur mesure peut renforcer la fidélisation du client et peut aider à éviter, ou au moins à limiter, une trop forte concurrence en matière de prix. Des services supplémentaires, disponibles uniquement par ce canal de distribution – telle une page web personnalisée – offrent des opportunités supplémentaires de différenciation à la fois par rapport à ses concurrents et par rapport aux canaux de distribution traditionnels.
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Marque/Renommée (Brand/Reputation)
Afin de gagner l’attention du consommateur dans le monde Internet qui tend au surpeuplement, une marque connue du plus grand nombre est nécessaire. L’absence de contacts directs avec le client rend indispensable une marque en qui les consommateurs auront confiance et qui jouera le rôle de » conseil » – ce qui est fondamental pour toute entreprise proposant des services financiers. Outre la confiance, une marque forte est requise afin de susciter du trafic et gagner l’attention des internautes.
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Modèle économique intégré (Integrated Business Model)
Le dernier facteur clé de succès est directement lié aux processus et structures support. Dans cette perspective, les possibilités qui existent peuvent être utilisées à travers une » numérisation » de toute la chaîne de processus. Diverses étapes de la progression dans l’intégration des activités sur Internet peuvent ainsi être évitées et d’autres étapes accélérées. Une conclusion globale concernant les économies en matière de coûts est difficile à établir en raison du nombre insuffisant de données disponibles à l’heure actuelle. Afin de réaliser cette » numérisation « , la mise en œuvre de structures totalement nouvelles offrant des plages d’interconnexion limitées avec l’organisation existante s’avère incontournable dans la plupart des cas. Un spin-off complet ou sélectif des activités Internet constitue également une option qui vaut la peine d’être considérée. L’expérience acquise au sein de cette structure pourra être transférée, par la suite et avec succès, à l’ensemble de l’organisation.
Évolution attendue dans un monde de plus en plus interconnecté
La plupart des grands acteurs déjà établis sur ce secteur font face au dilemme suivant : leurs activités Internet sont dispersées au sein de l’entreprise et développées de manière désordonnée.
Entrés dans l’ère Internet selon un schéma dit d’évolution afin de tirer parti des opportunités du secteur, certains ont atteint un stade plus avancé (modèle dit » de capacité ») dans lequel la construction de compétences tient une place essentielle. Ainsi, les entreprises mettent en place des centres d’excellence pour le commerce électronique, et les employés sont encouragés à concentrer leur attention sur des sujets du type développement des technologies ou concepts de chaîne de valeur électronique.
L’étape logique suivante constitue ce que l’on appelle le modèle » Intégration » dans lequel toutes les ressources commerce électronique sont regroupées dans une même structure. Une voie possible vers l’intégration, après réalisation de liens entre les sites du groupe et ceux de ses partenaires, peut démarrer avec la standardisation des outils employés, tels la sécurité, les instruments d’interaction ou la gestion d’une communauté. Par la suite, les autres structures seront intégrées à ces outils alors que, dans un même temps, l’intégration des bases de données peut être envisagée.
Le fait de passer ces différents stades permet alors l’accès à une étape ultérieure où l’activité commerce électronique est globalement restructurée, et devient business unit avec des responsabilités propres en termes de rentabilité.
Largement sollicitées par les autres domaines industriels et commerciaux en raison de leur rôle central dans les transactions réalisables sur Internet, le téléphone mobile ou la télévision interactive, les institutions financières sont en train de lancer d’ambitieux programmes de reconversion pour embrasser la nouvelle économie. Nous serons certainement étonnés par le rythme auquel les banques ou les assurances franchiront ces étapes de l’évolution vers le commerce électronique dans les mois à venir.