Compétitivité des entreprises : de nouvelles pistes

Dossier : Entreprise et management : rigueur et compétitivtéMagazine N°648 Octobre 2009
Par Philippe CHERVI (83)

La com­pé­ti­ti­vi­té rela­tive des entre­prises fran­çaises décroît depuis 1974. La crise a accé­lé­ré la dégra­da­tion de cette com­pé­ti­ti­vi­té et la dés­in­dus­tria­li­sa­tion. Tou­te­fois, il existe des pistes qui devraient per­mettre aux entre­prises non seule­ment de tra­ver­ser la période trou­blée que nous vivons, mais aus­si de béné­fi­cier des oppor­tu­ni­tés sous-jacentes d’ac­crois­se­ment de la com­pé­ti­ti­vi­té. Elles relèvent de la maî­trise du cash, de la déstruc­tu­ra­tion de la chaîne de valeur et de l’é­vo­lu­tion des pra­tiques mana­gé­riales pour répondre aux nou­velles pres­sions sociétales.

REPÈRES
La com­pé­ti­ti­vi­té-coût en France, le ratio mesu­rant le coût rela­tif du tra­vail par rap­port au coût moyen au sein des 30 pays de l’OCDE, a chu­té de 112,9 en 2000 à 99,6 en 2006. La com­pé­ti­ti­vi­té-prix à l’exportation est pas­sée dans le même temps de 110,3 à 108. Autre­ment dit, en ne réper­cu­tant que 2 points sur leur prix à la baisse, les entre­prises ont réduit leur marge de 11 points durant cette période. Cet écart s’est en outre aggra­vé depuis 2006. Par rap­port à l’Allemagne, notre prin­ci­pal par­te­naire com­mer­cial, les marges des entre­prises alle­mandes ont bon­di de 36 % à 41 % de 2000 à 2006 quand, dans le même temps, la marge des entre­prises fran­çaises des­cen­dait à 30%.

La crise a exa­cer­bé la dégra­da­tion de com­pé­ti­ti­vi­té des entre­prises, une dégra­da­tion qui a débu­té lors des chocs pétro­liers de 1974 et 1979. Depuis lors, le choix pré­fé­ren­tiel de la poli­tique éco­no­mique fran­çaise d’une » ponc­tion » des entre­prises au pro­fit des ménages a conduit à une dimi­nu­tion des inves­tis­se­ments de celles-ci. En outre, la demande interne s’est davan­tage tour­née vers les expor­ta­tions en rai­son d’une offre défaillante, jugée trop chère ou inadap­tée, creu­sant le défi­cit du com­merce extérieur.

L’amélioration de la com­pé­ti­ti­vi­té doit res­sor­tir d’actions internes

L’aug­men­ta­tion de la dépense publique qui en résulte néces­site une par­ti­ci­pa­tion accrue des ménages et des entre­prises. Par le jeu des trans­ferts sociaux, au nombre des­quels se trouvent les fameux » sta­bi­li­sa­teurs auto­ma­tiques » et à terme une modi­fi­ca­tion du sché­ma de dis­tri­bu­tion de la richesse des entre­prises, la ponc­tion sur les entre­prises est appe­lée à s’ac­croître. Comme l’É­tat ne peut plus recou­rir à la déva­lua­tion » com­pé­ti­tive » pour res­tau­rer consom­ma­tion, expor­ta­tions et marge des entre­prises, l’a­mé­lio­ra­tion de la com­pé­ti­ti­vi­té doit donc res­sor­tir d’ac­tions internes aux entreprises.

Priorité aux réductions de coûts

Dans un contexte d’as­sè­che­ment des liqui­di­tés et de raré­fac­tion du cré­dit, la prio­ri­té est la réduc­tion des coûts, tant tac­tique que stra­té­gique, en jouant sur l’ef­fi­ca­ci­té des res­sources ou la stra­té­gie d’en­tre­prise dans un temps qui s’ac­cé­lère. Le reve­nu des entre­prises, même celles qui pos­sèdent une bonne visi­bi­li­té sur leur plan de charge, est affec­té par une demande en berne, des reports de com­mandes (com­merce inter­en­tre­prise) ou une moindre consom­ma­tion (com­merce avec les particuliers).

Maî­tri­ser le cash
Les actions sur la maî­trise du cash concernent prin­ci­pa­le­ment les plans de tré­so­re­rie au moyen d’un large spectre d’ac­tions liées à la poli­tique indus­trielle make or buy, la réduc­tion des coûts de struc­ture et l’aug­men­ta­tion de la per­for­mance indus­trielle (pro­duc­ti­vi­té, réduc­tion des stocks). Au besoin, des actions de rené­go­cia­tion du pas­sif doivent être entre­prises (cf. les exemples de Gene­ral Elec­tric et de Rio Tin­to), quand il ne s’a­git pas d’ap­pels au mar­ché pour retrou­ver des capa­ci­tés de finan­ce­ment (ex. de GDF Suez, EDF et Arce­lor-Mit­tal). Enfin, dans une optique de par­tage des risques liés aux inves­tis­se­ments, la créa­tion de JV consti­tue – plus que jamais – sinon une solu­tion inno­vante pour cer­tains sec­teurs, du moins une alter­na­tive inté­res­sante (ex. de Faurecia).

Au plan stra­té­gique, les actions de réduc­tions de coûts accé­lèrent un mou­ve­ment de fond qui était déjà per­cep­tible avant l’au­tomne 2008, à savoir la déstruc­tu­ra­tion de la chaîne de valeur pour en exter­na­li­ser cer­tains élé­ments à moindre coût. La plu­part des socié­tés pos­sèdent trois acti­vi­tés dif­fé­rentes : la ges­tion des infra­struc­tures, le déve­lop­pe­ment des nou­veaux pro­duits ou ser­vices et leur com­mer­cia­li­sa­tion et la ges­tion de la rela­tion client.

La crise et les nou­velles tech­no­lo­gies de com­mu­ni­ca­tion four­nissent l’op­por­tu­ni­té d’in­tro­duire plus d’ef­fi­ca­ci­té et de pro­fi­ta­bi­li­té dans une chaîne de valeur dont le décou­plage est réa­li­sé en exter­na­li­sant tout ou par­tie de ces trois acti­vi­tés. Ain­si, on confie­ra sa logis­tique à FedEx et ses contrats de pro­duc­tion à Flex­tro­nics quand France Télé­com, de son côté, for­me­ra ses ache­teurs à l’ex­ter­na­li­sa­tion d’ac­ti­vi­tés, même lorsque celles-ci étaient consi­dé­rées aupa­ra­vant comme stra­té­giques ou » cœur de métier « .

Une nouvelle quête de sens

Toutes les pistes évo­quées ci-avant conduisent in fine à une expo­si­tion directe accrue du mana­ge­ment inter­mé­diaire aux risques du mar­ché (fusion-acqui­si­tion, down­si­zing, PSE) et à une fra­gi­li­sa­tion de son posi­tion­ne­ment. Dans le no man’s land éco­no­mique de demain, l’en­tre­prise troque ses cer­ti­tudes stra­té­giques contre un res­ser­re­ment de ses res­sources. Elle cherche cepen­dant à s’in­ven­ter un nou­veau mar­ché qui fasse la part belle aux grandes pro­blé­ma­tiques socié­tales du moment, telles que la pro­tec­tion de l’en­vi­ron­ne­ment et la régu­la­tion du sys­tème éco­no­mique. Les notions de proxi­mi­té et du bien de la com­mu­nau­té trans­pa­raissent aus­si lors­qu’il s’a­git de pré­ve­nir la conges­tion des voies de cir­cu­la­tion ren­due iné­luc­table par la réaug­men­ta­tion pro­chaine du prix du baril de pétrole. Il fau­dra bien tôt ou tard repen­ser les cir­cuits glo­baux de pro­duc­tion et de dis­tri­bu­tion, en pri­vi­lé­giant une pro­duc­tion » de proxi­mi­té » qui réduise le bilan car­bone. En consé­quence l’en­tre­prise proche et citoyenne devra modi­fier ses pra­tiques mana­gé­riales pour les rendre cohé­rentes avec son nou­veau posi­tion­ne­ment sociétal.

Les risques de l’externalisation
Pour sédui­sante qu’elle soit, l’ex­ter­na­li­sa­tion ne s’im­pro­vise pas et il faut mener une ana­lyse de risque exhaus­tive pour vali­der d’a­bord la fai­sa­bi­li­té puis un quel­conque béné­fice1. Dans le flo­ri­lège d’ex­ter­na­li­sa­tions avor­tées, la palme revient sans doute à cette entre­prise de ser­vices qui s’en­ga­gea dans une exter­na­li­sa­tion infor­ma­tique en Amé­rique du Sud. L’en­tre­prise cliente avait cepen­dant lar­ge­ment més­es­ti­mé le manque de pro­tec­tion offert par la loi locale sur la pro­prié­té intel­lec­tuelle des licences et des codes uti­li­sés. Il en résul­ta, hor­mis une perte de temps et un inves­tis­se­ment ini­tial dépen­sé en pure perte, une nou­velle période de douze mois consa­crée à redé­fi­nir la stra­té­gie et les scé­na­rios de sour­cing et d’off­sho­ring.
Répondre aux évo­lu­tions sociétales
Les pra­tiques des entre­prises sont ame­nées à évo­luer pour répondre aux mou­ve­ments sociaux pro­vo­qués par la crise et à la pres­sion d’un déve­lop­pe­ment durable res­pec­tueux de l’en­vi­ron­ne­ment. Pen­sons à la Dépres­sion de 1929 durant laquelle une prise de conscience socié­tale s’é­tait tra­duite par l’es­sor des syn­di­cats ouvriers dans le but de mieux enca­drer les droits et les devoirs res­pec­tifs des tra­vailleurs et des chefs d’en­tre­prise. Aujourd’­hui, les fabri­cants auto­mo­biles amé­ri­cains tels que GM ou Ford ne se réclament-ils pas d’être des piliers de leur com­mu­nau­té et de l’in­dus­trie manu­fac­tu­rière, et non pas seule­ment des enti­tés pure­ment économiques ?

L’homme de l’en­tre­prise est au coeur de ces for­mi­dables chan­tiers socié­taux, Pro­mé­thée par­ta­gé entre une conscience envi­ron­ne­men­tale fraî­che­ment acquise et une appar­te­nance his­to­rique à un sys­tème éco­no­mique dont il ne pres­sen­tait pas qu’il puisse être remis en cause aus­si vite. Sans doute l’exemple de pays limi­trophes et le glis­se­ment iné­luc­table des poli­tiques sociales vers une moindre pro­tec­tion s’im­po­saient peu à peu. Mais il était facile de les balayer d’un revers de main tant qu’elles n’a­vaient pas enva­hi tout l’es­pace de com­mu­ni­ca­tion. L’im­pact de Home, le film de Yann Arthus-Ber­trand, pro­je­té à un même moment pla­né­taire le 5 juin 2009 dans plus de 70 pays, n’a-t-il pas conduit à ren­for­cer le vote éco­lo­gique au niveau européen ?

L’entreprise proche et citoyenne devra modi­fier ses pra­tiques managériales

La quête de sens indi­vi­duel tout comme le besoin de sécu­ri­té s’ins­cri­vaient déjà comme les moteurs d’une ambi­tion per­son­nelle. Ils se doublent désor­mais d’une quête accrue de sens col­lec­tif et socié­tal, ne serait-ce que dans le res­pect de la trans­mis­sion aux futures géné­ra­tions d’un envi­ron­ne­ment pro­té­gé. Le modèle éco­no­mique d’E­nea Consul­ting pré­voit ain­si du béné­vo­lat pour cer­tains de ses clients et de ses sala­riés, en éten­dant lar­ge­ment les for­mules pro bono des avocats.

Un bréviaire des nouvelles actions de compétitivité ?

Aider les sala­riés en période difficile
En période de crise le besoin de sécu­ri­té est très fort. Cepen­dant, il est frap­pant de consta­ter que nombre d’en­tre­prises se pré­oc­cupent plus de l’ac­com­pa­gne­ment – régle­men­taire et nor­mé – des per­sonnes licen­ciées que de celui des per­sonnes demeu­rant encore dans l’entreprise.
Or, c’est sur leurs épaules que repose l’en­tre­prise de demain. Cer­taines socié­tés l’ont com­pris, à l’ins­tar de l’é­di­teur de logi­ciels Info­vis­ta et du cabi­net Cry­sa­lead2 créant au sein de l’en­tre­prise un espace d’é­coute avec une for­mule ori­gi­nale de coa­ching à la demande, » l’O­pen-Coa­ching « . Ces séances de coa­ching en libre accès per­mettent aux sala­riés qui le sou­haitent de trou­ver du sou­tien et des leviers d’a­mé­lio­ra­tion de leur moti­va­tion, confiance et per­for­mance, trois thèmes au coeur de la per­for­mance indi­vi­duelle. Les entre­prises qui sau­ront impli­quer voire réim­pli­quer leurs sala­riés seront aus­si celles qui sau­ront se posi­tion­ner sur les mar­chés de demain, en conci­liant déve­lop­pe­ment éco­no­mique et res­pect sociétal.

Il n’y a pas de recette miracle ! Comme dans tout bou­le­ver­se­ment du pay­sage stra­té­gique de l’en­tre­prise, celui auquel nous assis­tons étant par­ti­cu­liè­re­ment rapide, la ques­tion est tout à la fois de s’as­su­rer de dis­po­ser de res­sources de qua­li­té le moment venu et de défi­nir une vision pro­bable du mar­ché à la sor­tie de crise : quelle sera la demande, quels seront les concur­rents et les nou­veaux entrants, com­ment les forces socié­tales évo­quées ci-des­sus modi­fie­ront la donne actuelle ? Et à quelle échelle de temps ? À par­tir de cette vision décli­née en plu­sieurs scé­na­rios, l’en­tre­prise action­ne­ra le scé­na­rio répon­dant à des déclen­cheurs iden­ti­fiés. Les fac­teurs-clés de suc­cès de ces opé­ra­tions tien­dront à l’an­ti­ci­pa­tion, la pré­pa­ra­tion, la réac­ti­vi­té et l’a­gi­li­té démon­trée pour action­ner rapi­de­ment le scé­na­rio retenu.

Un exemple de scé­na­rio pour­ra consis­ter à acqué­rir un concur­rent dont le cours de Bourse sera des­cen­du en des­sous d’un seuil fixé afin de ren­for­cer sa posi­tion sur le mar­ché, ou encore de prendre des par­ti­ci­pa­tions dans des socié­tés rece­lant un poten­tiel d’a­mé­lio­ra­tion au regard de leur maî­trise du cash, de la déstruc­tu­ra­tion de leur chaîne de la valeur ou des pistes socié­tales évo­quées ci-dessus.

Au plan des res­sources, il s’a­gi­ra de prendre des options pour recru­ter des res­sources ciblées, de manière à faire jouer un effet de levier lors de la reprise. Dans le cas des recru­te­ments, il est à sou­li­gner que la défi­ni­tion des scé­na­rios cibles pour­rait bien être plus tacite qu’ex­pli­cite. Le coût de l’op­tion de recru­ter vs ne pas recru­ter sera cepen­dant bien plus faible que le reve­nu cor­res­pon­dant à la perte d’opportunité.

Plus que jamais, l’in­té­rêt de recru­ter de façon sélec­tive et de pré­ser­ver sa tré­so­re­rie pour se ména­ger des achats ciblés n’est plus à démon­trer. Sans être soi-même la proie de pré­da­teurs mieux pré­pa­rés, plus agiles et plus fortunés.

1. Cf. La lettre Orga Consul­tants, n° 31 sur l’externalisation, 1er tri­mestre 2009.
2. Cry­sa­lead, basé à Neuilly, est un cabi­net spé­cia­liste de l’ac­com­pa­gne­ment du mana­ge­ment et du coa­ching de l’organisation.

RÉFÉRENCES
• « Cri­sis opens door to radi­cal mana­ge­ment shifts », Inter­na­tio­nal Herald Tri­bune, 30 mars 2009
• « Pré­vi­sions macro­sec­to­rielles France », Xer­fi Pre­vi­sis, 4 décembre 2008.
• « Une ana­lyse macroé­co­no­mique de la crise », Jean Pey­re­le­vade, Confé­rence X‑Mines Consult du 12 mars 2009.

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