CD : Concertos pour violon de Bartok par Renaud Capuçon

Comprendre, aimer ?

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°735 Mai 2018Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Un bon connais­seur de la nata­tion de com­pé­ti­tion vous dira, si vous regar­dez ensemble un saut de l’ange réus­si, que le plai­sir que vous éprou­vez, vous, pro­fane de ce sport, est sans com­mune mesure avec son éva­lua­tion de pro­fes­sion­nel à même d’apprécier chaque geste, chaque pos­ture, chaque dixième de seconde du saut. 

Muta­tis mutan­dis, est-il néces­saire d’avoir péné­tré tous les arcanes de la fugue pour aimer plei­ne­ment une fugue de Bach ? 

BARTÓK – LES CONCERTOS POUR VIOLON…

Le mer­veilleux Renaud Capu­çon a enre­gis­tré les deux Concer­tos de vio­lon de Béla Bartók avec le Lon­don Sym­pho­ny Orches­tra diri­gé par Fran­çois- Xavier Roth . 

Le Concer­to n° 2, que vous avez peut-être eu la chance d’entendre joué par le même Renaud Capu­çon au Fes­ti­val de Pâques d’Aix-en-Provence en mars der­nier, est un des grands concer­tos du réper­toire, au même titre que ceux de Brahms, Men­dels­sohn, Tchaï­kovs­ki, Berg. 

C’est une œuvre forte et com­plexe, tour­men­tée, à la limite de l’atonalité, avec une orches­tra­tion très tra­vaillée, com­po­sée à la veille de la Deuxième Guerre mon­diale, juste avant l’exil de Bartók aux États-Unis où il devait mou­rir dans le dénue­ment en 1945. 

Le Pre­mier Concer­to, com­po­sé en 1907 pour une vio­lo­niste de 19 ans pour laquelle Bartók éprou­vait une pas­sion non par­ta­gée, oublié dans un tiroir et redé­cou­vert en 1958, est une pièce lyrique, oni­rique, en deux mou­ve­ments, pro­fon­dé­ment émouvante.
1 CD ERATO

… ET LE CONCERTO POUR ALTO

L’alto n’est pas un gros vio­lon un peu plus grave, réser­vé à l’orchestre, mais un ins­tru­ment à part entière, à la tes­si­ture éten­due et au timbre chaud et coloré 

CD : Concerto pour alto de Bartok par David Aaron Carpenter avec le London Philharmonic Orchestra Le Concer­to pour alto a été com­po­sé aux États-Unis, inache­vé et ter­mi­né par un de ses élèves après le mort de Bartók. 

Empreint de sa nos­tal­gie de la Hon­grie natale, il est d’autant plus émou­vant que l’on sait dans quelles cir­cons­tances Bartók l’a écrit aux États-Unis, malade, presque igno­ré alors qu’il était l’un des plus grands com­po­si­teurs vivants. 

L’enregistrement de l’altiste David Aaron Car­pen­ter avec le Lon­don Phil­har­mo­nic Orches­tra diri­gé par Vla­di­mir Jurows­ki est lumi­neux, doré pour­rait-on dire, sans pathos ni style « tzigane ». 

Dans le même cof­fret figurent la ver­sion pour alto du Concer­to pour vio­lon­celle de Dvorák, arran­ge­ment inté­res­sant qui renou­velle com­plè­te­ment cette œuvre connue, ain­si que le Concer­to pour alto du com­po­si­teur anglais Wal­ton, proche de la musique de film.
2 CD WARNER 

TCHAÏKOVSKI

On appré­cie­ra d’autant plus plei­ne­ment les concer­tos de Bartók que l’on connaît à la fois sa vie tour­men­tée et aus­si que l’on est capable d’analyser ses orches­tra­tions très per­son­nelles, avec un trai­te­ment pri­vi­lé­gié des per­cus­sions et des vents, recon­nais­sables entre mille. 

Concertos pour piano de Tchaïkovsky, réédition de Emil Gilels et le New PhilharmoniaLa musique de Tchaï­kovs­ki, en revanche, doit pro­cu­rer le même plai­sir au spé­cia­liste qu’au pro­fane : ses orches­tra­tions raf­fi­nées ne gagnent pas à être ana­ly­sées et sol­li­citent le cœur plu­tôt que la tête. 

Tout le monde – ou presque – connaît « le » Concer­to pour pia­no mais qui sait qu’il s’agit du n° 1 et qu’il a été sui­vi par deux autres concer­tos ? L’enregistrement de légende (1973) des nos 1 et 2 par Emil Gilels et le New Phil­har­mo­nia diri­gé par Lorin Maa­zel est oppor­tu­né­ment réédi­té et per­met de décou­vrir ce 2e Concer­to injus­te­ment oublié. 

Deux mou­ve­ments alle­gro, un brillante l’autre con fuo­co, encadrent un andante ma non trop­po. Les thèmes sont plus sub­tils, moins faciles à mémo­ri­ser que ceux du n° 1. Si les deux œuvres relèvent de la vir­tuo­si­té trans­cen­dante, le n°2 res­pire la fraî­cheur et annonce Rach­ma­ni­nov, avec un andante chopinesque. 

Gilels est impé­rial, avec des attaques d’une pré­ci­sion au micron, et aus­si une grande finesse de tou­cher, deux carac­té­ris­tiques que l’on ne trouve que dans l’École russe. 

Aus­si, ins­tal­lez- vous confor­ta­ble­ment avec à votre por­tée une bonne bière blanche (à défaut de kvass) et quelques piroj­kis chauds et lais­sez-vous aller, sans ana­ly­ser, au plai­sir d’écouter de la grande et belle musique, mer­veilleu­se­ment écrite, et qui réjouit l’âme.
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