Comprendre la création de valeur sur internet
Les dirigeants qui opèrent sur Internet ou intègrent le commerce électronique dans leur stratégie font face à des décisions semblables à celles de leurs prédécesseurs confrontés aux mutations de marché engendrées par l’apparition de la machine à vapeur ou du téléphone. Des investissements considérables doivent être réalisés et il est essentiel que les entreprises puissent estimer le potentiel de création de valeur de chacune des options stratégiques considérées.
De même, de nouvelles sociétés » .com » se créent chaque jour et proposent des produits et services innovants. Comment estimer la valeur de ces nouvelles entreprises ou celle des activités de e‑commerce de sociétés existantes ? Sur quelle base réaliser les transactions par échange d’actions entre e‑compagnies ? Comment comparer des stratégies et des investissements concurrents ?
Il est réconfortant de noter que de nombreux outils d’estimation de la valeur utilisés pour les sociétés traditionnelles peuvent également être appliqués au » cyber-monde « .
La valorisation d’une entreprise par l’actualisation de ses cash-flows prévisionnels s’applique également aux e‑compagnies ayant un revenu limité et un résultat net négatif.
En effet, toute entreprise sur Internet espère réaliser à terme des ventes générant un revenu, un résultat net et un cash-flow positif quand davantage de consommateurs viendront sur le site, quand un plus grand volume de publicité sera réalisé ou quand un plus grand nombre de transactions aura lieu.
Définir un cadre d’analyse
Considérons deux types de modèles économiques courants sur Internet :
L’entreprise de e‑commerce
Ce type d’entreprise se base sur un modèle économique novateur : la vente de produits sur Internet.
Il repose sur la possibilité de profiter de l’avantage concurrentiel donné au premier entrant, de créer des barrières à l’entrée et d’établir une marque dominante. Il découle de ce modèle que le premier entrant aura la capacité d’augmenter ses revenus plus vite que ses concurrents. Il bénéficiera d’économies d’échelle dans ses fonctions d’achat, de logistique et de service aux consommateurs et réalisera ainsi des marges plus élevées que la concurrence.
La valorisation d’une telle entreprise de e‑commerce peut se faire en utilisant les hypothèses de ses plans stratégiques, relatives à la croissance de ses revenus et de ses marges et au montant des investissements requis.
Le Portail Internet
Ce type d’entreprise se base sur différentes sources de revenus qui incluent la publicité et les commissions sur transactions. Afin de valoriser ce type d’entreprise, il est également nécessaire de formuler des hypothèses sur ses sources de revenus, ses marges et les investissements requis. Ce modèle économique repose sur la possibilité de bâtir une marque reconnue et d’offrir un contenu bien organisé et original, susceptible d’attirer une fréquentation croissante du site. Il en résulte une augmentation des revenus publicitaires et des commissions.
Pour créer de la valeur, il est indispensable que les investissements consentis pour bâtir la marque, créer du contenu et améliorer la convivialité du site engendrent des revenus croissants et de meilleures marges, tout en nécessitant des investissements décroissants.
La valeur de ces deux types d’entreprises reste une fonction de leurs cash-flows prévisionnels et du niveau de risque qui leur est associé.
La difficulté réside dans l’estimation de business plans raisonnables. Il est à ce titre instructif de jeter un coup d’œil sur Internet à des sociétés existantes pour comprendre les hypothèses qui justifient leur valeur boursière actuelle.
Leur valeur est-elle basée sur le potentiel des marchés sur lesquels elles sont actuellement actives ou sur les possibilités d’étendre leur offre vers de nouveaux produits et services ?
Estimer la valeur de Amazon.com, eBay et Yahoo !
Amazon.com
À l’ouverture du marché le 21 mai 1999, Amazon.com enregistrait une capitalisation boursière de 20,8 milliards de dollars. LEK utilisa quatre rapports d’analystes différents pour établir des prévisions de marge brute (6 % en 2002, 10 % au-delà), coûts de développement, coûts des ventes et marketing et coûts administratifs, et fixa des hypothèses de coûts fixes et de fonds de roulement. Le taux de croissance annuel du résultat courant a été fixé à 3 % en perpétuité au-delà de la période de prévision de quinze ans.
Nous avons alors calculé par déduction le taux de croissance des ventes nécessaire pour justifier la valeur actuelle de l’entreprise : les résultats de cette analyse indiquent que Amazon.com devra maintenir un taux annuel composé de croissance des ventes de 33,8 % pendant quinze ans pour justifier la valorisation actuelle. Il s’agit là d’un exploit si l’on considère qu’il s’agit d’un taux de croissance supérieur à ceux de Intel (22,9 %) et Microsoft (32,9 %) au cours de ces cinq dernières années. Même des sociétés de distribution telles que Wal-Mart et Home Depot, deux modèles à succès, qui ont pu soutenir des taux de croissance supérieurs à 40 % pendant cinq ans, ont fini par atteindre leur maturité et n’ont pas pu poursuivre une telle croissance sur une durée aussi longue que quinze ans.
Un taux de croissance de 33,8 % implique qu’Amazon atteigne un chiffre d’affaires de près de 71 milliards de dollars en 2013. Ce montant est quasiment équivalent au marché américain des livres, musique enregistrée, cassettes vidéo et vidéo disques prévu pour 2013. Si on considère qu’Internet ignore les frontières (les États-Unis représentent environ un tiers du marché mondial de ces produits), cela implique que Amazon.com devrait capturer entre 20 % et 40 % des ventes mondiales de ces produits ou bien ajouter de nombreux autres produits pour atteindre les niveaux de revenus requis pour justifier la valorisation actuelle (par exemple, les acquisitions récentes de drugstore.com, pets.com et HomeGrocer.com.).
Un investisseur sur Amazon.com doit donc démontrer une grande confiance en la capacité de la société à trouver de nouvelles sources de revenus aussi considérables et à atteindre un tel niveau de ventes à l’horizon 2013.
Outre la nécessité d’accroître son chiffre d’affaires, Amazon.com doit également soutenir sa marge brute d’exploitation. Les attentes actuelles en la matière sont de l’ordre de 10 %. De petites diminutions de la marge brute induisent un accroissement dramatique du chiffre des ventes requis en 2013 pour justifier la valorisation actuelle. Dans le monde très compétitif d’Internet, où un meilleur prix peut se trouver en un clic de souris, ces marges risquent d’être difficiles à soutenir. En sens inverse, l’amélioration de la marge brute d’exploitation à 15 % implique encore un revenu supérieur à 50 milliards de dollars à l’horizon 2013.
Un autre élément significatif de la valorisation d’Amazon.com est que la majorité de sa valeur boursière réside dans la valeur terminale. Ceci indique que la plus grande part des cash-flows justifiant sa valorisation actuelle se situent après 2013, période pour laquelle il est encore plus ardu de faire des prévisions. Amazon.com devra soutenir un niveau de performance exceptionnel pendant très longtemps dans un environnement très concurrentiel et en perpétuelle mutation. Elle aura certainement à réinventer son modèle économique plusieurs fois au cours de cette période, à atteindre de nouveaux clients et à lancer de nouveaux produits et services.
eBay
eBay est un site d’enchères en ligne aujourd’hui valorisé à 23,9 milliards de dollars (190 dollars par action) par la conjonction de deux facteurs : la croissance du montant total des enchères et la commission que le site gagne à chaque transaction. Si l’on considère que le niveau de commission restera 6 %, la croissance du montant des enchères devra s’élever à 65 % par an de 2003 à 2013 pour justifier le prix des actions au 21 mai 1999.
Un taux de croissance annuel composé de 65 % est-il soutenable jusqu’en 2013 ? Cette croissance implique un chiffre d’affaires de 70 milliards de dollars en 2013, c’est-à-dire un montant total d’enchères de 1 170 milliards de dollars. Cela représente plus de 7 % du PIB nominal des États-Unis prévu pour 2013.
Yahoo !
Yahoo ! devint profitable en 1996 avec un chiffre d’affaires d’environ 200 millions de dollars. LEK estime que Yahoo ! aura besoin d’un taux de croissance annuel de ses ventes de 48 % par an de 2003 à 2013, portant son chiffre d’affaires total à 66 milliards de dollars afin de justifier sa capitalisation actuelle de 31 milliards de dollars (au 21 mai 1999, prix de l’action : 151 dollars). De plus, ces prévisions font état d’une marge brute d’exploitation de 40 % en 2013.
Est-il réaliste de penser que Yahoo ! puisse atteindre un tel niveau de revenus en 2013 ? La plus grande part de son chiffre d’affaires actuel provient de la publicité. Les analystes prévoient que le marché de la publicité sur Internet atteindra 6 milliards de dollars en 2002 ou 44 milliards de dollars en 2013, si l’on adopte un taux de croissance optimiste de 20 % par an. Même si la société parvient à s’approprier 25 % du marché total, il lui faudra encore trouver 55 milliards de dollars de chiffre d’affaires.
Bien que le futur modèle économique de Yahoo ! soit encore incertain, il a été suggéré que des sources de revenus supplémentaires pourraient provenir de transactions de e‑commerce ou de souscriptions. Le montant total de e‑commerce généré par les portails Internet en 2002 est estimé à 50 milliards de dollars. Si l’on pense que ce marché va croître de 25 % par an entre 2002 et 2013, Yahoo ! devrait en capturer 10 % pour réaliser ces 55 milliards supplémentaires et atteindre ainsi 66 milliards. Une part de marché de 10 % ne paraît pas irréaliste, mais n’oublions pas que d’autres portails très populaires tels que MSN, Lycos et AOL existent et que chaque jour voit apparaître de nouveaux acteurs. Atteindre et soutenir 10 % de part de marché sur quinze ans risque d’être un défi continu.
Options réelles
Ces cas montrent le niveau de performance exceptionnel que ces sociétés doivent maintenir dans leur modèle économique pour justifier leur valorisation actuelle.
De façon encore plus importante, notre analyse a montré que 67 % à 72 % de cette valorisation est basée sur leur valeur terminale.
Pourquoi le marché leur accorde-t-il autant de valeur malgré une telle incertitude ? Une explication possible est que cadres et investisseurs croient que l’évolution d’Internet engendrera de profondes mutations des modèles économiques, des concurrents, et des comportements des consommateurs.
L’hypothèse de base est que ces sociétés seront capables de tirer avantage de ces changements (exemple : entrer dans de nouveaux marchés, forger de nouvelles alliances, etc.). Cette croyance incite les investisseurs à payer une plus-value afin de s’assurer une position concurrentielle forte lorsque ces opportunités verront le jour. Il s’agit là de la notion d’investissement en options réelles.
Les options réelles ne sont pas un concept nouveau dans l’analyse et la planification stratégiques.
Depuis des années, LEK a intégré la théorie des options réelles dans l’élaboration de business plans stratégiques comprenant la considération d’opportunités de croissance dans tous les secteurs. Les options réelles revêtent encore plus d’importance dans la planification et l’évaluation de stratégies Internet, parce que les marchés financiers placent une part importante de leur valorisation dans ce domaine énigmatique.
Démultiplier votre e‑entreprise
Les attentes du marché, telles que capturées dans le prix des actions des intervenants sur Internet, sont très agressives. Atteindre les objectifs attendus sur une longue période sera extrêmement difficile dans un environnement soumis à un rythme de changement aussi intense. Certaines valorisations ne se justifient que parce que les investisseurs anticipent l’apparition de nouvelles opportunités imprévues mais potentiellement porteuses de valeur pour les acteurs déjà présents sur le marché. Ces investisseurs sont prêts à payer aujourd’hui le prix de ces options.
LEK croit fortement en la capacité d’Internet à créer un montant de valeur considérable pour les investisseurs. Nous pensons que des fortunes continueront à se faire ou à se défaire en fonction de la capacité des entreprises à démultiplier leur modèle économique grâce à Internet et à y offrir des produits et services originaux. Néanmoins, l’analyse de ces opportunités, de ces risques et de stratégies créatrices de valeur ne repose ni sur des lois et principes d’analyse nouveaux, ni sur des martingales inédites ; les méthodes analytiques rigoureuses, qui ont fait leurs preuves dans tous les domaines du monde des affaires, s’appliquent tout aussi bien dans le monde de l’économie virtuelle.
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Outil pour estimer le prix d’un site
Bonjour, je vous remercie pour cet article.
Pour faire des estimations j’utilise depuis des années le site http://www.estimasite.com et cela m’aide beaucoup dans mes recherches.
Une estimation reste une estimation mais cela permet d’y vois plus clair et d’avoir un ordre d’idée.