Concert hommage à H. von Karajan
À l’occasion du centenaire de la naissance de Karajan, Seiji Ozawa et Anne-Sophie Mutter ont entrepris une tournée hommage, qui les a menés de Berlin à Paris, Lucerne, Vienne puis Salzbourg sa ville natale, avec l’orchestre que le maestro a dirigé pendant plus de trente ans. Chaque fois le même programme, symbolique avec deux œuvres phares du répertoire de Herbert von Karajan. Ces œuvres ont été enregistrées de multiples fois par Karajan et sont même disponibles sous sa direction en DVD (Deutsche Grammophon).
Karajan a été un chef emblématique du XXe siècle, inventeur et promoteur d’un star-system pour les chefs d’orchestre poussé à l’extrême. Si bien qu’à la fin de sa vie beaucoup se demandaient si la forme n’avait pas pris le pas sur le fond et doutaient que son héritage discographique lui survive longtemps. On connaît désormais la réponse : un grand nombre de ses interprétations resteront références pour longtemps, on reviendra souvent à ses symphonies de Beethoven, de Brahms, de Tchaïkovski et ses enregistrements des opéras de Strauss ou de Puccini ne seront probablement jamais dépassés. On peut compter une centaine de disques qui peuvent, qui doivent, figurer dans la discothèque de l’honnête homme.
Mutter et Ozawa sont les interprètes naturels d’un tel hommage. Anne-Sophie Mutter a été découverte à l’âge de treize ans par Karajan et le chef autrichien en a fait sa partenaire privilégiée jusqu’à la fin de sa vie, jouant et enregistrant tous les grands concertos du répertoire : Beethoven (le plus souvent), Brahms, Vivaldi, Mendelssohn, Bruch, Tchaïkovski. D’origine japonaise, Seiji Ozawa a été formé par Karajan qui en a vite fait son assistant. Ozawa raconte d’ailleurs dans l’interview donnée en bonus ce que lui a apporté son aîné et ce qu’il lui doit. Ozawa a d’ailleurs compté parmi les successeurs potentiels à Berlin dont on parlait à la fin des années quatre-vingt (au même titre que Muti, Bychkov, Haitink et Abbado qui finalement l’emporta).
Le concert lui-même est magnifique. Anne-Sophie Mutter, dans une robe sombre adaptée à l’hommage qui tranche avec ses toilettes vives habituelles, fait preuve d’un jeu bien plus recueilli et moins démonstratif que le style auquel elle nous a habitués depuis une dizaine d’années. Notons qu’elle joue dans le premier mouvement du Concerto de Beethoven la magnifique, rare et longue cadence de Kreisler, ce qui est d’une grande originalité. Et à l’issue de cette première partie, elle nous donne en bis la Sarabande de la seconde Partita de Bach, Partita qu’elle joua lors de sa première rencontre avec Karajan en 1976, à treize ans on l’a dit. En seconde partie, Ozawa se retrouve seul face à l’orchestre, sans baguette, pour une très belle Pathétique de Tchaïkovski, enlevée et émouvante. Une des seules symphonies du répertoire se terminant par un mouvement lent (avec les 3e et 9e de Mahler, si je ne tiens pas compte des symphonies inachevées de Schubert et Bruckner), elle permet de terminer le concert dans un grand recueillement et une grande intensité.
Il nous faut aussi parler de la réalisation de ce disque, exceptionnelle. Publié simultanément en DVD et en Blu-Ray, ce nouveau format qui permet une définition et une netteté bien supérieures nous offre une image superlative. Les détails de la scène et de l’Orchestre sont nets comme jamais, les plans parfaitement synchrones et adaptés à la musique, la prise de son de démonstration. Sans routine aucune et dans des conditions de réalisation remarquables, un concert à conserver, et à regarder souvent.