Conciliation en marchés publics : les CCRA
Une instance collégiale représentative
Les parties suivent l’avis du comité national dans plus de 90% des cas
Les avis émis par les CCRA n’ont pas autorité de la chose jugée : ils ne valent donc que par leur pertinence et l’autorité morale du comité. Cette autorité est portée en premier lieu par son président, elle est fondée sur une composition collégiale où les organisations professionnelles ont leur place et où les divers points de vue sont représentés et enfin sur la compétence et l’expérience du rapporteur.
Il en résulte qu’en pratique les parties suivent l’avis du comité national dans plus de 90 % des cas. Le travail du rapporteur, qui prépare les informations nécessaires au comité pour proposer une solution acceptable par les parties, est donc essentiel pour son efficacité.
REPÈRES
Les CCRA sont des instances de conciliation dont l’objectif principal est d’éviter aux parties des procès longs et coûteux, aux résultats parfois incertains. Ils ne sont pas des instances d’arbitrage (dont le jugement vaut en droit celui d’un tribunal étatique) ni de médiation (qui, sans chercher à la justifier, aident les parties à trouver ensemble une solution).
Ils ne créent pas de droits et ne donnent que des avis, dans de brefs délais. Au final, les parties restent libres et responsables de la solution qu’elles donnent au litige.
La difficile application du droit
La plupart du temps, le mémoire saisissant le comité peut s’interpréter comme une réclamation du titulaire. Il y met en avant des postes de dépenses supplémentaires qui ne seraient pas de sa responsabilité, dont il demande l’indemnisation1.
Pénalisation du droit
Une des difficultés rencontrées par les CCRA vient de la pénalisation du droit des marchés publics qui a créé le délit d’avantage injustifié. L’indemnité proposée pour résoudre le litige ne doit donc pas risquer d’être interprétée comme un tel avantage.
De toute façon, la présence des organisations professionnelles au comité peut le conduire à examiner une éventuelle distorsion de concurrence causée par l’indemnité proposée.
La recherche des éléments de droit nécessaires à l’instruction de la réclamation présente des particularités propres à l’action des comités qui n’ont pas à dire le droit, mais à éviter les procédures judiciaires. Ainsi, le rapporteur doit en premier lieu éclairer le comité sur les éléments majeurs qui pourraient conduire une des parties à ignorer son avis et à recourir à un procès.
Une autre difficulté est liée au fait que si un litige, dans un contrat privé, concerne deux parties, dans un marché public, il y en a en réalité trois : l’administration qui a signé le marché, le titulaire et le comptable public, qui a en France une responsabilité propre.
Ainsi, il peut arriver que le litige concerne en fait non pas le titulaire du marché et l’administration qui l’a signé, mais celle-ci et le comptable public, qui estimerait les paiements proposés critiquables. Ce dernier est de fait souvent représenté au comité.
Faire preuve de modération
Le rapporteur doit rester modéré dans ses interprétations juridiques car « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature » (article 1135 du Code civil, qui va à l’encontre d’une approche purement formaliste du droit des contrats, inspirée des pratiques anglo-saxonnes).
Devoir d’information et de conseil
À l’instar des évolutions perceptibles dans le droit commercial, la violation de l’obligation accessoire d’information et de conseil entraîne la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du débiteur de cette obligation.
Toutefois, s’il doit examiner avec rigueur toutes les situations non susceptibles d’interprétations par les tribunaux, comme, par exemple, celles relatives aux délais de forclusion prévus dans l’exécution des contrats, il évite en général le juridisme sur ce type de questions.
Quant à l’appréciation de l’équité, le plus souvent de bon sens, elle doit tenir compte d’une évolution de la commande publique vers une plus grande responsabilisation des fournisseurs dans la définition et la satisfaction des besoins de la puissance publique.
Ainsi, alors qu’un tribunal s’attacherait en priorité à la seule application du droit, le comité fera preuve de plus ou moins de bienveillance dans l’examen d’une réclamation selon que les services rendus ou les produits livrés sont ou non satisfaisants.
Instruction de la réclamation
Le rapporteur doit instruire le dossier avec toute l’objectivité nécessaire en examinant le point de vue de chaque partie, mais il est libre de la méthode qu’il emploie pour arriver à la bonne information du comité.
Le rapporteur doit instruire le dossier avec toute l’objectivité nécessaire
Le rapporteur ne doit pas s’étonner des efforts qu’il doit consentir pour comprendre la situation, car les dossiers présentent souvent des imperfections qui peuvent provenir soit de l’ancienneté des faits, les protagonistes n’étant plus présents ; soit d’un climat conflictuel ne favorisant pas l’objectivité dans la présentation des faits ; soit au contraire du manque d’intérêt des protagonistes pour l’affaire, traitée par des personnes qui n’ont pas connu les faits en direct ; soit enfin parce que la compétence du titulaire en matière de demande d’indemnité complémentaire est faible voire nulle, notamment pour les PME2.
Les documents contractuels font foi
Les termes du contrat et les conditions de son élaboration sont à examiner en préalable puisqu’ils décrivent la commune intention des parties3.
Un travail fastidieux mais indispensable
L’examen des documents contractuels peut paraître fastidieux car, dans la « vraie vie », les parties au contrat ne l’ont pas toujours lu avec toute l’attention nécessaire et le perçoivent souvent comme une obligation bureaucratique imposée par les services juridiques. Hélas, en cas de litige, il n’y a pas d’autre solution que de s’y reporter.
Ils contiennent souvent les germes du conflit : la nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont imprécises, les risques à supporter et les responsabilités réciproques du titulaire et de l’administration sont mal définis ou irréalistes, les clauses administratives ignorent leurs conséquences techniques et les clauses techniques leurs conséquences juridiques.
Le rapporteur peut ensuite examiner les circonstances de l’exécution du contrat qui ont conduit au litige, les accords ultérieurs écrits ou implicites établis en cours de réalisation, la régularité du comportement et les intentions des parties, etc.
Vérifier et justifier les dépenses supplémentaires
Le premier point de la réclamation à regarder, poste par poste, est celui de la réalité des dépenses supplémentaires indemnisables et de leur rapport direct et certain avec le marché.
Il s’agit à ce stade de valider ou non le principe de leur prise en compte plutôt que leur montant. Une fois validée la recevabilité des dépenses indemnisables, il faut en vérifier le montant, car il arrive que le titulaire compte deux fois la même dépense (par exemple pour l’imputation de frais généraux), ou surestime sa demande.
Il appartient au rapporteur de la ramener à des chiffres plausibles, conformes aux pratiques de la profession et à l’application du marché.
« Faux litiges »
La pratique montre que parfois les parties s’accordent sur un montant global d’indemnités mais hésitent à signer un protocole transactionnel qui réglerait le litige sans l’intervention du comité, car elles porteraient seules la responsabilité de sa justification. Elles saisissent alors le comité sur ce montant pour validation, avant de présenter la chose au comptable public.
Dans cette situation qui s’analyse comme une homologation de transaction, le rapporteur ne doit pas céder à la facilité et valider simplement le montant proposé par les deux parties. En effet cela empiéterait sur les responsabilités du comité et pourrait conduire le comptable public à ne pas suivre l’avis émis sur ces bases.
Rien n’empêche alors le rapporteur d’examiner le dossier comme une réclamation normale où, surtout s’agissant d’argent public, l’avis du comité doit se fonder sur d’autres justifications que le seul accord des parties.
Imputation des responsabilités
Si le titulaire a une responsabilité partielle dans l’occurrence de la dépense supplémentaire, il ne peut être indemnisé que d’une part de la dépense.
Pour la calculer, même si en fin de compte l’avis du comité ne comprend qu’un montant global, le rapporteur doit s’astreindre à bien expliquer les bases de son raisonnement pour chaque poste de la réclamation : considérations de droit ou d’équité (que le comité pourra éventuellement apprécier autrement); usages ou « bonnes pratiques » admis dans certains secteurs ou professions, comme, par exemple, dans les marchés d’armement, de communication, ou les marchés de maîtrise d’œuvre de bâtiment et pas dans d’autres ; considérations techniques et économiques.
Il faut faire ressortir les causes premières
Une fois ce travail d’analyse effectué, il est utile d’en faire une synthèse, afin de bien faire ressortir les causes premières du litige et leur relation avec la solution envisagée. L’expérience montre en effet que le partage de la compréhension du dossier par les membres du comité est un préalable indispensable à son fonctionnement collégial, qui est le fondement de son efficacité.
Le fait que le rapporteur examine à la fois les aspects juridiques et techniques est essentiel pour arriver à ce partage, surtout dans les délais prévus.
Une approche utile mais menacée
Le dispositif des CCRA (Comités consultatifs de règlement amiable) impose au rapporteur une approche rationnelle des conflits et de leur solution, qui se déroulent pourtant souvent dans un contexte passionnel.
Les considérations politiques prévalent sur la démarche scientifique
Elle est d’autant plus motivante qu’elle se fait sans négliger l’équité, bien plus subjective, mais distincte de l’expertise technique et juridique apportée par le rapporteur.
Il n’est pas sûr qu’à terme cette approche survive dans un monde où le court terme de la démocratie entre en conflit avec le long terme de la science. Les considérations politiques, médiatiques, d’humeur immédiate de l’opinion prévalent sur la démarche scientifique qui établit les faits, découvre les phénomènes et tente de les expliquer.
Cette recherche rationnelle et neutre des causes des conflits et des solutions pour les résoudre, toujours laborieuse, est souvent mal reconnue.
Enfin, bien que cela ne doive pas être son but premier, le travail du rapporteur pourrait contribuer à éclairer, ex post, la délicate question de l’efficacité de la commande publique, qui aujourd’hui relève plus souvent du fantasme que d’une approche objective.
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1. Article 1142 du Code civil : « Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur. »
2. Remarque qui ne doit pas être prise comme une critique, la compétence d’une entreprise en ce domaine n’est pas toujours appréciée de ses clients.
3. C’est le cas du mémoire technique dans les litiges de BTP.
UNE PRATIQUE EXEMPLAIRE ET EFFICACE
Par Serge Ruel (63), expert judiciaire
En complément à l’article de G. Rozen, il m’est apparu souhaitable de présenter brièvement le point de vue d’un président de CCRA en activité, M. Jacques Léger, conseiller d’État honoraire, devant lequel je rapporte fréquemment des dossiers souvent intellectuellement intéressants et toujours techniquement instructifs, quels qu’en soient les enjeux, minces ou considérables. Il m’a autorisé la publication des points essentiels de la lettre de mission type qu’il adresse aux rapporteurs :
« Vous trouverez ci-joint les pièces de la saisine ainsi que les observations en défense de la partie adverse. Ces pièces ont été communiquées aux parties par les soins du secrétariat qui leur a précisé vos coordonnées professionnelles (adresse postale et électronique, téléphone).
Mon vœu est que toute éventuelle production supplémentaire vous soit adressée directement par les parties qui assureront entre elles le contradictoire de sorte qu’aucune pièce nouvelle ne parvienne au secrétariat durant l’instruction.
« Je me permets d’insister sur l’utilité de débuter vos opérations par la tenue d’une réunion avec les parties, soit sur les lieux du marché, soit dans les locaux du maître d’ouvrage, soit dans vos locaux professionnels.
« L’expérience a en effet démontré qu’un échange oral et peu formalisé permettait de circonscrire le différend et soit d’amorcer la recherche d’un règlement transactionnel, soit d’acter l’impossibilité de dégager une solution amiable.
« Votre mission s’achèvera par l’établissement d’un rapport exposant les termes du litige, précisant les éléments du désaccord subsistant et formulant des propositions destinées à éclairer le Comité sur l’avis qu’il pourra rendre en vue d’une possible solution amiable.
« S’il ne m’appartient pas de vous donner de quelconques directives quant au contenu de ce rapport, je me dois de vous rappeler que la mission du Comité est, aux termes de la loi (CMP, art. 127), de rechercher une solution amiable et équitable. Son intervention ne doit dès lors en aucun cas se confondre avec un règlement contentieux. Celui-ci relève de la seule compétence de la juridiction administrative, à laquelle d’ailleurs les parties peuvent toujours, en définitive, décider de recourir.
« Votre rapport sera communiqué aux parties ainsi qu’aux membres du Comité en même temps qu’ils seront convoqués à la séance au cours de laquelle sera examinée l’affaire, soit 15 jours avant cette séance. Vous en présenterez oralement la synthèse en introduction des débats, auxquels vous apporterez une contribution essentielle. »
Une procédure efficace
Sous l’égide de Jacques Léger, le comité de Marseille a adopté en 2012 une procédure originale, en vertu de laquelle le secrétariat du comité n’est destinataire que du mémoire de saisine et des premières observations en défense ; la désignation du rapporteur intervient après réception du mémoire en défense ; les parties sont informées de cette désignation et invitées à poursuivre l’instruction directement avec le rapporteur, de préférence par courriel ; le rapporteur est invité à prendre la direction de l’instruction en réclamant les pièces nécessaires, en suscitant des auditions (si possible, une réunion commune) et en fixant une date de clôture de l’instruction ; enfin, le rapport est communiqué aux parties 15 jours avant la séance de conciliation sans possibilité pour elles d’y répondre par écrit.
Le bilan de cette réforme, particulièrement de son dernier point auquel je suis fort attaché, la communication du rapport aux parties, lui apparaît extrêmement positif : réduction sensible de la durée de la séance et climat plus propice à la conciliation.
En outre, il ne suscite pas la critique, à laquelle se livrent volontiers – à juste titre – les avocats, d’un défaut de contradictoire dans le processus, lequel affaiblit la portée des avis aux yeux des maîtres d’ouvrage les moins enclins à délier les cordons de leur bourse.
Résultats probants
Mais surtout, Jacques Léger a constaté augmentation très nette de la proportion des avis suivis par les collectivités publiques : de 45 % en 2011 à 80 % en 2013. Concrètement, c’est une cinquantaine de litiges, dont certains à fort enjeu (jusqu’à une vingtaine de millions d’euros), qui ont trouvé leur solution transactionnelle dans le seul ressort de la cour administrative d’appel de Marseille en deux ans sans recours à un juge.
Les mémoires en demande exposent souvent que leur « démarche présente l’intérêt d’éviter une procédure longue et coûteuse auprès du tribunal administratif et de parvenir rapidement à un règlement juste et équitable, l’efficacité du CCIRAL de Marseille dans ce domaine n’étant plus à démontrer, ce qui est d’ailleurs reconnu par les parties ».