Concilier croissance et environnement : le défi écologique
REPÈRES
Avec 19 % de la population mondiale, la Chine ne possède que 7 % à 9 % des terres cultivées, 6,5% des ressources en eau et 4 % à 5 % des forêts de la planète. Ce manque de ressources explique en partie le défi environnemental auquel le pays doit faire face.
REPÈRES
Avec 19 % de la population mondiale, la Chine ne possède que 7 % à 9 % des terres cultivées, 6,5% des ressources en eau et 4 % à 5 % des forêts de la planète. Ce manque de ressources explique en partie le défi environnemental auquel le pays doit faire face.
En outre, l’utilisation et la gestion de ces ressources naturelles ont été parfois erratiques, dans le passé récent comme depuis le début de l’histoire de la Chine impériale.
Des indicateurs alarmants
L’année 2005 a constitué un moment décisif dans le processus de la Chine pour décider de s’orienter vers un modèle de développement plus durable.
Relance vs développement durable
La relance économique décidée en 2009 a partiellement promu les investissements de nature écologique, par exemple pour la collecte des eaux usées ou l’accroissement des capacités ferroviaires du pays.
Mais, toutes choses égales par ailleurs, les politiques de relance contribuent plutôt à une utilisation accrue des ressources qu’à la rationalisation de leur usage.
Pan Yue, alors directeur adjoint de l’Agence nationale de l’environnement (aujourd’hui vice-ministre de la Protection de l’environnement) avait tiré la sonnette d’alarme : « Cinq des dix villes les plus polluées au monde sont situées en Chine ; les pluies acides tombent sur un tiers de notre territoire ; la moitié des eaux de nos sept plus grandes rivières sont complètement inutilisables ; un quart de nos citoyens n’a pas accès à de l’eau potable ; un tiers de la population urbaine respire de l’air très fortement pollué ; moins d’un cinquième des déchets dans les villes est retraité de façon écologiquement durable. Dans la seule ville de Pékin, 70 % à 80 % des cancers sont liés à l’environnement. »
Bien que plusieurs de ces chiffres ne soient plus tout à fait d’actualité, ces déclarations dépeignent toujours les défis environnementaux rencontrés par la Chine.
À Pékin, 70% à 80% des cancers sont liés à l’environnement
La Chine a fait un effort sérieux pour évaluer et limiter les dommages environnementaux. Avec le programme Green Watch, le ministère de la Protection de l’environnement a fait de la dénonciation des entreprises les plus polluantes l’une de ses principales priorités.
D’autres ministères se sont engagés pour promouvoir les technologies propres. Selon les chiffres officiels, les pertes économiques causées par la pollution de l’environnement représentaient 3 % du PIB en 2004. Depuis, le programme a été arrêté, mais les statistiques confirment globalement ces chiffres comme une estimation basse.
Des ressources rares et mal utilisées
Le phénomène de rareté concerne au premier chef les ressources aquatiques. Chaque citoyen chinois a, en moyenne, une réserve d’eau de 2 200 m3, soit 28 % de la moyenne mondiale. Près de 42 % de la population vit dans les provinces septentrionales de la Chine (qui comprennent 60 % de ses terres cultivées), où ils ont accès à seulement 14% de l’approvisionnement en eau du pays. En outre, 90% des nappes phréatiques des villes, et 75 % des rivières et des lacs sont pollués.
Mécontentement public
Un nombre croissant de protestations locales ciblent des entreprises industrielles dont les implantations et les projets sont préjudiciables à la qualité de l’eau et de l’air et donc à la santé des communautés voisines.
En 2007 déjà, Chen Xiwen, directeur de l’Office central du travail rural, déclarait que les pétitions adressées par les paysans aux divers niveaux des autorités gouvernementales avaient pour sujet l’expropriation des terres (environ 50%), la corruption au sein des comités de village (30%) et la pollution de l’environnement (20%). Le dernier chiffre a probablement été en hausse constante depuis lors.
La Chine émet autant de pollution organique dans le milieu aquatique que les États-Unis, le Japon et l’Inde réunis. En 2006, environ 80% des 7 555 usines polluantes étaient situées près des rivières et des lacs, ainsi que dans les zones densément peuplées, et 60 000 décès étaient imputés à une maladie résultant de la pollution aquatique.
La pollution de l’air constitue une deuxième préoccupation majeure. La Chine est aujourd’hui le leader mondial des émetteurs de soufre et des gaz à effet de serre. Selon diverses prévisions, les émissions de CO2 de la Chine représenteront environ 20 % du total mondial en 2025. La Banque mondiale a estimé en 2007 que, sur les vingt villes les plus polluées au monde, douze étaient chinoises. En outre, le nombre de véhicules sur les routes est passé de 5,5 millions en 1990 à 70 millions en 2010, avec une prévision de 200 millions pour 2020.
Sur les vingt villes les plus polluées au monde, douze sont chinoises
La dépendance énergétique au charbon pose un problème particulier, étant donné les réserves très abondantes du pays qui brûle déjà plus de charbon que les États-Unis, l’Europe et le Japon réunis. La fermeture progressive des mines artisanales devrait améliorer la situation, mais l’augmentation des rejets de contaminants persistera.
Protéger les sols
La conservation des sols représente la troisième grande préoccupation environnementale. Dans la dernière décennie, la Chine a perdu près de 8 millions d’hectares de terres cultivables, avec 10 millions d’hectares supplémentaires d’ici 2030. Les gouvernements locaux vendent souvent leurs terres aux aménageurs urbains, ou même utilisent la terre comme contrepartie des prêts qu’ils effectuent. L’utilisation de la ressource foncière n’est pas des plus efficaces : environ 43% des terres réquisitionnées pour le développement urbain restent inemployées.
En même temps, la perte de terres agricoles est perçue comme une menace sérieuse pour l’autosuffisance alimentaire.
Société civile et politiques étatiques
Manque d’efficacité
Une enquête de 2006, dirigée par l’Académie chinoise des sciences, classe la Chine 56e sur 59 pays étudiés en termes d’efficacité d’utilisation des ressources. Bien que des efforts remarquables aient été consentis dans la période 2007–2009, la tendance ne s’est pas inversée : en 2011, la consommation d’énergie a progressé de 7%, le taux le plus élevé depuis 2007.
Les préoccupations écologiques sont devenues une dimension importante de la société civile en formation. Un exemple récent est fourni par la mobilisation intervenue en octobre 2012 dans la ville de Ningbo – une mobilisation assez large et résolue pour avoir réussi à obtenir la suspension d’un projet d’expansion d’une unité pétrochimique chiffré à près de 9 milliards de dollars.
La Chine semble faire du réchauffement climatique une fatalité
Les autorités savent néanmoins que le maintien du taux de croissance reste en tête des aspirations citoyennes. Jusqu’à présent, les appels à évoluer vers un modèle de croissance verte lancés conjointement par les organismes de recherche et la Banque mondiale n’ont pas été vraiment traduits dans les faits : les mesures de relance ne prennent que marginalement en compte leur impact écologique.
En revanche, la maîtrise des technologies vertes – voiture propre et énergie solaire en particulier – est considérée comme une priorité nationale.
Un nouveau positionnement international
Le positionnement international de la Chine en matière écologique a évolué bien plus lentement qu’on ne pouvait l’espérer. Les réticences chinoises sont largement explicables par la conviction que la production de gaz à effet de serre par tête d’habitant reste étroitement corrélée au degré de développement des pays.
Beijing consensus
La Chine reste très fermement attachée aux « cinq principes de coexistence pacifique » (respect mutuel de la souveraineté et de l’intégrité territoriale, non-agression mutuelle, non-ingérence dans les affaires intérieures, égalité et avantages réciproques et coexistence pacifique). Sur le plan environnemental, cette politique se décline par le Beijing consensus, fondé sur le principe de ne pas imposer aux pays en développement des contraintes politiques préalables aux aides apportées.
Après tout, l’Australie, les États- Unis et le Canada sont toujours les plus gros pollueurs par habitant, et le niveau de vie des pays les plus riches sert de référence au reste de la planète – en particulier à la Chine. Celle-ci semble faire du réchauffement climatique une fatalité.
Par ailleurs, la Chine s’est révélée maîtresse dans l’art d’attirer les financements internationaux destinés au développement des énergies alternatives. C’est une raison supplémentaire pour qu’elle continue sans doute à limiter les accords internationaux à un régime facilitant des projets de coopération concrets dans les domaines de la R&D pour des nouvelles énergies.
Pour l’heure, la Chine poursuivra à son propre rythme sa réforme écologique, un rythme qui dépendra pour une bonne part des décisions que prendra le nouveau leadership chinois à l’issue du plenum de l’Assemblée nationale populaire de mars 2013, mais elle refusera de se lier plus avant par des accords internationaux.
Prise de conscience
Il est difficile de comptabiliser les associations écologiques en Chine ; selon diverses sources, on compterait un peu plus de 350 000 ONG officiellement enregistrées en Chine, et entre un et deux millions d’associations en attente de reconnaissance légale. L’urbanisation croissante joue aussi un rôle dans les mutations en cours de la conscience environnementale.
L’équation à laquelle se confronte le nouveau gouvernement compte des variables politiques (évolution du rôle du Parti-État), sociales (étendue et raisons du mécontentement citoyen, modes d’expression de la société civile) et économiques (possibilité ou non de modifier les ressorts de la croissance économique sans en déséquilibrer les fondamentaux).
Plutôt que d’être considérée comme variable indépendante, c’est en fonction et à l’intérieur de cette équation que la question écologique continuera vraisemblablement d’être abordée.
L’EXPLOSION DES TECHNOLOGIES VERTES
La Chine fait aujourd’hui la course en tête en matière d’investissements dans les technologies vertes devant les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie. L’idée d’une économie chinoise spécialisée dans le bas ou le milieu de gamme industriel est révolue. La Chine est en passe de devenir leader dans les hautes technologies.
Ainsi les panneaux solaires, installés dans le monde sont aujourd’hui, pour la moitié d’entre eux, fabriqués en Chine – pour l’essentiel par les géants Suntech et Trina Solar. La production chinoise de panneaux solaires, à peu près inexistante il y a cinq ans, est la première du monde aujourd’hui. L’histoire est similaire en matière de turbines éoliennes. Inexistante il y a dix ans, l’industrie éolienne chinoise compte quatre entreprises parmi les dix premiers fabricants de turbines dans le monde. La Chine est leader des technologies vertes, « et alors ? », serions-nous tentés de nous demander. C’est l’apparente capacité de la Chine à tout produire, qui en réalité inquiète.
Avec son mélange de centralisme, d’apprentissage par essais et erreurs et de mise en réseau d’oligopoles régionaux sur un vaste marché intérieur, la Chine paraît disposer d’une structure économique modulable comme un Rubik’s cube, contrairement à nos vieilles économies.