Concilier croissance et environnement : le défi écologique

Dossier : La ChineMagazine N°684 Avril 2013
Par Benoît VERMANDER

REPÈRES
Avec 19 % de la popu­la­tion mon­diale, la Chine ne pos­sède que 7 % à 9 % des terres culti­vées, 6,5% des res­sources en eau et 4 % à 5 % des forêts de la pla­nète. Ce manque de res­sources explique en par­tie le défi envi­ron­ne­men­tal auquel le pays doit faire face.

REPÈRES
Avec 19 % de la popu­la­tion mon­diale, la Chine ne pos­sède que 7 % à 9 % des terres culti­vées, 6,5% des res­sources en eau et 4 % à 5 % des forêts de la pla­nète. Ce manque de res­sources explique en par­tie le défi envi­ron­ne­men­tal auquel le pays doit faire face.
En outre, l’utilisation et la ges­tion de ces res­sources natu­relles ont été par­fois erra­tiques, dans le pas­sé récent comme depuis le début de l’histoire de la Chine impériale.

Des indicateurs alarmants

L’année 2005 a consti­tué un moment déci­sif dans le pro­ces­sus de la Chine pour déci­der de s’orienter vers un modèle de déve­lop­pe­ment plus durable.

Relance vs déve­lop­pe­ment durable
La relance éco­no­mique déci­dée en 2009 a par­tiel­le­ment pro­mu les inves­tis­se­ments de nature éco­lo­gique, par exemple pour la col­lecte des eaux usées ou l’accroissement des capa­ci­tés fer­ro­viaires du pays.
Mais, toutes choses égales par ailleurs, les poli­tiques de relance contri­buent plu­tôt à une uti­li­sa­tion accrue des res­sources qu’à la ratio­na­li­sa­tion de leur usage.

Pan Yue, alors direc­teur adjoint de l’Agence natio­nale de l’environnement (aujourd’hui vice-ministre de la Pro­tec­tion de l’environnement) avait tiré la son­nette d’alarme : « Cinq des dix villes les plus pol­luées au monde sont situées en Chine ; les pluies acides tombent sur un tiers de notre ter­ri­toire ; la moi­tié des eaux de nos sept plus grandes rivières sont com­plè­te­ment inuti­li­sables ; un quart de nos citoyens n’a pas accès à de l’eau potable ; un tiers de la popu­la­tion urbaine res­pire de l’air très for­te­ment pol­lué ; moins d’un cin­quième des déchets dans les villes est retrai­té de façon éco­lo­gi­que­ment durable. Dans la seule ville de Pékin, 70 % à 80 % des can­cers sont liés à l’environnement. »

Bien que plu­sieurs de ces chiffres ne soient plus tout à fait d’actualité, ces décla­ra­tions dépeignent tou­jours les défis envi­ron­ne­men­taux ren­con­trés par la Chine.

À Pékin, 70% à 80% des can­cers sont liés à l’environnement

La Chine a fait un effort sérieux pour éva­luer et limi­ter les dom­mages envi­ron­ne­men­taux. Avec le pro­gramme Green Watch, le minis­tère de la Pro­tec­tion de l’environnement a fait de la dénon­cia­tion des entre­prises les plus pol­luantes l’une de ses prin­ci­pales priorités.

D’autres minis­tères se sont enga­gés pour pro­mou­voir les tech­no­lo­gies propres. Selon les chiffres offi­ciels, les pertes éco­no­miques cau­sées par la pol­lu­tion de l’environnement repré­sen­taient 3 % du PIB en 2004. Depuis, le pro­gramme a été arrê­té, mais les sta­tis­tiques confirment glo­ba­le­ment ces chiffres comme une esti­ma­tion basse.

Des ressources rares et mal utilisées

Le phé­no­mène de rare­té concerne au pre­mier chef les res­sources aqua­tiques. Chaque citoyen chi­nois a, en moyenne, une réserve d’eau de 2 200 m3, soit 28 % de la moyenne mon­diale. Près de 42 % de la popu­la­tion vit dans les pro­vinces sep­ten­trio­nales de la Chine (qui com­prennent 60 % de ses terres culti­vées), où ils ont accès à seule­ment 14% de l’approvisionnement en eau du pays. En outre, 90% des nappes phréa­tiques des villes, et 75 % des rivières et des lacs sont pollués.

Mécon­ten­te­ment public
Un nombre crois­sant de pro­tes­ta­tions locales ciblent des entre­prises indus­trielles dont les implan­ta­tions et les pro­jets sont pré­ju­di­ciables à la qua­li­té de l’eau et de l’air et donc à la san­té des com­mu­nau­tés voisines.
En 2007 déjà, Chen Xiwen, direc­teur de l’Office cen­tral du tra­vail rural, décla­rait que les péti­tions adres­sées par les pay­sans aux divers niveaux des auto­ri­tés gou­ver­ne­men­tales avaient pour sujet l’expropriation des terres (envi­ron 50%), la cor­rup­tion au sein des comi­tés de vil­lage (30%) et la pol­lu­tion de l’environnement (20%). Le der­nier chiffre a pro­ba­ble­ment été en hausse constante depuis lors.

La Chine émet autant de pol­lu­tion orga­nique dans le milieu aqua­tique que les États-Unis, le Japon et l’Inde réunis. En 2006, envi­ron 80% des 7 555 usines pol­luantes étaient situées près des rivières et des lacs, ain­si que dans les zones den­sé­ment peu­plées, et 60 000 décès étaient impu­tés à une mala­die résul­tant de la pol­lu­tion aquatique.

La pol­lu­tion de l’air consti­tue une deuxième pré­oc­cu­pa­tion majeure. La Chine est aujourd’hui le lea­der mon­dial des émet­teurs de soufre et des gaz à effet de serre. Selon diverses pré­vi­sions, les émis­sions de CO2 de la Chine repré­sen­te­ront envi­ron 20 % du total mon­dial en 2025. La Banque mon­diale a esti­mé en 2007 que, sur les vingt villes les plus pol­luées au monde, douze étaient chi­noises. En outre, le nombre de véhi­cules sur les routes est pas­sé de 5,5 mil­lions en 1990 à 70 mil­lions en 2010, avec une pré­vi­sion de 200 mil­lions pour 2020.

Sur les vingt villes les plus pol­luées au monde, douze sont chinoises

La dépen­dance éner­gé­tique au char­bon pose un pro­blème par­ti­cu­lier, étant don­né les réserves très abon­dantes du pays qui brûle déjà plus de char­bon que les États-Unis, l’Europe et le Japon réunis. La fer­me­ture pro­gres­sive des mines arti­sa­nales devrait amé­lio­rer la situa­tion, mais l’augmentation des rejets de conta­mi­nants persistera.

Protéger les sols

La conser­va­tion des sols repré­sente la troi­sième grande pré­oc­cu­pa­tion envi­ron­ne­men­tale. Dans la der­nière décen­nie, la Chine a per­du près de 8 mil­lions d’hectares de terres culti­vables, avec 10 mil­lions d’hectares sup­plé­men­taires d’ici 2030. Les gou­ver­ne­ments locaux vendent sou­vent leurs terres aux amé­na­geurs urbains, ou même uti­lisent la terre comme contre­par­tie des prêts qu’ils effec­tuent. L’utilisation de la res­source fon­cière n’est pas des plus effi­caces : envi­ron 43% des terres réqui­si­tion­nées pour le déve­lop­pe­ment urbain res­tent inemployées.

En même temps, la perte de terres agri­coles est per­çue comme une menace sérieuse pour l’autosuffisance alimentaire.

Société civile et politiques étatiques

Manque d’efficacité
Une enquête de 2006, diri­gée par l’Académie chi­noise des sciences, classe la Chine 56e sur 59 pays étu­diés en termes d’efficacité d’utilisation des res­sources. Bien que des efforts remar­quables aient été consen­tis dans la période 2007–2009, la ten­dance ne s’est pas inver­sée : en 2011, la consom­ma­tion d’énergie a pro­gres­sé de 7%, le taux le plus éle­vé depuis 2007.

Les pré­oc­cu­pa­tions éco­lo­giques sont deve­nues une dimen­sion impor­tante de la socié­té civile en for­ma­tion. Un exemple récent est four­ni par la mobi­li­sa­tion inter­ve­nue en octobre 2012 dans la ville de Ning­bo – une mobi­li­sa­tion assez large et réso­lue pour avoir réus­si à obte­nir la sus­pen­sion d’un pro­jet d’expansion d’une uni­té pétro­chi­mique chif­fré à près de 9 mil­liards de dollars.

La Chine semble faire du réchauf­fe­ment cli­ma­tique une fatalité

Les auto­ri­tés savent néan­moins que le main­tien du taux de crois­sance reste en tête des aspi­ra­tions citoyennes. Jusqu’à pré­sent, les appels à évo­luer vers un modèle de crois­sance verte lan­cés conjoin­te­ment par les orga­nismes de recherche et la Banque mon­diale n’ont pas été vrai­ment tra­duits dans les faits : les mesures de relance ne prennent que mar­gi­na­le­ment en compte leur impact écologique.

En revanche, la maî­trise des tech­no­lo­gies vertes – voi­ture propre et éner­gie solaire en par­ti­cu­lier – est consi­dé­rée comme une prio­ri­té nationale.

Un nouveau positionnement international

Le posi­tion­ne­ment inter­na­tio­nal de la Chine en matière éco­lo­gique a évo­lué bien plus len­te­ment qu’on ne pou­vait l’espérer. Les réti­cences chi­noises sont lar­ge­ment expli­cables par la convic­tion que la pro­duc­tion de gaz à effet de serre par tête d’habitant reste étroi­te­ment cor­ré­lée au degré de déve­lop­pe­ment des pays.

Bei­jing consensus
La Chine reste très fer­me­ment atta­chée aux « cinq prin­cipes de coexis­tence paci­fique » (res­pect mutuel de la sou­ve­rai­ne­té et de l’intégrité ter­ri­to­riale, non-agres­sion mutuelle, non-ingé­rence dans les affaires inté­rieures, éga­li­té et avan­tages réci­proques et coexis­tence paci­fique). Sur le plan envi­ron­ne­men­tal, cette poli­tique se décline par le Bei­jing consen­sus, fon­dé sur le prin­cipe de ne pas impo­ser aux pays en déve­lop­pe­ment des contraintes poli­tiques préa­lables aux aides apportées.

Après tout, l’Australie, les États- Unis et le Cana­da sont tou­jours les plus gros pol­lueurs par habi­tant, et le niveau de vie des pays les plus riches sert de réfé­rence au reste de la pla­nète – en par­ti­cu­lier à la Chine. Celle-ci semble faire du réchauf­fe­ment cli­ma­tique une fatalité.

Par ailleurs, la Chine s’est révé­lée maî­tresse dans l’art d’attirer les finan­ce­ments inter­na­tio­naux des­ti­nés au déve­lop­pe­ment des éner­gies alter­na­tives. C’est une rai­son sup­plé­men­taire pour qu’elle conti­nue sans doute à limi­ter les accords inter­na­tio­naux à un régime faci­li­tant des pro­jets de coopé­ra­tion concrets dans les domaines de la R&D pour des nou­velles énergies.

Pour l’heure, la Chine pour­sui­vra à son propre rythme sa réforme éco­lo­gique, un rythme qui dépen­dra pour une bonne part des déci­sions que pren­dra le nou­veau lea­der­ship chi­nois à l’issue du ple­num de l’Assemblée natio­nale popu­laire de mars 2013, mais elle refu­se­ra de se lier plus avant par des accords internationaux.

Prise de conscience
Il est dif­fi­cile de comp­ta­bi­li­ser les asso­cia­tions éco­lo­giques en Chine ; selon diverses sources, on comp­te­rait un peu plus de 350 000 ONG offi­ciel­le­ment enre­gis­trées en Chine, et entre un et deux mil­lions d’associations en attente de recon­nais­sance légale. L’urbanisation crois­sante joue aus­si un rôle dans les muta­tions en cours de la conscience environnementale.

L’équation à laquelle se confronte le nou­veau gou­ver­ne­ment compte des variables poli­tiques (évo­lu­tion du rôle du Par­ti-État), sociales (éten­due et rai­sons du mécon­ten­te­ment citoyen, modes d’expression de la socié­té civile) et éco­no­miques (pos­si­bi­li­té ou non de modi­fier les res­sorts de la crois­sance éco­no­mique sans en dés­équi­li­brer les fondamentaux).

Plu­tôt que d’être consi­dé­rée comme variable indé­pen­dante, c’est en fonc­tion et à l’intérieur de cette équa­tion que la ques­tion éco­lo­gique conti­nue­ra vrai­sem­bla­ble­ment d’être abordée.

L’EXPLOSION DES TECHNOLOGIES VERTES

La Chine fait aujourd’hui la course en tête en matière d’investissements dans les tech­no­lo­gies vertes devant les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie. L’idée d’une éco­no­mie chi­noise spé­cia­li­sée dans le bas ou le milieu de gamme indus­triel est révo­lue. La Chine est en passe de deve­nir lea­der dans les hautes technologies.
Ain­si les pan­neaux solaires, ins­tal­lés dans le monde sont aujourd’hui, pour la moi­tié d’entre eux, fabri­qués en Chine – pour l’essentiel par les géants Sun­tech et Tri­na Solar. La pro­duc­tion chi­noise de pan­neaux solaires, à peu près inexis­tante il y a cinq ans, est la pre­mière du monde aujourd’hui. L’histoire est simi­laire en matière de tur­bines éoliennes. Inexis­tante il y a dix ans, l’industrie éolienne chi­noise compte quatre entre­prises par­mi les dix pre­miers fabri­cants de tur­bines dans le monde. La Chine est lea­der des tech­no­lo­gies vertes, « et alors ? », serions-nous ten­tés de nous deman­der. C’est l’apparente capa­ci­té de la Chine à tout pro­duire, qui en réa­li­té inquiète.
Avec son mélange de cen­tra­lisme, d’apprentissage par essais et erreurs et de mise en réseau d’oligopoles régio­naux sur un vaste mar­ché inté­rieur, la Chine paraît dis­po­ser d’une struc­ture éco­no­mique modu­lable comme un Rubik’s cube, contrai­re­ment à nos vieilles économies.

Tan­crède Voi­tu­riez, CIRAD et IDDRI

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