Conflits africains et richesses minières. République démocratique du Congo, Angola, Sierra Leone et pays voisins)
Les pays concernés par des conflits armés qui perdurent pour le contrôle et le trafic de richesses minières sont surtout la RDC (République démocratique du Congo, ex-Zaïre), l’Angola et la Sierra Leone, et, par leur implication dans ces trois conflits, plusieurs de leurs voisins (surtout le Liberia, l’Ouganda, le Rwanda et le Zimbabwe). Le contrôle des richesses pétrolières a aussi été ou est encore un élément important de la récente guerre civile au Congo-Brazzaville, et de celle du Soudan.
Les substances concernées sont de deux grandes catégories :
- celles qui nécessitent, pour leur exploitation, leur valorisation et leur transport, de lourds investissements et une certaine technicité, et qui ne peuvent être exploitées économiquement que par des sociétés puissantes, lesquelles n’investissent ou n’opèrent, à l’exception des plus aventureuses d’entre elles, que dans des zones suffisamment contrôlées par les gouvernements officiels et sécurisées. C’est le cas bien sûr du pétrole, mais aussi du cuivre et du cobalt dont des gisements très importants sont situés dans le sud de la RDC (Copper Belt1) ;
- celles qui peuvent, au moins en partie, être exploitées de manière relativement artisanale, avec des investissements et une technicité modestes, surtout celles qui ont une valeur très élevée par unité de masse et peuvent donc être transportées discrètement, même là où les infrastructures de transport sont inexistantes ou délabrées, et qui attirent les convoitises de toutes sortes d’intermédiaires, de trafiquants et de » seigneurs de la guerre « . C’est le cas, dans les pays dont il est question ici, surtout du diamant, mais aussi de l’or, et désormais, du » coltan « , nom donné localement à la colombo-tantalite.
Les conflits de la RDC, de l’Angola et de la Sierra Leone opposent les gouvernements officiels à des factions rebelles – elles-mêmes parfois en guerre entre elles. Si l’origine des rébellions a pu être un temps idéologique (Angola), politique (contre la dictature de Mobutu au Zaïre) ou ethnique, les raisons économiques, l’ambition personnelle et l’enrichissement de certains chefs, de certains » seigneurs de guerre « , par l’exploitation et le trafic de richesses minières, ont désormais largement pris le relais.
D’un côté, les mouvements rebelles doivent s’assurer le contrôle de ces ressources pour acheter des armes et payer leurs troupes, et de l’autre, les États doivent faire de même pour se défendre.
1. Situation par pays
L’Angola
En Angola, le conflit remonte aux premières organisations de mouvements contre le pouvoir colonial portugais dans les années 50–60, en particulier le MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Angola), fondé par des proches du Parti communiste portugais, puis l’Unita (Union pour l’indépendance totale de l’Angola), fondé par Jonas Savimbi.
Lorsque le Portugal se désengage à la suite de sa révolution des Œillets, ces deux mouvements rivaux se disputent le pays. Le MPLA prend le contrôle de la capitale Luanda et proclame formellement l’indépendance (novembre 1975). Il tient en particulier la côte nord où se concentrent les richesses pétrolières du pays. L’Unita prend le contrôle d’une grande partie du Sud et de nombreux champs diamantifères. Elle s’affronte violemment au MPLA. En pleine guerre froide, ce dernier obtient le soutien du bloc soviétique, et Cuba envoie jusqu’à 50 000 soldats. Pour le bloc occidental, alors que les États-Unis subissent une démotivation passagère avec leur départ du Viêtnam et le Watergate, c’est d’abord et surtout l’Afrique du Sud qui soutient l’Unita. Mais les États-Unis lui envoient rapidement de l’argent (250 M$ entre 1985 et 1991), » prêtent » même des missiles Stinger et finiront même par recevoir et décorer Jonas Savimbi à la Maison-Blanche.
Avec les négociations sur l’indépendance de la Namibie, auxquelles se trouvait lié le départ des 50 000 Cubains d’Angola, puis avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la fin de la guerre froide, les deux mouvements angolais perdirent leurs soutiens extérieurs les plus voyants et les plus actifs, et le conflit ses enjeux internationaux. Des accords de paix entre le MPLA et l’Unita furent négociés, avec organisation d’élections générales en septembre 1992. Mais, alors que l’Unita contrôlait en fait presque tout l’intérieur du pays et en particulier les champs diamantifères, c’est le MPLA qui remporta ces élections. Jonas Savimbi quitta alors Luanda et les hostilités reprirent, avec clairement pour cible les régions diamantifères et en particulier la région du Lunda-Norte (et même momentanément les régions pétrolières avec des attaques de l’Unita début 1993).
L’Unita disposait encore d’armements et se finançait avec le produit des diamants. Le gouvernement (le MPLA), militairement affaibli par le départ des troupes cubaines, mais désormais mieux accepté par les Occidentaux, commença à négocier des contrats d’achats d’armement avec les productions pétrolières futures.
Fort de ces nouveaux appuis, le gouvernement reprit progressivement le contrôle de la plus grande partie du territoire, et en particulier des champs diamantifères, au prix de batailles sanglantes. L’Unita, isolée, s’est depuis lors repliée dans le sud-est du pays (le long de la bande namibienne de Caprivi).
Entre 1992 et 1997, selon » Global Witness « , le conflit angolais aurait encore fait 500 000 morts, et l’Unita aurait gagné 3,7 milliards de dollars en vente de diamants illégaux. Elle est maintenant déconsidérée auprès de la Communauté internationale ; et le Conseil de sécurité des Nations Unies, conscient que le trafic du diamant est le nerf qui permet la poursuite de la guerre, a adopté le 12 juin 1998 la résolution 1173 qui interdit aux États membres toute importation, directe ou indirecte, d’Angola, de diamants qui n’ont pas leur certificat d’origine établi par le gouvernement de Luanda. La résolution interdit aussi l’exportation, dans les territoires sous contrôle de l’Unita, de tout équipement minier. Encore faudrait-il que l’application de cette résolution soit contrôlable. Ainsi la traçabilité des diamants commença-t-elle à devenir un enjeu important.
Les Nations Unies estimaient encore à environ 150 M$ la valeur des diamants produits dans les secteurs sous contrôle de l’Unita en 1999. Cette valeur aurait chuté en 2000 avec ses revers militaires et la perte de certaines zones productrices.
La République démocratique du Congo
En RDC, alors appelée Zaïre, il y a quelques années, le mouvement rebelle de Laurent-Désiré Kabila s’était renforcé avec l’appui de l’Ouganda et du Rwanda. Ce dernier pays était intervenu au Zaïre pour lutter contre les extrémistes Hutus, dont certains anciens responsables du génocide de 1994, qui avaient fui le Rwanda après le renversement de pouvoir à Kigali et qui avaient commencé à financer leur réarmement par l’exploitation clandestine ou le pillage de l’or dans ces secteurs du nord-est du Zaïre, pratiquement plus contrôlés par le pouvoir déliquescent de Mobutu à Kinshasa.
Finalement, Laurent-Désiré Kabila, et ses alliés, après une progression rapide, renverse Mobutu, prend le pouvoir à Kinshasa, en mai 1997, et rebaptise le pays République démocratique du Congo.
Mais son image de libérateur ternit rapidement ; sa dictature et sa cupidité sur les richesses minières n’ont finalement rien à envier à celles de son prédécesseur. Et le pays, immense, aux infrastructures et voies de communication délabrées, reste difficilement sous contrôle. Suite au rapprochement de Kabila avec les Hutus du Nord-Est, les alliances se renversent : ses anciens protecteurs rwandais et ougandais se retournent contre lui et soutiennent les mouvements dissidents et les nouveaux seigneurs de la guerre. Ensemble, ils prennent rapidement le contrôle d’une grande moitié nord-est du pays, et tirent profit des richesses minières qui s’y trouvent. Pour arrêter leur progression, L.-D. Kabila trouve l’appui militaire de l’Angola, du Zimbabwe et de la Namibie.
L’Angola s’était en fait déjà allié à L.-D. Kabila, lors de sa guerre de conquête du pouvoir, et espérait ainsi empêcher les attaques de l’Unita à partir du sud du Zaïre, ainsi que l’écoulement par là de ses diamants. Et le Zimbabwe, en difficulté économique, pouvait espérer se payer ses services sur les richesses minières de la RDC. L.-D. Kabila s’est effectivement servi des richesses minières des zones sous son contrôle, en particulier des diamants du Kasaï, pour payer ses tuteurs angolais et zimbabwéens, et acheter ses armements.
Les pressions internationales ont fini par conduire à des négociations de paix sous l’égide de l’ONU à Lusaka en juillet 1999, avec un processus qui prévoyait dans un premier temps le retrait des forces étrangères. Ce processus était resté un vœu pieux, au moins jusqu’à l’assassinat de L.-D. Kabila en janvier 2001, et son remplacement par son fils, Joseph Kabila. Celui-ci tient désormais un langage moins belliqueux que son père. Il cherche à obtenir un soutien international à la pacification et a autorisé le déploiement de la force militaire d’observation de l’ONU (MONUC).
Mais la résolution définitive du conflit est compliquée non seulement par l’avidité des parties en présence (voir plus loin ce qu’en dit la commission d’enquête de l’ONU), mais aussi par les querelles internes dans les deux camps principaux. À Kinshasa, Joseph Kabila doit continuer à asseoir son autorité vis-à-vis des nostalgiques de son père et composer avec les intérêts des Angolais et des Zimbabwéens. Et les factions rebelles qui dominent l’est du pays et leurs sponsors respectifs ougandais et rwandais ne forment pas une coalition unie. Il y a eu des heurts importants entre soldats rwandais et ougandais au Congo, et les relations entre les deux pays ne sont pas au beau fixe.
Début 2001, le gouvernement de Kinshasa domine la moitié sud-ouest du pays, avec le soutien de l’Angola et du Zimbabwe. Il contrôle la Copper Belt, la ceinture où se trouvent les gisements de cuivre et de cobalt du Katanga (et de la Zambie voisine), et l’essentiel du Kasaï et de ses diamants (secteur de Mbuji-Mayi).
Trois principaux mouvements rebelles contrôlent le nord et l’est du pays :
- Le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie), soutenu par le Rwanda, contrôle environ 30 % du territoire, les gisements de colombo-tantalite (et de cassitérite, le minerai d’étain) du Kivu (qui s’étendent au Rwanda), les champs diamantifères de la région Nord-Est de Kisangani, et les gisements de diamant du Kasaï oriental (secteur de Lubao). Les produits sont écoulés essentiellement par le Rwanda, qui se retrouve exportateur de diamant, alors qu’il n’en a pas dans son sous-sol, et qui accentue sa mainmise avec le RCD sur la commercialisation du coltan.
- Le RCD-Assemblée générale, pro-ougandais, contrôle le nord-est du pays et en particulier les gisements d’or de la région de Kilo-Moto. L’Ouganda est d’ailleurs devenu un exportateur significatif d’or, en même temps que la production congolaise chutait (voir tableau 1 ci-contre), alors qu’il n’a lui-même que de petites exploitations artisanales.
- Le MLC (Mouvement pour la libération du Congo) contrôle essentiellement le nord du pays, le long de la frontière centrafricaine, dans lequel se trouvent aussi des champs diamantifères.
La République démocratique du Congo dans son ensemble reste assise sur un sous-sol très riche. Elle dispose des deux tiers des réserves mondiales de cobalt, du dixième du cuivre, du tiers du diamant, ainsi que d’un potentiel appréciable d’or, d’uranium, de manganèse, d’étain et de tantale. Ces richesses sont le principal moyen pour les différents camps en présence de se procurer armes et munitions pour se maintenir en place.
Tableau 1– Évolution comparée de la production minière d’or du Congo et de l’Ouganda (en kg) | ||||||||||
1991 | 1992 | 1993 | 1994 | 1995 | 1996 | 1997 | 1998 | 1999 | 2000 | |
R. D. Congo | 6 131 | 2 525 | 1 502 | 780 | 1 180 | 1 252 | 394 | 134 | 100 | N.C. |
Ouganda | 0 | 0 | 0 | 1 627 | 3 094 | 5 067 | 6 819 | 5 029 | 5 778 | N.C. |
Source : Annuaire statistique mondial des minerais et métaux |
En réalité, les parties en conflit se servent surtout de la partie de ces ressources exploitables artisanalement et avec peu d’investissements (diamants, or, coltan). Cependant pour extraire, transporter et faire fructifier les autres richesses, le cuivre, le cobalt, etc., il faut des investissements importants. Aussi l’instabilité a bloqué tous les projets d’envergure. Laurent-Désiré Kabila lui-même a découragé les investisseurs, confiant puis retirant aux sociétés étrangères les concessions minières qui leur étaient octroyées.
En 1989, le pays exportait 443 000 tonnes de cuivre et 9 300 tonnes de cobalt, dont il était le premier producteur mondial. En 1999, il n’en a exporté que 31 000 tonnes et 2 300 tonnes respectivement. La Gécamines (Générale des Carrières et des Mines), la société nationalisée qui en exploitait la majeure partie, a sombré par la mauvaise gestion et les détournements, aussi bien sous Mobutu que sous L.-D. Kabila, et par les conflits qui se sont succédé.
Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant à ce que le marché des matières premières ne réagisse plus aux événements de Kinshasa. Si l’ex-Zaïre occupe une place importante dans l’imaginaire collectif, comme le Pérou en Amérique latine, il n’est plus sur le plan minier qu’un acteur résiduel et marginal.
Avec le retour espéré du calme, la Gécamines cherche à redévelopper sa production, en amenant ses concessions à des joint-ventures négociées avec divers opérateurs multinationaux.
Quant au diamant, la RDC en est le deuxième producteur mondial, en quantité, après l’Australie. Mais seulement 6 % sont de qualité gemme et 40 % semi-gemme.
C’est la MIBA2 (Minière de Bakwanga3) qui détient l’essentiel des concessions à Mbuji-Mayi, l’une des zones les plus productrices du monde. Elle est titulaire de 1 000 km² de Permis d’exploitation et 70 000 km2 de Zones exclusives de prospection, et produit environ 6 millions de carats par an (6,6 millions de carats en 1998, pour une valeur totale de 94 M$). Mais sa principale concession a été accaparée par les Zimbabwéens qui l’exploitent en » dédommagement » de leur soutien au régime et de leur effort de guerre, sous la protection de certaines hautes autorités de Kinshasa.
La production artisanale officielle s’est montée, en 1998, à 19,3 millions de carats, pour une valeur totale de 357 M$. Quant à la production clandestine, exportée en contrebande, elle était estimée, en 1998, à environ 100 M$.
Cette même année, ce sont 3,4 tonnes d’or qui auraient été exportées illégalement (pour une production officielle négligeable, voir tableau 1). Et même les gisements de cobalt de la Gécamines avaient été envahis par plusieurs dizaines de milliers de mineurs illégaux qui en récoltaient la portion oxydée et la revendaient en Zambie voisine.
Ainsi, non seulement la RDC ne profite pas de la part des richesses minières qui sont accaparées par les autres pays impliqués dans le conflit, mais elle n’arrive plus à mettre correctement en valeur ses plus riches gisements. Elle dispose pourtant encore de ressources considérables et d’un important potentiel de nouvelles ressources à découvrir. Une stabilisation de l’environnement politique, combinée avec les réformes institutionnelles et fiscales, la révision du Code minier, la mise en place d’un Cadastre minier, recommandées par la Banque Mondiale, pourrait redynamiser ce secteur, qui a toujours été une composante dominante du PNB.
Pour cadrer et orienter sa politique, le Conseil de sécurité des Nations Unies avait demandé en juin 2000 l’envoi d’une » Commission d’enquête internationale sur l’exploitation illégale des Ressources naturelles et autres richesses de la RDC « , pour collecter toute information sur l’exploitation illégale des ressources et les violations de souveraineté, rechercher les liens entre l’exploitation de ces ressources et la poursuite des conflits armés et faire les recommandations conséquentes.
Exploitation de diamant alluvionnaire. PHOTO J.-F. LABBÉ
Cette commission a travaillé pendant six mois, a remis un rapport préliminaire le 16 janvier 2001, et devait remettre officiellement son rapport final début avril. Le Monde du 22 mars 2001 en publie les conclusions4.
Elles confirment l’accusation « des alliés et des ennemis du Congo de se livrer à un pillage systématique et organisé des richesses de ce pays déchiré par la guerre. Le Zimbabwe, l’Ouganda ou le Rwanda, pays rivaux et impliqués dans le conflit figurent en tête de liste de ces profiteurs, des militaires ou des proches de l’entourage du pouvoir […] Le pillage des fabuleuses richesses minières du Congo n’était pas un secret. Mais, grâce à ce rapport détaillé, on apprend les noms des prédateurs, leurs affiliations au pouvoir à Kinshasa ou au régime de tel ou tel pays voisin, de même que les principaux débouchés de cette rapine organisée. Le rapport est catégorique : les ressources naturelles du Congo financent non seulement la guerre qui s’y déroule depuis près de trois ans, mais servent à enrichir un grand nombre de militaires, de familles de présidents ainsi que divers intermédiaires, souvent les mêmes qui troquent des diamants pour des armes dans d’autres pays d’Afrique, comme la Sierra Leone ou le Liberia.
Les conclusions sont particulièrement accablantes pour des pays dits » envahisseurs « , l’Ouganda et le Rwanda. Le rapport affirme que les revenus tirés par ces deux pays des richesses congolaises leur » permettent de financer leurs activités militaires en RDC mais aussi l’enrichissement de la haute hiérarchie militaire et politique « .
Sont aussi mentionnés des témoignages concordants indiquant que les commandants de l’Armée patriotique rwandaise (APR) » utilisent les prisonniers des forces congolaises, estimés entre 1 000 et 3 000, à des travaux forcés dans les mines, renvoyant au fur et à mesure les creuseurs locaux « .
Si les pays agresseurs sont largement mis en cause, les forces alliées au régime de Kinshasa ne sont pas épargnées. » Pour un gouvernement, financer les frais militaires occasionnés par ses propres troupes par des revenus tirés des ressources naturelles est légitime « , dit le rapport, » mais le gouvernement congolais permet à des militaires angolais, namibiens et zimbabwéens de tirer des revenus de l’exploitation de diamants en violation des pratiques légales « . Parmi les alliés, le Zimbabwe se distingue par sa rapacité. »
La Sierra Leone
En Sierra Leone, le conflit, allumé par une contagion du conflit libérien, oppose depuis une dizaine d’années le gouvernement de Freetown et les rebelles du RUF (Front révolutionnaire uni), désormais retranchés dans les forêts difficilement contrôlables du nord-est du pays. Son principal moteur est les riches gisements diamantifères du pays. Ce conflit a surtout défrayé la chronique par les méthodes hallucinantes employées par les forces en présence (enrôlement des enfants, qui ont souvent été drogués, exactions, mutilations volontaires, etc., et tout cela pour des diamants…).
Un accord de paix avait été signé à Lomé en juillet 1999, parrainé par les Nations Unies et la CEDEAO (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest), et des Casques bleus (la MINUSIL) ont été déployés. Mais le RUF et son chef Foday Sankoh, qui avaient été officiellement » pardonnés » par les accords de paix, malgré leurs exactions, ont repris leurs attaques (allant jusqu’à enlever des Casques bleus).
Ils se sont ainsi à nouveau opposés à la communauté internationale qui a repris le parti du gouvernement de Freetown contre eux.
Le maintien de la capacité de nuisance du RUF est intimement lié à ses moyens de financement obtenus de l’extraction des diamants dans les secteurs sous son contrôle, et leur écoulement via le Liberia voisin : sur les sept dernières années, le Libéria a exporté 6 millions de carats de diamants bruts, pour une valeur de 300 M$, alors que sa capacité de production propre est estimée à seulement 100 000 à 150 000 carats (10 M$).
Ce trafic a donc généré des revenus considérables pour Sankoh et les autres commandants du RUF.
Comme pour l’Angola, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté en juillet 2000 la résolution 1306 qui interdit aux États membres toute importation, directe ou indirecte, de tout diamant illicite de Sierra Leone.
Ceux-ci continuent néanmoins à être exportés via le Liberia, avec la complicité active d’officiels libériens qui en tirent profit. L’ONU estime que les revenus annuels du RUF tirés des diamants sont désormais dans la fourchette de 25 à 125 M$.
Ceci rendait encore plus aigu le problème du contrôle et de la traçabilité des diamants. Et c’est tout le milieu de l’industrie et du commerce des diamants qui se trouve concerné.
Rôle des marchés mondiaux – Illustration par les cas particuliers du diamant et du coltan
Le diamant
Si le problème des diamants » illicites » (diamants volés aux producteurs légitimes, ou diamants issus de la petite mine alluvionnaire artisanale, et passés en contrebande vers d’autres pays pour y être vendus) a toujours existé, il est devenu évident qu’une part importante des diamants » illicites » n’est plus utilisée pour le simple enrichissement d’individus ou de groupes, mais sert à financer des guerres civiles longues et des groupes terroristes. C’est ce qu’on appelle désormais les » Diamants conflictuels » (« Conflict Diamonds »). Ils sont définis comme des diamants provenant de zones contrôlées par des forces qui combattent le gouvernement légitime et internationalement reconnu du pays concerné.
Les Nations Unies, qui avaient voté des embargos sur ces Diamants conflictuels d’Angola et de Sierra Leone, ont pointé du doigt le caractère laxiste de certains centres diamantaires (un diamantaire d’Anvers a admis, auprès d’Amnesty International, en octobre 2000, trois mois après la résolution du Conseil de Sécurité bannissant les diamants non certifiés de Sierra Leone : » Si quelqu’un me propose un diamant à 30 % en dessous de sa valeur, suspecterai-je quelque chose ? Bien sûr. Ce sera probablement un Diamant conflictuel. L’achèterai-je ? Bien sûr. Je suis ici pour faire des affaires. L’ai-je déjà fait ? Je ne peux vous le dire. »
L’offre de diamant par des » groupes paramilitaires non légitimes » en Angola, RDC et Sierra Leone pour soutenir leurs efforts de guerre est également dénoncée par des Organisations non gouvernementales (ONG) actives telles que » Global Witness « .
La société De Beers, qui contrôle d’une manière ou d’une autre 65 % de la production mondiale officielle de diamant brut, maintient que ses diamants sont » propres « . Elle avait même officiellement cessé tout achat de diamant angolais, mettant en doute l’authenticité ou l’honnêteté des certificats gouvernementaux. Elle estime que la valeur totale des » Diamants conflictuels » a été d’environ 255 M$ en 1999, soit à peu près 4 % de la valeur brute de la production annuelle mondiale, de 6,8 milliards de dollars. Elle estime la répartition à 150 M$ pour l’Angola (Unita), 70 M$ pour la Sierra Leone (RUF), et 35 M$ pour la RDC.
Lavage artisanal de gravier diamantifère. PHOTO J.-F. LABBÉ
Comme De Beers, d’autres sociétés ont effectivement cessé d’acheter des diamants, dans les pays en conflit, qui ne viendraient pas de mines sous licence des gouvernements légitimes. Mais il y aura toujours des acheteurs peu scrupuleux qui achèteront des Diamants conflictuels à des prix discount et essaieront de les revendre comme des diamants légitimes. Et la circulation des diamants est facile, étant donné leur rapport valeur sur masse : la valeur des diamants angolais est estimée en moyenne à 250 $ le carat (0,2 gramme), celle des diamants de Sierra Leone a 100 à 300 $, et ceux de RDC, dont une moindre proportion est de qualité gemme, en moyenne à 31 $.
Il serait donc nécessaire de mettre au point soit des mécanismes de certification d’origine fiables, soit des méthodes scientifiques qui permettraient de déterminer avec précision l’origine d’un diamant. Plusieurs initiatives ont été lancées, et plusieurs organismes y travaillent.
Certains ont proposé, au Congrès américain, que tout diamant de plus de 100 $ vendu aux États-Unis ait un certificat d’origine (sachant que les diamants de moins de 100 $ sont très petits, leur certification serait irréaliste).
Le marché de détail du diamant pourrait en effet être atteint si le public se mettait à penser que de nombreux diamants sont en fait des Diamants conflictuels, et que cela conduisait à un boycott d’envergure (voir ce qui est arrivé au marché de la fourrure).
Mais pourrait-on identifier l’origine des diamants par leurs propriétés intrinsèques, par leur » signature naturelle » ? Les pierres précieuses contiennent des éléments traces (impuretés en quantité infime) et des inclusions dont les signatures isotopiques peuvent être caractéristiques. La reconnaissance de la provenance des émeraudes est maintenant fiable (méthode mise au point au CNRS-CRPG de Nancy).
Des recherches similaires pourraient être envisagées pour les diamants, qui contiennent à l’état de traces de l’azote, du bore, de l’aluminium, du silicium, etc. Les mesures isotopiques sur ces éléments pourraient peut-être permettre d’abord d’obtenir un profil caractéristique de chaque gisement, d’en établir une banque de données, puis de déterminer par comparaison l’origine des pierres analysées. Faudrait-il encore que ces mesures, si toutefois elles prouvent leur efficacité, puissent se faire sans détruire le diamant ! Et qu’appliquer ces méthodes sur l’ensemble des diamants qui arrivent sur le marché ait un coût supportable !
La recherche en ce domaine est encore balbutiante. Et il est peu probable qu’on pourra distinguer par leur signature naturelle des diamants provenant d’un même champ diamantifère, mais de part et d’autre d’une frontière (comme le champ de Lunda-Norte-Kasaï, à cheval sur l’Angola et la RDC).
Une autre solution est la signature artificielle, le marquage au laser de la pierre précieuse (« empreinte digitale » avec logo, chiffres spécifiques ou numéros séquentiels). Le procédé doit être à la fois non destructif et spécifique, identifiant la provenance d’une mine ou d’une société. C’est ce que viennent juste de lancer BHP-Diamonds Inc. et Dia Met Minerals Ltd., sur la production de leur mine d’Ekati, au Canada : ces sociétés ont annoncé par un communiqué de presse du 11 avril 2001 qu’ils marqueraient désormais au laser leurs meilleurs diamants du logo d’Ekati™ et d’un numéro.
En plus de l’objectif de permettre le contrôle des Diamants conflictuels, de tels projets de recherche et développement auraient aussi des intérêts scientifiques (signatures typologiques, banque de données, méthodologie) et commerciaux certains : non seulement les gouvernements des pays producteurs et les sociétés minières pourraient montrer leur conformité avec les restrictions des Nations Unies, mais les primes d’assurance liées au transport et aux vols pourraient être diminuées. Et les centres de taille, les grands bijoutiers comme les acheteurs finaux pourraient être tranquillisés par des fiches identitaires de provenance fiables.
Le coltan
Le coltan est le nom donné dans la région des Grands Lacs (Kivu en RDC, Rwanda) à la colombo-tantalite, le niobo-tantalate naturel de fer et de manganèse [(Fe, Mn) (Nb, Ta)2O6], le niobium et le tantale étant en proportion variable, avec une proportion moyenne de 30 % de tantale environ pour le coltan des Grands Lacs, soit une teneur en tantale plutôt élevée.
C’est un minéral qui se trouve essentiellement dans des pegmatites et des granites albitisés, et qu’on retrouve ensuite aussi dans les gisements alluvionnaires. C’est une source majeure de tantale, ainsi qu’un important minerai de niobium (à côté du pyrochlore).
Le niobium est de plus en plus utilisé pour des aciers spéciaux, mais c’est surtout la demande en tantale qui a explosé ces dernières années, en particulier pour les condensateurs miniaturisés des téléphones portables.
Le coltan est extrait artisanalement des collines et des alluvions du Kivu par des mineurs artisanaux, puis vendu sur les marchés de Bukavu, où le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) et son allié rwandais viennent d’attribuer un monopole d’achat et d’exportation à la SOMIGL (Société Minière des Grands Lacs). Le marché devient hautement lucratif.
Avec l’accroissement de la demande, le prix de l’oxyde de tantale contenu a grimpé de 100 $/kg début 2000 à plus de 550 $/kg en mars 2001 (310 à 350 $/kg pour le concentré à 60 % de Ta2O5, voir figure 1 ci-dessus) en mars 2001. Le coltan serait acheté sur place de 30 à 100 $/kg (Mining Journal, janvier 2001), puis transporté au Rwanda, concentré et exporté avec la production nationale.
La production de la région (Kivu, Rwanda et Burundi) représenterait environ 10 % de la production mondiale de tantale (laquelle était de l’ordre de 1 000 t de Ta2O5 en 1998).
Comme pour les diamants et l’or, les civils profitent peu de ces richesses, et les bénéfices du business du coltan servent surtout à l’enrichissement des groupes rebelles et de leurs sponsors, ainsi qu’au financement de leurs armes et de leurs troupes, ce qui a conduit le journaliste Jean-Pierre Boris à dire, en raccourci : » Pensez‑y : chaque fois que vous allumez votre téléphone portable ou votre micro-ordinateur, vous appuyez sur la gâchette d’une arme automatique quelque part en Afrique centrale. »
Considérations pour l’avenir
Références
► African Mining Bulletin, article du 23 mars 2001.
► Assemblée générale des Nations Unies, décembre 2000. Résolution sur les » Conflict Diamonds « .
► African Mining Intelligence. Articles du 3⁄01, 17⁄01, 31⁄01, 28⁄02, 14⁄03 et 28/03/2001.
► BRGM (2000, 2001). Milesi Jean-Pierre et al., SIG-Afrique. (Document interne BRGM).
► Conseil de sécurité des Nations Unies, mars 2000. Rapport de la Commission d’enquête internationale sur la violation des sanctions du Conseil de Sécurité contre l’Unita.
► Conseil de sécurité des Nations Unies, janvier 2001. Rapport intérimaire de la Commission d’enquête internationale sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres richesses de la RDC (NDLA : le rapport final n’a pas encore été libéré et n’a pas pu être obtenu à la date de la rédaction.)
► Global Witness, juin 2000 : Conflict Diamonds.
► Hocquard Christian (BRGM) (mars 2001). » Recherches et documentation sur le financement des conflits africains par les richesses minières » (document interne).
► International Crisis Group, 16 mars 2001. From Kabila to Kabila. Prospects for peace in the Congo. Report and recommendations.
► Mining Journal, articles des 10/09/1999, 1/10/1999, 9/01/2001, 26/01/2001, 16/03/2001.
► Le Monde (29÷12÷2000). Smith Stephen, » Vingt-cinq ans de violence en Angola « .
► Le Monde (9÷02÷2001). Smith Stephen et Glaser Antoine, » Ces enfants-soldats qui ont tué Kabila « .
► Le Monde (22÷03÷2001). » Pour Afsané Bassir. Alliés et ennemis du Congo se livrent au » pillage systématique » de ses richesses « .
► Le Monde (5÷04÷2001). Smith Stephen, » Fanfare pour les Casques bleus sénégalais au cœur du Congo « .
► Le Monde (5÷04÷2001). » Joseph Kabila accélère ses réformes « .
► Le Monde Diplomatique (6÷02÷2001). Leymarie Philippe, » Vers la fin de la première guerre » africaine « .
► PNUD (1999). Schwartz Daniel et Singh Ashbindu. Environmental Conditions, Resources and Conflicts. An Introductory Overview and Data Collection.
► Le Règne Minéral, mars-avril 2001. Goujou Jean-Christian, » Le diamant et ses paradoxes « .
► Société de l’Industrie Minérale. Annuaire statistique mondial des Minerais et Métaux – Annuaire 1999, et Annuaire 2000 (en préparation).
► BHP Diamonds Inc. press release (11÷04÷2001). Ekati™ becomes the first diamond mine in the world to brand and certify origin of its top gemstones.
Les conflits angolais et sierra-léonais ont décru en acuité, et on peut espérer que, sous réserve d’un maintien de la fermeté de la communauté internationale, le conflit angolais finira par se dissoudre. Le conflit sierra-léonais, qui a commencé récemment à déborder en Guinée, sera cependant plus difficile à éteindre tant que le Liberia voisin ne fera pas pleinement respecter sur son territoire les mesures internationales et permettra la sortie illégale des diamants qui financent le RUF.
Le conflit congolais ne pourra prendre la voie de l’apaisement que si la communauté internationale maintient sa pression pour que les signataires des accords de Lusaka, les pays étrangers qui maintiennent des troupes en RDC, respectent leurs engagements et continuent le retrait de leurs troupes, et si les Nations Unies parviennent à assurer un calme qui permettra aux différentes factions congolaises de négocier.
On ne pourra pas facilement éliminer les trafics illégaux de diamants par des groupes mafieux, pas plus qu’on ne peut éliminer les trafics de drogues.
Mais au moins serait-il moral que les États, en particulier occidentaux, les sociétés minières et les diamantaires qui ont pignon sur rue ne s’associent pas à ces trafics, même par omission, améliorent toutes les mesures possibles pour assurer la traçabilité et le caractère éthique de leurs diamants, et favorisent les efforts de recherche en ce sens.
Finalement, on en arrive à ce que les richesses minérales, souvent découvertes et mises en valeur grâce à l’aide au développement des pays industrialisés, servent à financer la destruction de ces pays sur les plans humain, social, économique et aussi environnemental.
Et si les parties en conflit continuent à s’armer et à détruire leur pays, c’est parce que d’une part il se trouve des agents extérieurs au conflit pour acheter les richesses minières produites et les convertir, soit directement en armes et munitions, soit en dollars qui serviront à payer les armes, les munitions, les soldats et les mercenaires, et que d’autre part, il se trouve des pays fabricants d’armes et de munitions pour leur en vendre, soit ouvertement, soit par des intermédiaires plus ou moins obscurs.
Il ne faudrait toutefois pas extrapoler ces jugements à l’ensemble de l’activité minière. Il convient de rappeler que, par exemple au Botswana et en Namibie, ce sont précisément les revenus des diamants qui ont permis la fondation de la croissance économique et la stabilité. C’est l’activité minière qui a fait de l’Afrique du Sud le pays le plus développé du continent (même si son développement n’a pas été toujours établi sur des bases bien morales). L’Australie et le Canada doivent aussi une grande partie de leur richesse à leurs ressources minérales.
N’oublions pas non plus que, sans ses mines, l’Europe n’aurait pas connu la révolution industrielle qui a permis le décollage de son économie moderne. Les Européens ont d’ailleurs aussi, en leur temps, utilisé ces richesses minières (fer et charbon, surtout) pour se concurrencer, fabriquer et financer leurs armées et leurs armes puis s’entre-massacrer. Et ce n’est donc pas un hasard si, pour mettre un terme à leurs querelles, c’est sur le charbon et l’acier que les Européens ont commencé à s’associer.
Ainsi la mise en valeur des richesses minières des pays peut aussi être une base solide au démarrage de leur développement. Le soutien des pays industrialisés à ceux du Sud pour le développement de leurs richesses minières reste donc important, et pas seulement pour assurer l’approvisionnement de nos économies dans les matières premières indispensables ; à condition toutefois que ce soutien se fasse avec des exigences éthiques de respect des droits de l’homme, de la paix, et de l’environnement, dans l’optique d’un développement durable.
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1. Au sens large, le terme de Copper Belt ayant été donné initialement à la partie anglophone (désormais zambienne) de la ceinture de gisements de cuivre s’étendant de la Zambie au Katanga, dans le sud-est de la RDC.
2. Société essentiellement contrôlée par le gouvernement de Kinshasa, et dans laquelle une grande banque française détient des intérêts suite à la prise de contrôle de groupes financiers belges et français.
3. Bakwanga est l’ancien nom de Mbuji-Mayi.
4. Mais ce Rapport final n’a pas encore été mis en circulation au moment de la rédaction de cet article, et n’a pas été vu par l’auteur.