Conseiller un dirigeant
Esquisser de nouvelles attentes et de nouvelles approches en conseil de direction est un exercice difficile car les nuances du vécu y rendent délicat le passage à la théorie et limitent fortement la pertinence d’un propos général. Nous nous risquerons toutefois à dégager quelques tendances significatives, en partant de considérations simples autour du dirigeant, de ses missions, et de ses limites.
▲ Une qualité essentielle du dirigeant est d’accorder dans le temps et l’espace le flux ininterrompu de décisions stratégiques1.
De maîtriser en particulier les horloges :
• savoir satisfaire aux exigences du court terme (redressement des comptes, désendettement…) tout en préparant l’avenir,
• savoir accorder les horizons temporels des différentes fonctions de l’entreprise2 (de la recherche à la formation des hommes en passant par les investissements structurants tant industriels que marketing…),
• savoir accorder à la culture et à la dynamique propres de l’entreprise, au bon tempo, les évolutions, contraintes et opportunités externes…
« Accord » de plus en plus délicat dans un univers aux frontières plus floues et aux évolutions moins prédictibles, mais accord essentiel : si le succès d’une entreprise tient à la compétence de ses hommes, à la qualité de ses processus, à la pertinence de ses objectifs, ne doit-elle pas sa valeur et sa pérennité à leur accord, et à leur accord dans la durée ?
D’où l’effort toujours à reprendre pour rassembler harmonieusement ce que la spécialisation fonctionnelle, nécessaire aux organisations complexes, distingue, et finalement disperse ; effort de plus en plus surhumain, dès lors qu’il se refuse à être seulement intuitif.
▲ Pour remplir sa mission, un dirigeant doit réunir des qualités exceptionnelles à la fois managériales et stratégiques, de leadership et de vision, de jugement et de décision, ce qui impose de savoir intégrer, sans cesse, des facteurs de décision toujours plus nombreux et évolués, de nature marketing, commerciale, technologique, industrielle, financière, culturelle, politique, sociale, comportementale…
Le caractère complexe et pluridisciplinaire de la décision « stratégique » ne saurait conduire à déléguer son élaboration à une quelconque direction de la stratégie, qui peut constituer toutefois un support précieux pour la réflexion ; ni à se reposer sur une équipe de direction, ou des adjoints, qui, s’ils sont des appuis indispensables, demeurent pour le dirigeant des vecteurs de son action. Le dirigeant doit-il pour autant s’en remettre à son seul jugement ? Est-il suffisant qu’il s’entoure d’experts pointus, dont la rationalité méthodologique rassure à défaut d’être toujours pertinente ? Ou qu’il recoure à des conseils externes à spectre plus large mais spécialisés pour répondre à la question du moment3 ?
▲ Plus une décision se situe à un niveau stratégique et global, qui est celui du dirigeant, plus elle requiert de l’expérience et une vision globale de l’entreprise, du monde et de l’homme, les approches ou interventions « techniciennes » étant non seulement insuffisantes, mais pouvant même s’avérer dangereuses par ignorance des effets induits.
L’excès de spécialisation, la dictature de plus en plus mal vécue en particulier de « l’informatisation » de l’entreprise génératrice de décisions de « mauvais sens » (l’outil et le comment prenant le pas sur le pourquoi et l’objectif…), les catastrophes engendrées par le recours abusif à des consultants experts dans leur approche, mais focalisés sur un maillon de la chaîne de valeur et oublieux de la complexité « biologique » de l’entreprise… ont imposé depuis une quinzaine d’années une vision plus large de l’entreprise et partant des propositions plus globales pour aider à la diriger, à la piloter, à l’animer4… Cette globalisation va certes dans le bon sens mais ne répond qu’imparfaitement à l’acuité du problème, l’écart objectivement croissant entre l’ampleur des missions du dirigeant et sa capacité à les conduire harmonieusement.
▲ Dans une position éminente autant qu’exposée, la solitude est dangereuse. D’où l’appui, depuis longtemps recherché, sur un homme de confiance amené avec soi ou choisi au sein de l’entreprise. Il arrive toutefois que le « conseiller du Prince » soit trop enfermé dans la relation personnelle ou trop impliqué dans la structure pour avoir l’indépendance de jugement ou la liberté de parole nécessaires. La tendance à la volatilité des dirigeants rend par ailleurs de plus en plus rare la fondation d’une relation durable entre un dirigeant et un conseiller « institutionnel« 5.
D’où le recours à un « coach », pour pallier cet éparpillement relationnel et briser la solitude du « chef ». Mais le coaching, parce qu’il vise la mise en valeur de la personnalité et du potentiel du dirigeant en tant que « leader », demeure volontairement très en retrait par rapport à la situation objective de l’entreprise avec laquelle le dirigeant est aux prises : position de principe qui donne à ce recours à la fois sa valeur et ses limites.
D’où l’intérêt du recours à un conseiller « généraliste » de métier ayant l’expérience vécue du management et pouvant offrir, dans la durée, un mode d’accompagnement laissant le dirigeant s’approprier la maturation née de cet échange6.
Outre les avantages classiques du recours à un conseil externe (apport méthodologique et informatif, mise au clair des enjeux, utilisation d’un tiers autorisé mais extérieur pour faire passer des visions iconoclastes et des décisions difficiles…), l’accompagnement « stratégique » par un conseiller ayant une expérience vécue de dirigeant permet la prise de recul et l’échange en « miroir » hautement souhaitables pour des décisions susceptibles d’induire un changement majeur dans l’entreprise.
Plus précisément l’accompagnateur constitue ainsi le pôle d’une relation caractérisé par l’alliance – rare – de la proximité (relation de confiance dans la durée, estime mutuelle, parité intellectuelle, compréhension partagée des fondamentaux du métier de dirigeant…) et de la distance (distinction des rôles, indépendance de l’accompagnateur, recul permis par la connaissance d’autres pratiques, en d’autres temps, d’autres lieux, d’autres secteurs…).
▲ En réponse aux dirigeants conscients de l’intérêt d’une assistance globale à la conduite de leurs responsabilités (de l’éclairage des décisions sensibles à l’accompagnement de leur leadership dans la conduite des changements nécessaires), une nouvelle offre de conseil de dirigeants s’affirme aujourd’hui, soucieuse d’une approche expérimentée et « polytechnicienne » sachant allier rigueur dans l’analyse, sens des situations et compréhension des hommes, capitalisant sur l’acquis méthodologique du métier de conseil tout en offrant la richesse irremplaçable du vécu.
En plus des conseillers de haut vol pour très grands patrons, ou d’anciens dirigeants vendant « leur » méthode, apparaissent des cabinets spécialisés composés de conseillers essentiellement seniors, eux-mêmes anciens dirigeants ayant acquis une bonne expérience du conseil.
Malgré le caractère personnel et confidentiel de leur intervention comme conseil d’un dirigeant, l’appartenance à une équipe leur permet en effet de bénéficier d’un spectre plus large d’expériences partagées et réfléchies.
Ainsi l’accompagnement de dirigeant, qui a pour but d’aider ce dernier à définir et réaliser ses objectifs stratégiques au sein d’une relation humainement riche, apparaît comme un « métier » à la fois très ancien et très actuel, au confluent d’attentes encore largement informulées et d’une offre de conseil adaptée commençant à se structurer.
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1. Étant posé que la stratégie fait par nature partie des préoccupations centrales et permanentes du dirigeant, car elle concerne l’entreprise dans sa globalité (et non tel ou tel de ses acteurs, tel ou tel de ses sous-ensembles fonctionnels ou opérationnels) et prend en compte, sollicite, mobilise l’ensemble de ses ressources, dans sa définition comme dans sa mise en oeuvre ; s’inscrit dans la durée et le long terme de l’entreprise, même si elle peut (et doit souvent) susciter des décisions extrêmement rapides ; regarde aux orientations fondamentales de l’entreprise, travaille à ses évolutions majeures, profondes, voire existentielles…
Si ce qui doit focaliser un moment donné l’attention du dirigeant varie éminemment en fonction de la situation de l’entreprise et de son environnement (désendettement, redressement opérationnel, renouvellement et mise sous tension de l’équipe dirigeante, réorganisation majeure, partenariat stratégique, cession d’activités, ouverture du capital…), il s’agit toujours d’une mission, d’une opération, de la prise d’une décision « stratégiques ».
2. Ou plus généralement dans le cadre de notre analyse toute structure suffisamment complexe pour justifier que son dirigeant soit accompagné par un tiers : ainsi par exemple une collectivité territoriale importante, un département ministériel voire un État.
3. Alors que sont apparues très tôt des réflexions, le plus souvent très théoriques, s’essayant à une vision plus globale de l’entreprise, même si le conseil de direction « généraliste » a été revendiqué assez vite comme un métier à part entière, la jeune histoire du conseil témoigne surtout de modes successives focalisant l’attention sur des composantes ou des facteurs excessivement isolés, séparés, de l’organisation et du développement de l’entreprise.
4. Ainsi par exemple, malgré leurs limites, de la création de valeur ou du management par la performance.
5. S’il arrive par ailleurs qu’une relation plus personnelle et plus globale s’établisse dans la durée avec tel consultant en stratégie, banquier ou avocat d’affaires…, elle demeure la plupart du temps ponctuelle et somme toute focalisée.
6. Ce qui le distingue du coaching dit stratégique qui, s’il vise l’accompagnement dans la durée de la réflexion et des préoccupations du dirigeant sur l’entreprise dont il a la charge, demeure comme tout coaching en retrait par rapport au contenu du mécanisme décisionnel.