Construction bas carbone : quels enjeux de prévention ?
Paul Duphil, Secrétaire Général, et Philippe Robart, Directeur Technique, au sein de l’Organisme Professionnel de Prévention du Bâtiment et des Travaux Publics (OPPBTP), reviennent sur les enjeux que pose la transition énergétique au secteur du BTP. Rencontre.
Comment l’OPPBTP appréhende-t-il la question de la décarbonation des bâtiments ?
Sous l’impulsion de la transition environnementale, la commande publique et privée adressée à la filière BTP évolue. La Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC) publiée en 2020 fixe la feuille de route pour atteindre l’objectif de neutralité carbone de la France d’ici à 2050 et reconfigure le marché du BTP de différentes façons :
- transferts d’investissements de la construction neuve vers la rénovation ;
- exigence de performance croissante pour la structure et l’enveloppe des bâtiments neufs associée à des productions locales d’énergie intégrées au bâti ;
- émergence de nouveaux matériaux, essor de la construction bois et des matériaux biosourcés ;
- déploiement de grandes infrastructures de productions d’énergies « vertes » et transformations du réseau de distribution de l’électricité.
Quels sont les nouveaux enjeux de prévention posés par la transition environnementale appliquée au BTP ?
Pour la rénovation, il s’agit d’intervenir sur des ouvrages existants dont la stabilité structurelle et les matériaux qui ont été utilisés ne sont pas précisément connus. La question du diagnostic de l’ouvrage, du repérage des matériaux dangereux avant travaux (amiante et plomb principalement) est plus que jamais d’actualité. Après curage, quand les travaux de rénovation démarrent à l’intérieur du bâtiment, les situations émissives de poussières (silice cristalline par fracturation de matériaux, poussières de bois) associées aux opérations de décapage, de ponçage et de percements, nécessitent des protections collectives, des dispositifs d’aspiration et d’humidification pour neutraliser le risque en amont. Les référentiels élaborés par l’OPPBTP pour les substances soumises à des valeurs limites d’exposition (VLEP) sont issus de mesurages homogènes et sont reconnus par l’État. Dès lors que le risque peut être traité efficacement en amont, le port d’un masque sera le plus souvent évité.
Le curage en lui-même est constitué principalement d’opérations manuelles avec les risques associés de blessures, de troubles musculo-squelettiques.
Si les initiatives en faveur de l’économie circulaire sont encore peu répandues, certains éléments de constructions sont couramment déposés pour être réutilisés comme par exemple les châssis vitrés.
Face à l’émergence de matériaux isolants biosourcés, il faut être attentif aux adjuvants utilisés qui pourraient nuire à la santé des travailleurs.
L’analyse détaillée de l’accidentologie sur les chantiers en 2022 montre que le risque de chute de hauteur reste présent, ce qui invite à redoubler de vigilance. En effet, il s’agit d’un risque à haut potentiel : il engendre des accidents mortels ou de gravité élevée. Ce risque concerne les travaux relatifs à l’enveloppe du bâtiment (façade et couverture) en particulier avec la mise en place d’isolants thermiques extérieurs, ainsi que la pose de façades préfabriquées qui nécessite la manutention et le levage d’éléments volumineux. Les examens d’adéquation des engins de levage avec les charges à porter et les configurations sont indispensables.
Pour le levage des personnes, les protocoles de mise en place et d’utilisation des échafaudages et des nacelles sont de plus en plus sécurisants. Les équipements de protection collective en toiture (en particulier en rives de toitures en pente), la fixation des garde-corps en périphérie de plancher d’étage, le maintien en place des plaques de protection des trémies, l’usage du harnais et le choix des points d’ancrage, sont autant d’éléments de sécurité qui doivent être définis en amont du début des travaux, dans une démarche de prévention intégrée.
Le risque de chute de hauteur reste présent il faut donc redoubler de vigilance en termes de protections collectives en rives de toitures, d’usage du harnais et de choix des points d’ancrage.
Qu’en est-il du recours au bois, du béton bas carbone et des énergies vertes ?
La filière bois est en pleine expansion et les entreprises qui la composent doivent se structurer pour réaliser des chantiers plus gros et plus complexes. Jusque-là, le tissu économique était composé d’entreprises de petite taille, insuffisamment préparées pour absorber cette demande et travailler sur des chantiers de grande taille avec des lots multiples et la mixité entre béton, métal et bois. Cette structuration est nécessaire pour répondre aux enjeux de prévention des risques sur le chantier. C’est un défi en termes d’organisation du travail. Il y a des habitudes à mettre en place et même des produits à créer.
Le béton reste le matériau de construction le plus consommé dans le monde. Il représente à lui seul 7 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Or il est possible de diviser par trois l’impact carbone du béton en jouant sur les formulations. Pour cela, il est nécessaire de réduire la quantité de clinker grâce à l’utilisation de liants alternatifs comme les laitiers issus des hauts-fourneaux ou les fumées de silice des usines de ferrosilicium. L’inconvénient est la cinétique de prise et le durcissement ralenti de ces bétons moins carbonés, avec un impact sur les pratiques du chantier et les plannings. Des risques nouveaux à anticiper avec des délais allongés, des coffrages et des étaiements ad hoc pour obtenir le niveau requis de résistance à la compression.
Du côté des infrastructures d’énergie, la construction neuve et la maintenance des parcs d’éoliennes et des centrales de panneaux photovoltaïques nécessitent d’écrire précisément les gammes opératoires qui concernent plusieurs métiers et conditions d’interventions difficiles : travaux sur cordes, charpentiers, couvreurs, étancheurs et électriciens.
L’électrification massive et en particulier l’accroissement du travail sur batteries et en présence de sources de courant multiples augmentent le risque d’électrocution.
Dans ce cadre, que proposez-vous ?
Nous offrons aux entreprises un parcours prévention qui couvre la sensibilisation, le diagnostic, les outils, la documentation, l’accompagnement ciblé, la formation… Nous mettons à leur disposition des documents pédagogiques, des fiches pratiques ou des webinaires, accessibles sur notre site web preventionbtp.fr pour qu’elles disposent d’une meilleure compréhension et connaissance de la réglementation et des risques, s’approprient la prévention et la mettent en œuvre.
Nous proposons des solutions chantiers sur des thématiques données. Quand une entreprise veut procéder à un démoussage de toiture, nous lui fournissons une fiche détaillant précisément les mesures de prévention associées au mode opératoire. Sur des sujets plus larges comme par exemple l’emploi de filets de sécurité, nous proposons des guides techniques complets.
L’OPPBTP mène également des actions ciblées pour rappeler aux maîtres d’ouvrage leurs obligations de diagnostic afin qu’ils fournissent aux entreprises des plans et documents répondant aux exigences réglementaires. Et parce que l’OPPBTP est un organisme de formation agréé, nous proposons des modules de formation sur ces différents risques (formats courts ou longs, en distanciel et en présentiel).
Quels sont les principaux freins et défis qui persistent ?
Si l’accidentologie dans le BTP en France affiche explicitement depuis trois décennies une tendance globalement baissière, plusieurs effets conjoncturels et phénomènes systémiques viennent perturber ponctuellement ces résultats. L’accidentologie actuelle résulte d’une part d’une réduction significative et durable produite par les cultures sécurité et les progrès techniques, et d’autre part d’éléments pénalisants tels que l’évolution de la commande, les plannings « tendus », les offres dégradées qui contiennent des dispositifs de sécurité insuffisants, l’insuffisance de vérification des qualifications des entreprises, les moyens donnés aux maîtres d’œuvre, la désignation tardive du coordonnateur SPS, la non-transmission des connaissances/compétences vers les nouveaux compagnons, le recours à l’intérim sans process d’accueil, le déficit de formation.
Et pour conclure ?
Réussir la construction bas carbone c’est également réussir la prévention intégrée à la construction bas carbone en amont, pour améliorer les conditions de travail sur tous les chantiers par une implication de chacune des parties prenantes de la filière.