Construire aujourd’hui le transport et les services maritimes de demain
Les eaux polaires, peu fréquentées, restent aujourd’hui de véritables zones d’exploration. Contrairement aux découvertes des siècles passés, ces navigations se font en sécurité pour les passagers et sans risque pour l’environnement.
Une compagnie française, Ponant, a été pionnière sur ce nouveau marché. Ses navires, qui concentrent les innovations technologiques les plus récentes, appliquent d’ores et déjà les normes du nouveau Code polaire, qui vient juste d’être adopté à l’Organisation maritime internationale (OMI).
REPÈRES
Le transport maritime achemine près de 90 % du commerce international. En vingt ans, le trafic maritime a quintuplé. Les évolutions climatiques et de nouvelles demandes industrielles ou touristiques ouvrent aujourd’hui de nouvelles zones d’activité à découvrir.
Depuis dix ans, l’enjeu pour les armateurs français et européens est de construire des navires toujours plus sûrs, plus propres et plus économes en énergie. Le prix du carburant, qui peut représenter jusqu’à 40 % du coût de l’expédition, et le pari de l’excellence, face à une concurrence impitoyable de la part des pays émergents, expliquent ce choix assumé de la modernité et de la performance. De ce fait, l’innovation est présente dans tous les secteurs du transport maritime.
Nouvelles frontières
Les grands fonds marins (au-delà de 200 mètres de profondeur) sont une autre « nouvelle frontière » pour la connaissance et l’exploration. Alors même qu’ils couvrent plus de la moitié de notre planète, l’homme ne connaît que 5 % de ces sous-sols oubliés et de leur biodiversité : nous connaissons mieux la topographie de la Lune ou celle de Mars.
“ Nous connaissons mieux la Lune que les grands fonds marins ”
Les campagnes menées depuis une trentaine d’années ont toutefois permis de mieux connaître les richesses des grands fonds : énergies fossiles (hydrates de méthane) ou concentrations de métaux (nodules polymétalliques, etc.).
L’accès à ces ressources demande encore des progrès significatifs, mais le chemin parcouru est déjà exceptionnel, puisque nous savons aujourd’hui extraire le gaz et le pétrole jusqu’à des profondeurs de 3 000 mètres.
Le défit des grands fonds
Pour relever ce défi des grands fonds, la France est très bien placée, dans le domaine scientifique (Ifremer, Comex) comme dans les navires de service offshore (Louis-Dreyfus Armateurs, Bourbon, CGG Veritas).
La course a d’ores et déjà commencé, avec le programme d’extension du plateau continental (Extraplac), dont la France entend bénéficier, et avec l’allotissement des premiers permis d’exploration des fonds marins situés en zone internationale.
Dans ce contexte nouveau, les compagnies maritimes ont su adapter leurs navires et leurs modes d’exploitation : c’est ici que l’exploration rejoint l’innovation.
Les nouveaux porte-conteneurs de la compagnie CMA-CGM mettent en œuvre une série de prouesses technologiques en matière de motorisation.
Le navire sûr
Les règles actuelles de l’OMI garantissent un haut niveau de sécurité des navires, mais les armateurs français et européens n’ont d’autre choix que d’aller au-delà et d’anticiper sur les réglementations à venir. Les chantiers les plus récents et les plus prometteurs sont d’une part le développement de l’e‑navigation et d’autre part l’autoprotection des navires.
L’e‑navigation vise à créer des « passerelles intelligentes ». Il s’agit de collecter et d’échanger en temps réel des informations, de les traiter et de les analyser, et de proposer des solutions opérationnelles pour le bord. L’objectif est d’améliorer la sécurité de la navigation maritime tout en réduisant la charge de travail pour les navigants.
Rappelons que 80 % des accidents de mer sont dus à une erreur humaine. À terme, certains s’intéressent déjà au cargo drone entièrement automatisé et commandé à distance, à l’image du projet Blue Ocean de Rolls Royce.
Ces innovations révolutionnent la navigation maritime, la passerelle d’un navire ressemblant de plus en plus à un centre de commandement automatisé, lui-même relais d’un centre situé à terre.
Pirates à tribord
CYBERPIRATERIE
L’e‑navigation fait apparaître une nouvelle menace à laquelle les navires n’étaient pas confrontés auparavant, la cybercriminalité. La prise de contrôle d’un navire à distance ou la falsification des données de navigation afin de susciter un échouage ou une collision ne sont plus de la fiction. L’augmentation des échanges de données entre la terre et le bord et la mise en réseau progressive de tous les systèmes à bord des navires conduisent à mettre en place, au sein de chaque entreprise, une politique active de lutte contre la cyberpiraterie.
Le transport maritime reste confronté à une activité illicite aussi ancienne que lui, la piraterie, ce qui oblige à innover.
Dans le cadre des investissements d’avenir, lancés en 2010, le programme dit « Navire du futur », doté de 100 millions d’euros, comprend un volet dédié à un projet prometteur de démonstrateur pour l’autoprotection des navires contre la piraterie (répulseur à eau asservi sur la cible, capteur infrarouge stabilisé, protection par blindage des zones sensibles et des accès, système de localisation en temps réel de l’équipage, interface homme-machine mobile grâce à des tablettes tactiles, permettant de contrôler les systèmes de navigation à distance).
“ Une nouvelle menace, la cybercriminalité ”
Le consortium d’entreprises françaises qui porte ce projet développe ainsi un système complet regroupant des moyens de protection automatisés. Cet ensemble, s’il est mis sur le marché à un prix acceptable dès la fin de la phase d’expérimentation, répondra aux besoins de la profession, sans pour autant se substituer à la protection embarquée.
Le navire propre
C’est certainement le domaine dans lequel l’innovation est la plus présente et la plus impressionnante. L’objectif est à la fois de réduire l’empreinte environnementale du transport et de limiter sa facture énergétique. Les derniers navires entrés en flotte sont la preuve des efforts engagés par les chantiers et les armateurs.
30 % DE CO2 EN MOINS
Les nouveaux porte-conteneurs de la compagnie CMA-CGM mettent en œuvre une série de prouesses technologiques en matière de motorisation (moteur à injection électronique) et d’hydrodynamisme (stator à pales fixes, safran à bords orientés). Depuis 2015, ces innovations ont permis de réduire de 30 % en moyenne la consommation de carburant et les émissions de CO2.
À titre d’exemple.
La protection de l’environnement n’a pas non plus été oubliée à bord de ces nouveaux navires. Ils sont équipés de systèmes de traitement innovants des eaux de ballast pour supprimer le transfert d’espèces invasives d’un port à l’autre, ou de systèmes de récupération d’hydrocarbures en cas de naufrage, dits Fast Oil Recovery Systems.
Ces améliorations s’inscrivent dans une décennie d’efforts pour réduire l’empreinte énergétique du transport maritime et améliorer son efficacité. En conséquence, la part déjà faible du transport maritime international dans les émissions mondiales de gaz à effet de serre est passée de 2,6 % à 2,1 % entre 2007 et 2012, alors que le trafic augmentait de 14 % : c’est aujourd’hui le mode de transport le plus propre à la tonne transportée.
Remettre les voiles
Pour réduire encore plus drastiquement les émissions atmosphériques, les armateurs réfléchissent à de nouveaux modes de propulsion. L’une des solutions les plus innovantes est l’utilisation du gaz naturel liquéfié (GNL), qui permet de supprimer les émissions de dioxyde de soufre et de réduire les émissions d’oxydes d’azote et même de CO2.
Il représente un saut technologique important pour de nombreux intervenants de l’industrie maritime, car il exige de réunir des compétences variées pour créer les infrastructures de la chaîne logistique, mettre en place un soutage adapté dans les ports et organiser le stockage et l’utilisation à bord du navire. C’est sans doute un virage aussi important que le passage de la voile au charbon.
Et pourquoi pas un retour au navire à voile ? Il ne s’agirait évidemment pas d’une pure propulsion vélique soumise à trop d’aléas difficilement acceptables aujourd’hui, mais de solutions d’appoint pouvant permettre de réduire de 20 % la consommation de carburant et donc les émissions résultantes. Des expérimentations sont en cours, et on peut citer Neoline d’Éric Gavoty, ou Beyond the Sea, expérience de traction par cerf-volant du navigateur Yves Parlier, auxquels Armateurs de France apporte son soutien.
Tirer parti de ses atouts
Grâce à un âge moyen de sept ans et à sa grande technicité, la flotte naviguant sous pavillon français a été récompensée en 2013 et en 2014 comme la plus sûre et la plus respectueuse de l’environnement sur le plan international.
“ Assistance vélique et GNL pour améliorer l’impact sur l’environnement ”
Ce résultat a été rendu possible par un profond renouvellement de la flotte et un recours permanent à l’innovation. Ce pari technologique est un choix des armateurs français, confrontés à une concurrence mondialisée qu’ils ne peuvent combattre à armes égales sur le terrain du coût.
C’est pourquoi ils se sont engagés dans un plan de transition énergétique qui doit conduire à améliorer encore l’efficacité énergétique – donc le coût – du transport maritime et à réduire de 30 % les émissions de CO2, à l’horizon 2025, par rapport au niveau de 2010.
Pour y arriver, nous aurons besoin de nouvelles innovations, qui devront être testées et mises en œuvre grâce à une collaboration renforcée entre équipementiers, chantiers navals et armateurs.
Le transport maritime s’inscrit ici dans une logique de filière industrielle qui engage l’ensemble de la communauté maritime française.
C’est à ce prix que la France pourra rester un lieu d’excellence et d’innovation technologique, et qu’elle pourra relever le défi des nouvelles frontières des zones polaires et des grands fonds.
Au-delà des mots et des discours, elle pourra ainsi relever le défi du Grenelle de la mer et devenir une puissance maritime capable de tirer parti des atouts que la géographie et l’histoire lui ont donnés.