Contrastes
Éternité signifie qu’il y a toujours un Commencement, il existe toujours.
Stop ! Plonge-toi dans l’instant, ne le lâche pas et vis comme dans l’éternité.
Journaux musicaux d’Arvo Pärt
Arvo Pärt, le minimaliste
Vous êtes dans un salon. Un quidam se signale par son attitude : il parle très peu et, lorsqu’il ouvre la bouche, c’est pour proférer avec solennité des paroles absconses. Vous hésitez : ou bien c’est un imbécile prétentieux qui dissimile le vide de sa pensée derrière un langage ambigu, ou bien c’est un personnage dont la pensée profonde et complexe, hors des sentiers battus, mérite qu’on s’y arrête.
Une pièce de musique, quelle qu’elle soit, peut s’analyser selon quatre composants : ligne mélodique, harmonies, rythmes, timbres (d’un instrument ou d’un ensemble d’instruments). Ces composants varient en général au cours du déroulement de la pièce, ce qui en fait la richesse et la complexité. Certains peuvent être absents. La première approche de la musique d’Arvo Pärt est déconcertante ; le disque tout récent de Renaud Capuçon à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne, sous le titre Tabula Rasa, constitue une excellente introduction à son œuvre. Chacune des huit pièces présentées est composée selon le même principe : une ligne mélodique très simple et répétitive avec d’infimes variations, une harmonie de base qui varie très peu, une recherche très élaborée sur les timbres, tout particulièrement sur la texture des cordes, et beaucoup de silences. Le résultat : une musique hypnotique, apaisante, rien moins que complexe, facile d’accès et qui incite à la méditation.
1 CD ERATO
En réalité, cette musique minimaliste est l’aboutissement d’un long parcours vers la simplicité et la sérénité. Né en 1933, Pärt est passé par de multiples étapes, y compris le dodécaphonisme et la musique sérielle, pour parvenir à ce style qu’il nomme « tintinnabullisme », adoubé et encouragé par des musiciens aussi reconnus que Gidon Kremer. On ajoutera que Pärt est un croyant fervent et l’on recommandera – petite incursion sur le domaine de notre camarade Marc Darmon – de regarder ce qui constitue vraisemblablement le sommet de son œuvre, Adam’s Passion, mis en scène par Robert Wilson.
1 DVD ACCENTUS
Chopin par Beatrice Rana
On a découvert cette pianiste italienne par son enregistrement des Variations
Goldberg, qui a surpassé tous ceux qui l’ont précédé, puis avec un disque Ravel-Stravinski exceptionnel, tous deux analysés dans ces colonnes. Contrairement à Marguerite Long, dont Ravel, qui lui avait confié la création du Concerto en sol, se réjouissait qu’elle n’interprétât point, Beatrice Rana, elle, interprète. Et son enregistrement des douze Études opus 25 et des quatre Scherzos de Chopin en témoigne ‑brillamment. Elle joue Chopin comme on joue Liszt, mettant en avant la technique transcendante que nécessitent certaines de ces pièces, forçant les tempos, faisant des forte des fortissimos : en un mot un Chopin viril, dont elle révèle en même temps l’infinie complexité. Une comparaison pièce à pièce avec l’enregistrement légendaire de Samson François dans les années 60 – pour nous le mètre étalon de la musique de Chopin pour piano (et de celle de Ravel) – montre à cet égard une différence ‑irréductible : Beatrice Rana est peut-être la nouvelle Martha Argerich.
1 CD WARNER