Contrastes

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°768 Octobre 2021
Par Jean SALMONA (56)

Éter­ni­té signi­fie qu’il y a tou­jours un Com­men­ce­ment, il existe toujours.
Stop ! Plonge-toi dans l’instant, ne le lâche pas et vis comme dans l’éternité.
Jour­naux musi­caux d’Arvo Pärt


Arvo Pärt, le minimaliste

Vous êtes dans un salon. Un qui­dam se signale par son atti­tude : il parle très peu et, lorsqu’il ouvre la bouche, c’est pour pro­fé­rer avec solen­ni­té des paroles abs­conses. Vous hési­tez : ou bien c’est un imbé­cile pré­ten­tieux qui dis­si­mile le vide de sa pen­sée der­rière un lan­gage ambi­gu, ou bien c’est un per­son­nage dont la pen­sée pro­fonde et com­plexe, hors des sen­tiers bat­tus, mérite qu’on s’y arrête.

Une pièce de musique, quelle qu’elle soit, peut s’analyser selon quatre com­po­sants : ligne mélo­dique, har­mo­nies, rythmes, timbres (d’un ins­tru­ment ou d’un ensemble d’instruments). Ces com­po­sants varient en géné­ral au cours du dérou­le­ment de la pièce, ce qui en fait la richesse et la com­plexi­té. Cer­tains peuvent être absents. La pre­mière approche de la musique d’Arvo Pärt est décon­cer­tante ; le disque tout récent de Renaud Capu­çon à la tête de l’Orchestre de chambre de Lau­sanne, sous le titre Tabu­la Rasa, consti­tue une excel­lente intro­duc­tion à son œuvre. Cha­cune des huit pièces pré­sen­tées est com­po­sée selon le même prin­cipe : une ligne mélo­dique très simple et répé­ti­tive avec d’infimes varia­tions, une har­mo­nie de base qui varie très peu, une recherche très éla­bo­rée sur les timbres, tout par­ti­cu­liè­re­ment sur la tex­ture des cordes, et beau­coup de silences. Le résul­tat : une musique hyp­no­tique, apai­sante, rien moins que com­plexe, facile d’accès et qui incite à la méditation.

1 CD ERATO


En réa­li­té, cette musique mini­ma­liste est l’aboutissement d’un long par­cours vers la sim­pli­ci­té et la séré­ni­té. Né en 1933, Pärt est pas­sé par de mul­tiples étapes, y com­pris le dodé­ca­pho­nisme et la musique sérielle, pour par­ve­nir à ce style qu’il nomme « tin­tin­na­bul­lisme », adou­bé et encou­ra­gé par des musi­ciens aus­si recon­nus que Gidon Kre­mer. On ajou­te­ra que Pärt est un croyant fervent et l’on recom­man­de­ra – petite incur­sion sur le domaine de notre cama­rade Marc Dar­mon – de regar­der ce qui consti­tue vrai­sem­bla­ble­ment le som­met de son œuvre, Adam’s Pas­sion, mis en scène par Robert Wilson. 

1 DVD ACCENTUS


Chopin par Beatrice Rana

On a décou­vert cette pia­niste ita­lienne par son enre­gis­tre­ment des Varia­tions
Gold­berg
, qui a sur­pas­sé tous ceux qui l’ont pré­cé­dé, puis avec un disque Ravel-Stra­vins­ki excep­tion­nel, tous deux ana­ly­sés dans ces colonnes. Contrai­re­ment à Mar­gue­rite Long, dont Ravel, qui lui avait confié la créa­tion du Concer­to en sol, se réjouis­sait qu’elle n’interprétât point, Bea­trice Rana, elle, inter­prète. Et son enre­gis­tre­ment des douze Études opus 25 et des quatre Scher­zos de Cho­pin en témoigne ‑brillam­ment. Elle joue Cho­pin comme on joue Liszt, met­tant en avant la tech­nique trans­cen­dante que néces­sitent cer­taines de ces pièces, for­çant les tem­pos, fai­sant des forte des for­tis­si­mos : en un mot un Cho­pin viril, dont elle révèle en même temps l’infinie com­plexi­té. Une com­pa­rai­son pièce à pièce avec l’enregistrement légen­daire de Sam­son Fran­çois dans les années 60 – pour nous le mètre éta­lon de la musique de Cho­pin pour pia­no (et de celle de Ravel) – montre à cet égard une dif­fé­rence ‑irré­duc­tible : Bea­trice Rana est peut-être la nou­velle Mar­tha Argerich. 

1 CD WARNER


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