Contre la routine
Quelques disques pour ceux que lassent les nièmes enregistrements des Sonates de Schubert ou des Concertos de Brahms.
Collections
Sous le titre Rond-point des musiciens, Accord présente des enregistrements de compositeurs peu joués, comme Scriabine1, Duparc2, Ropartz3. Le disque de Scriabine est consacré aux Études pour piano. Il parcourt toute la vie du plus original des compositeurs russes, depuis le démarquage – réussi – de Chopin en dix fois plus virtuose et plus complexe (opus 8 ), jusqu’aux pièces atonales et mystérieuses de l’opus 65 , superbement jouées par Michaël Levinas, et se termine sur le très bel opus 2 écrit à 15 ans ; un très grand disque.
Duparc, mort à 85 ans en 1933, n’a laissé que 17 mélodies, notamment sur des poèmes de Baudelaire, intemporelles, dont neuf sont interprétées ici par Françoise Pollet accompagnée par l’Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy dirigé par Jérôme Kaltenbach, et quelques pièces orchestrales très rarement jouées comme Danse lente et Aux étoiles, de style mi-Franck mi-Wagner, plus convenues.
Le disque consacré à Guy Ropartz (1864−1955) est une véritable découverte. Le Requiem, une Messe Brève, et un Psaume, pour solistes, chœurs et orchestre, sont interprétés par des solistes, le Chœur régional d’Île-de-France et l’Ensemble instrumental Jean-Walter Audoli, dirigés par Michel Piquemal. Ceux qui aiment la musique exquise et sans effets, propre à la méditation, se demanderont avec nous pourquoi ces œuvres profondes et lumineuses, dans la droite ligne de Fauré, sont si peu jouées.
Arion consacre sa collection “L’art de…” aux instruments classiques comme le cor4, moins classiques comme la lyre harmonique5, et même à la musique mécanique (divers instruments)6. La lyre harmonique est un instrument amplifié à cordes en cristal aux possibilités quasi infinies et qui crée une atmosphère onirique. Le disque consacré à la musique mécanique présente une belle panoplie d’ancêtres du phonographe : pianos mécaniques, orgues Limonaire, boîtes à musique, bastringues, etc.
Dans un disque consacré au hautbois, qui aurait pu figurer dans cette collection, Éric Speller joue des pièces d’Antal Dorati et de Heinz Holliger7. Le hautbois, s’il est joué par un grand interprète, est un des instruments les plus expressifs qui soient, proche par son timbre de la voix humaine. On retiendra en particulier le très évocateur Trittico pour hautbois d’amour, hautbois, cor anglais et cordes de Dorati.
Monteverdi, Pasquini, Scarlatti
Sous le titre Vespro per la Salute8 , les ensembles vocal Akademia et instrumental La Fenice ont reconstitué ce qu’a pu être une messe du culte marial célébrée à Venise vers 1680 après l’épidémie de peste. Il s’agit d’un ensemble de pièces religieuses de Monteverdi et de ses élèves, c’est-à- dire du sommet de la musique religieuse du XVIIe siècle italien. Il faut saluer le travail de musicologue de Françoise Lasserre qui dirige ces deux ensembles : choix et interpénétration des pièces vocales et instrumentales, avec ornements d’époque.
C’est de la même époque que date le très bel oratorio Santa Agnese de Pasquini, enregistré par le Consortium Carissimi dirigé par Vittorio Zanon9. En dépit du caractère religieux, c’est presque d’un opéra qu’il s’agit, avec une progression dramatique marquée, des airs et des récitatifs typiques de l’opéra italien.
On connaît plus Domenico Scarlatti pour ses sonates pour clavier que pour sa musique sacrée, dont cinq pièces ont été enregistrées par le Choir of King’s college de Cambridge10 : Stabat mater, Te Deum, Miserere, Magnificat, Laetatus sum. La basse continue est assurée par un orgue et un violoncelle. Si vous aimez le chant choral, les polyphonies contrapuntiques de Scarlatti soutiennent la comparaison avec celles de Bach, avec un style qui est déjà celui du XVIIIe siècle.
Menuhin, Capuçon
Le Concerto et la Romance n°1 de Beethoven enregistrés en 1971 avec le Menuhin Festival Orchestra, la Sérénade mélancolique de Tchaïkovski en 1959 avec le Royal Philharmonic dirigé par Sir Adrian Boult11 : deux inédits de Menuhin. Le Beethoven est un peu faible et à conseiller uniquement aux aficionados inconditionnels, mais le Tchaïkovski est du grand Menuhin, avec ce vibrato qui n’appartient qu’à lui et qui va directement au cœur.
C’est un enregistrement de Ravel qui a révélé au grand public les frères Capuçon, dont Gautier, le violoncelliste, vient d’enregistrer les deux Concertos de Haydn plus un concerto apocryphe avec l’Orchestre de chambre Mahler dirigé par Daniel Harding12. Capuçon joue avec cette retenue, cette élégance, cette perfection technique qui l’inscrivent dans la grande tradition des violoncellistes français (Navarra, Fournier, Tortelier). Superbe.
Le disque du mois
Quatre jeunes femmes plus belles les unes que les autres, jouant avec fougue et gravité une œuvre désespérée dans le cloître de Silvacane : on n’oubliera pas de sitôt cette révélation du Quatuor opus 80 de Mendelssohn par le Quatuor Psophos, lauréat du concours de Bordeaux en 2001, qui vient de l’enregistrer13 avec le N° 1 de l’opus 44. On connaît surtout de Mendelssohn les quatuors de jeunesse, à des années-lumière de celui-ci, sous-titré Requiem pour [sa sœur] Fanny , et composé à quelques semaines de sa propre mort à l’âge de 38 ans. Une des œuvres les plus fortes de la musique de chambre du XIXe siècle, au même niveau que les Quatuors de Beethoven.
Le Quatuor Psophos, qui a atteint par ailleurs la maturité technique, joue avec cette fraîcheur et cette émotion communicative que n’ont plus les vieux routards du quatuor. À Silvacane, le public avait les larmes aux yeux. Vous les aurez aussi.
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1. 1 CD ACCORD 472 343 2.
2. 1 CD ACCORD 472 356 2.
3. 1 CD ACCORD 472 345 2.
4. 1 CD ARION ARN 60605.
5. 1 CD ARION ARN 60604.
6. 1 CD ARION ARN 60606.
7. 1 CD AMBROISIE AMB 9933.
8. 2 CD PIERRE VERANY PV 703 071.
9. 2 CD PIERRE VERANY PV 703 051.
10. 1 CD EMI 5 57331 2.
11. 1 CD EMI 5 62523 2.
12. 1 CD VIRGIN 5 45583 2.
13. 1 CD ZIGZAG ZZT 030702.