Control co-design l’optimisation numérique et les sciences de l’ingénieur au service de la transition énergétique
Les deux études réalisées durant ma thèse montrent l’importance d’utiliser les outils d’optimisation de façon appropriée dans la conception de structures complexes comme les éoliennes. La façon dont les problèmes d’optimisation sont formulés, à un ou plusieurs niveaux, est souvent dictée par des considérations pratiques d’implémentation dans le monde de la recherche ou industriel. De plus, l’analyse de sensibilité des contraintes est rarement utilisée. Dans ma thèse je montre que ces deux aspects de l’optimisation sont importants pour le processus de design et permettent d’aider les ingénieurs dans leurs décisions. De plus, ma thèse montre que l’on peut concevoir un contrôleur de façon à améliorer le design de l’éolienne de façon significative. Ces études ouvrent la voie à de nombreuses innovations dans la conception des fermes éoliennes, permettant d’assurer une production électrique peu chère et stable, tout en facilitant la transition énergétique.
Les éoliennes sont des systèmes dynamiques particulièrement fascinants à étudier. Ce sont en effet les plus grandes machines rotatives construites par l’homme : le diamètre du rotor du dernier prototype de 15 MW de Vestas atteint les 200 m, soit la longueur de deux terrains de football. Pendant leurs vingt à vingt-cinq ans d’opération, elles doivent résister à une grande variété de conditions atmosphériques et de chargements (par exemple des tempêtes tropicales) tout en produisant un maximum d’électricité. Beaucoup de chercheurs s’intéressent à la question du design des éoliennes, étant donné ce cahier des charges exigeant. Ces systèmes ont beaucoup évolué ces dernières années. Il faut se rappeler qu’en 1990 le diamètre du rotor des éoliennes n’était que de 30 mètres, pour une capacité de 300 kW. Maintenant, grâce aux progrès de la recherche, des machines de 50 fois cette capacité sont construites, permettant de réduire le coût de l’énergie et de faciliter la transition énergétique.
Concevoir de meilleures éoliennes demande de s’intéresser au procédé de design
En comparaison avec d’autres centrales électriques, le contrôleur est un composant très important dans une éolienne. Son rôle est d’adapter en continu le fonctionnement de l’éolienne aux ressources aléatoires du vent pour en extraire le maximum d’énergie, tout en limitant l’amplitude des chargements sur sa structure. Son design est donc essentiel ! Cependant, c’est souvent le dernier composant à être conçu et les ingénieurs ont donc très peu de marge de manœuvre. En suivant ce procédé standard de conception, on risque de passer à côté d’innovations techniques se fondant sur la synergie entre la dynamique de la structure et celle du contrôleur. La solution est donc de concevoir de façon simultanée la structure et le contrôleur de l’éolienne. C’est cette méthode, appelée control co-design, que j’ai étudiée durant ma thèse. Plus précisément, j’ai étudié les différentes façons d’intégrer le contrôleur dans le processus de design. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il faut d’abord comprendre les bases de l’asservissement et du design des éoliennes.
Comment asservir une éolienne ?
De façon générale, une éolienne est une machine qui convertit l’énergie mécanique contenue dans le vent en énergie électrique utilisable pour les activités humaines. Comme toutes les centrales électriques, le fonctionnement de l’éolienne est associé à un taux d’efficacité. Ce taux d’efficacité dépend de trois facteurs : la vitesse du vent, la commande du couple du générateur et l’angle de calage des pales. La commande du couple du générateur est un système qui permet de ralentir ou d’accélérer la vitesse de rotation des pales. L’angle de calage des pales, appelé angle de pitch en anglais, est l’angle de rotation de la pale autour de son axe. Ces deux facteurs permettent de modifier les forces aérodynamiques sur les pales, de la même façon qu’un aviateur peut changer sa vitesse ou bien l’angle d’incidence pour manœuvrer son appareil.
Réduire la voilure
Si l’on opère l’éolienne au taux d’efficacité maximal quelle que soit la vitesse du vent, la production d’électricité sera certes très importante, mais les chargements importants pourraient entraîner une défaillance critique de la structure. C’est le même genre de situation que celle d’un voilier lorsque le vent est trop fort. Il faut réduire la voilure pour ne pas risquer d’endommager le bateau. Pour une éolienne, « réduire la voilure » se fait en opérant la machine à un taux d’efficacité inférieur. L’éolienne ajuste son taux d’efficacité en fonction de la vitesse moyenne du vent. En dessous de la vitesse dite « nominale » de l’éolienne, on l’opère à son taux d’efficacité maximal. Au-dessus de la vitesse nominale, on opère l’éolienne à un taux d’efficacité inférieur afin de maintenir la production d’électricité constante, typiquement en augmentant l’angle de calage des pales, ce qui augmente l’angle d’incidence, et en maintenant le couple du générateur constant.
Le rôle du contrôleur
Cette façon de changer le taux d’efficacité en fonction de la vitesse moyenne est une première caractéristique du contrôleur de l’éolienne. Cependant, ce n’est pas suffisant. En effet le vent est turbulent, ce qui veut dire que la vitesse du vent varie constamment. Le second rôle du contrôleur est donc de maintenir la production électrique malgré ces perturbations, souvent extrêmes. Cela se fait grâce à un système en boucle fermée où l’on utilise différentes mesures (vitesse de rotation, vitesse du vent estimée, etc.) pour calculer le changement d’angle de calage et de couple nécessaire pour ramener la production électrique à sa valeur attendue. Tout l’art de l’asservissement se joue dans le choix des gains du contrôleur, c’est-à-dire comment le signal de commande est calculé à partir des signaux mesurés, et de nombreuses techniques existent à cet effet. Durant les vingt dernières années, la recherche dans le domaine a montré que le contrôleur d’une éolienne peut non seulement stabiliser la production électrique, mais aussi réduire les chargements sur la structure. Cet impact sur les chargements est la clé pour comprendre le potentiel des méthodes de co-design.
La conception des éoliennes dépend fortement des chargements sur la structure
Durant le processus de design d’une éolienne, il faut considérer trois types de défaillance. Il faut d’abord étudier la stabilité de l’éolienne, de telle sorte que la turbulence du vent ne puisse pas exciter la fréquence propre de la structure. Il faut aussi faire en sorte que les pales de l’éolienne n’entrent pas en collision avec la tour. En effet, les pales sont de plus en plus flexibles et la déflexion du bout de la pale peut largement dépasser 10 % de sa longueur ; la collision peut donc théoriquement arriver. Enfin, il faut considérer l’intégrité matérielle, en termes de contraintes mécaniques, de déformation ultime et de fatigue. En d’autres termes, il faut éviter que les composants ne se cassent à cause d’une force trop importante (état limite ultime) ou bien en raison de la répétition de cycles de charge (fatigue). Un design d’éolienne donné dépend souvent des contraintes de chargement. Cela veut dire que les dimensions de certains composants (tour, nacelle, pales) sont dictées en majeure partie par les contraintes, et non par l’objectif de l’optimisation (typiquement réduction du coût de l’électricité). Par exemple, la pale doit être suffisamment rigide pour éviter de toucher la tour lorsque les chargements aérodynamiques sont importants. Le dimensionnement de la pale est donc en partie dicté par la contrainte de collision avec la tour, ce qui veut dire que la rigidité et donc la masse de ce composant augmente, ainsi que le coût de l’éolienne.
Des simulations numériques coûteuses pour déterminer le design des éoliennes
En pratique, on utilise des simulations numériques de haute-fidélité couplées à de l’optimisation numérique, pour guider le processus de conception. Les méthodes d’optimisation sont particulièrement utiles pour prendre en compte la manière dont les différentes disciplines (par exemple la mécanique des fluides et la mécanique des structures) interagissent entre elles. Une innovation récente qui prend en compte ces interactions consiste à concevoir les pales qui, lorsque la vitesse de vent est trop importante, ont une déformation en torsion plus importante, ce qui permet de réduire la voilure et ainsi de diminuer les chargements sur la structure. La prochaine étape, c’est de savoir comment le design de l’éolienne va changer si l’on prend en compte les interactions entre le contrôleur, la dynamique des fluides et la dynamique des structures.
Une question de puissance informatique
L’un des défis récurrents dans ce domaine est la puissance informatique requise pour résoudre les problèmes d’optimisation pour le design des éoliennes. En effet, pour calculer de façon précise les chargements sur la structure, il faut résoudre de nombreuses simulations dynamiques et non linéaires. Par exemple, pour calculer les chargements de fatigue, il faut exécuter 72 simulations de 10 minutes chacune pour répondre aux critères des organismes de certification. Les logiciels actuels permettent tout juste de résoudre une simulation en temps réel, donc il faut près de 12 heures pour évaluer ces chargements. Dans un contexte d’optimisation, ce temps est démultiplié par le nombre d’itérations de l’algorithme d’optimisation.
“Intégrer le contrôleur dans le processus de design et évaluer son impact.”
Pour compenser ce problème, les outils de design actuels se fondent en grande partie sur des simulations stationnaires ou bien sur des modèles simplifiés, avec succès. Cependant, ces simplifications ne peuvent pas être utilisées pour le design du contrôleur de l’éolienne. En effet, les performances du contrôleur doivent être évaluées avec des simulations numériques et des modèles non linéaires précis, au risque de passer à côté de modes de défaillance critique (par exemple, la pale entrant en collision avec la tour). Intégrer le contrôleur directement dans le processus de design de la structure est donc trop coûteux en termes de ressource informatique.
C’est dans ce contexte que ma thèse se place. En utilisant les théories de l’optimisation numérique et structurelle, j’ai étudié des approches alternatives pour intégrer le contrôleur dans le processus de design et évaluer son impact.
Améliorer le design en modifiant la formulation du problème d’optimisation
Dans la première partie de ma thèse, je me suis intéressée à la façon dont on décide à quel taux d’efficacité opère une éolienne. Comme expliqué plus haut, l’éolienne est généralement opérée dans deux zones : une zone à efficacité maximale et une deuxième zone à production électrique constante. Le problème, c’est que les éoliennes ne sont plus conçues uniquement pour maximiser la production électrique, mais aussi pour réduire le coût de l’énergie, ce qui implique de réduire les charges sur la structure. Lorsque l’on s’intéresse à la représentation mathématique de ce problème, il s’agit d’une optimisation à deux niveaux : le niveau supérieur, chargé de la structure, qui a pour objectif de réduire le coût de l’énergie, et le niveau inférieur, chargé du contrôleur, qui a pour objectif de maximiser l’efficacité électrique. Cette formulation est potentiellement inefficace car il faut résoudre un problème d’optimisation à chaque itération du problème supérieur.
Une optimisation à un niveau
Dans un article publié dans la revue Wind Energy (l’article est disponible en libre accès et en anglais au lien suivant : https://doi.org/10.1002/we.2769), j’ai comparé le design des pales d’éoliennes en utilisant cette optimisation à deux niveaux et en utilisant une optimisation à un niveau, où le design de la structure et le design du contrôleur ont le même objectif. Comme on peut se l’imaginer, les résultats montrent que, lorsque le contrôleur est conçu avec le même objectif que la structure, on arrive à un meilleur design. Cela est dû au fait que l’optimisation tire parti des propriétés de réduction de chargement du contrôleur. Une formulation à un niveau permet plus de flexibilité et de précision dans le design. Pour chaque vitesse de vent considérée dans le problème, l’algorithme d’optimisation détermine automatiquement s’il faut prioriser la production électrique ou bien s’il faut réduire les chargements. On obtient un nombre plus important de zones d’opération, au lieu de deux zones comme on le fait habituellement. Par exemple, les chargements sont généralement très élevés au voisinage de la vitesse nominale. Mon étude montre que l’algorithme d’optimisation crée automatiquement une zone dans ce voisinage, de telle sorte que l’angle de calage augmente pour réduire ces chargements, tout en limitant les pertes de production électrique. Les résultats de cette étude ouvrent la voie à des méthodes de design où, au lieu de changer manuellement les régions d’opération de l’éolienne durant le processus de design, elles sont obtenues de façon précise et automatique.
Une méthode pour prédire l’impact des méthodes de control co-design
Dans la deuxième partie de ma thèse, réalisée en partenariat avec la chaire de Wind Energy de l’université technique de Munich (TUM), j’ai étudié s’il était possible de prédire si l’utilisation de la méthode de control co-design est avantageuse pour un problème donné. Comme mentionné précédemment, le processus de design utilisant de l’optimisation numérique nécessite de larges ressources informatiques. Résoudre un problème d’optimisation pour dimensionner une éolienne de façon réaliste peut prendre plusieurs jours, voire des semaines. Par conséquent, on risque de perdre beaucoup de temps à essayer d’appliquer la méthode de control co-design à un problème pour lequel cette approche n’apporte aucun intérêt. Pour identifier de tels problèmes, je me suis fondée sur une méthode classique d’optimisation, appelée analyse de sensibilité. Cette analyse consiste à quantifier la sensibilité du problème d’optimisation à un changement de contrainte donnée. Cela permet d’identifier quelles contraintes sont critiques pour le problème, c’est-à-dire les contraintes auxquelles le problème est très sensible.
Une économie de ressources informatiques
J’ai utilisé cette approche pour estimer l’impact du contrôleur dans le processus de design pour les tours d’éolienne. J’ai choisi un contrôleur capable de réduire les charges de fatigue et une éolienne pour laquelle le design de la tour est dicté par ces mêmes charges. Tout d’abord, j’ai quantifié l’impact de ce contrôleur sur chaque contrainte de fatigue du problème d’optimisation. En combinant ces quantités avec les résultats de l’analyse de sensibilité, j’ai ensuite pu quantifier l’impact de ce type de contrôleur en comparaison avec un contrôleur standard. Dans une étude à paraître, je montre que cette méthode est précise et ne demande que peu de ressources informatiques. De plus, l’étude indique que le design de la tour de l’éolienne ne bénéficie de la méthode de control co-design que dans le cas où les contraintes de fatigue sont critiques pour le problème. Cette étude met en évidence l’importance d’étudier les contraintes d’un problème d’optimisation avant de se lancer dans un processus de control co-design. Certains problèmes peuvent sembler très prometteurs, par exemple lorsque le contrôleur a la capacité de relaxer les contraintes (actives) de chargement. Cependant, la présence d’autres contraintes plus critiques peut réduire le potentiel de la méthode de control co-design.
Information sur la thèse
(Future) Docteure : Jenna Iori (X14)
Directeur de thèse : Dr. Michael McWilliam
Titre en anglais : Numerical methods for control co-design optimization of wind turbines
Date et lieu de soutenance : À venir prochainement
Composition du jury : À venir prochainement
Lien vers la thèse : À venir prochainement
Présentation du laboratoire d’accueil
Le Département de Wind and Energy Systems de l’Université Technique du Danemark (DTU) est le leader mondial en matière de recherche appliquée aux énergies éoliennes. Employant près de 400 chercheurs, ingénieurs et techniciens, le département a pour ambition de couvrir l’ensemble des questions relatives aux systèmes énergétiques et éoliens : mécanique des structures à l’échelle nanométrique, dynamique des flux atmosphériques, design multidisciplinaire de turbines et de parc éoliens, conception des systèmes électriques digitaux de demain, etc. Cette grande diversité de sujets de recherche est reflétée dans les 20 sections de recherche au sein du département.
La thèse a été effectuée au sein de la section Systems Engineering and Optimization. Ce groupe de recherche, créé en 2019, a pour objectif d’appliquer une approche multidisciplinaire et globale au design et à l’opération des fermes éoliennes et des centrales électriques hybrides. En particulier, le laboratoire s’intéresse aux problèmes suivants : design et optimisation de la disposition des fermes éoliennes, étude des flux atmosphériques et de l’asservissement des fermes éoliennes, design et opération des centrales électriques hybrides, et design multidisciplinaire de systèmes et structures.