Contrôle des matières nucléaires : vers une réglementation plus efficace
Les détenteurs de matières nucléaires sont tenus de déclarer leurs stocks d’uranium et le taux » d’enrichissement » de ces derniers (proportion d’isotope 235). Ce dernier paramètre est essentiel pour évaluer le risque possible d’utilisation militaire. Des mesures de contrôle sont effectuées de façon régulière, mesures elles-mêmes entachées d’incertitudes pouvant prêter à controverse. L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a entrepris une campagne expérimentale de meilleure appréciation des incertitudes. Pierre Funk a bien voulu répondre aux questions de La Jaune et la Rouge.
Quelles sont les missions de l’IRSN ?
L’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) a été créé en 2002 par la fusion de l’IPSN et de l’OPRI. Sous la tutelle de cinq ministères, fort d’environ 1 600 personnes, l’IRSN est en charge de l’évaluation scientifique du risque nucléaire et radiologique pour des clients la plupart du temps institutionnels, en France et à l’étranger. Les missions de la DEND sont triples : protection et contrôle des matières nucléaires et sensibles ; protection des installations nucléaires et des matières nucléaires en cours d’utilisation, en stockage ou lors de leur transport ; sûreté et radioprotection des installations nucléaires relevant de la Défense.
Qui détient des matières nucléaires en France ?
La plus grande partie est détenue par EDF, AREVA et le CEA. Une vingtaine de » petits détenteurs » dépassent un certain seuil imposant une autorisation et des contrôles. Au-dessous de ce seuil, plusieurs centaines de détenteurs sont soumis à un régime de déclaration (hôpitaux, universités…).
Où commence le risque d’utilisation à des fins militaires ?
En se limitant ici à l’uranium, on distingue plusieurs catégories, en fonction de l’enrichissement en isotope 235 (pourcentage d’uranium 235) : l’uranium naturel (enrichissement égal à 0,71 %), l’uranium appauvri (enrichissement inférieur à 0,71 %), l’uranium faiblement enrichi (enrichissement compris entre 0,71 % et 20 %) et l’uranium très enrichi (enrichissement supérieur à 20 %). L’uranium utilisé pour la production d’électricité en France est enrichi à moins de 5 % et l’uranium à usage militaire dépasse un taux d’enrichissement de 85 %.
Que doit-on contrôler ?
Chaque détenteur de matière nucléaire est tenu de faire connaître à tout moment la qualité et la quantité de matière nucléaire qu’il détient. Il doit en tenir la comptabilité. Les contrôles, effectués avec le concours technique de l’IRSN, sont destinés à vérifier périodiquement l’efficacité des procédures mises en place et la validité des déclarations de matières nucléaires. La vérification de celles-ci entraîne chaque année une soixantaine d’inspections, dont une dizaine d’inspections dites renforcées comportant des mesures, d’une durée d’une semaine environ chacune.
Comment effectue-t-on les mesures ?
Une chaîne de mesure
L’uranium 235 émet de manière spontanée des photons de différentes énergies. Un détecteur de rayonnement permet de les classer en fonction de leur énergie, donnant un spectre d’énergie constitué de raies correspondant à des pics d’énergie. Il faut trente minutes environ pour obtenir un spectre exploitable. Ce spectre est alors analysé à l’aide d’un ou plusieurs logiciels spécialisés. L’analyse nécessite l’utilisation d’algorithmes performants de déconvolution du fait de la superposition de nombreuses raies. Elle s’effectue en quelques secondes.
Les mesures effectuées par l’IRSN mettent en oeuvre un matériel mobile. L’échantillon d’uranium à mesurer, qu’il se présente sous une forme métallique, liquide, gazeuse, pulvérulente ou de céramique, est soumis à un détecteur de rayonnement. Le spectre obtenu est alors analysé par un logiciel spécialisé. Ces logiciels ont été développés par différentes sociétés ou organismes en France (CEA) et aux États-Unis et sont commercialisés auprès des détenteurs de matières ou des instituts comme l’IRSN. Ce dernier travaille avec trois outils logiciels différents (baptisés MGA, Fram et IGA), chacun étant adapté à une plage d’énergie particulière.
Où interviennent les incertitudes ?
Les mesures effectuées et déclarées par le détenteur sont elles-mêmes entachées d’une certaine imprécision. Celles de l’organisme de contrôle, qui doivent faire foi, ne sont pas exemptes également d’incertitudes. Il est nécessaire que le contrôle aboutisse à des résultats incontestables avec un intervalle de confiance le plus réduit possible. Or la simplicité nécessaire de la mesure entraîne en contrepartie une grande complexité des calculs.
Comment peut-on réduire ces incertitudes ?
Les sources de référence
Les « sources d’uranium d’enrichissement certifié » sont des sources scellées, conformes aux normes mécaniques et d’étanchéité de l’Afnor. Vingt sources ont été fabriquées. Elles se présentent sous la forme d’une poudre d’uranium, dans une gamme d’enrichissement comprise entre 0,3 % et 89 %.
On peut réduire les incertitudes en démontrant l’influence, ou la non-influence, de paramètres liés à la mesure elle-même.L’IRSN a défini un plan d’expérimentation à partir de sources d’uranium de référence. Cinq paramètres ont été définis : enrichissement de l’uranium ; distance entre la source et le détecteur (deux mesures sont effectuées, à 10 centimètres et à 40 centimètres) ; épaisseur de l’écran interposé entre la source et le détecteur (généralement pour des problèmes de radioprotection) ; » matrice » dans laquelle est conditionné l’uranium (on s’efforce par exemple de reproduire un conditionnement caractéristique de fût de déchets) ; opérateur.
Les mesures étalonnées sont-elles correctes ?
Le taux d’enrichissement de l’uranium à usage militaire est dix-sept fois supérieur à celui de l’uranium utilisé dans les centrales nucléaires
Dans l’ensemble, les résultats obtenus ont montré une bonne validité des mesures effectuées. Les incertitudes sont correctement déterminées pour les enrichissements compris entre 1 % et 20 % ; pour les enrichissements supérieurs à 20 %, l’estimation est correcte sauf en cas de présence d’un écran, où elles sont plutôt sous-estimées (facteur correctif à appliquer de l’ordre de 2) ; pour les enrichissements faibles inférieurs à 1 %, les incertitudes calculées par le logiciel sont en générales supérieures à celles constatées expérimentalement (de 10 à 25 %).
Que faire ?
Dans des conditions de mesure optimales, les incertitudes semblent donc correctement évaluées. Sur le terrain, la réalisation de mesures est souvent soumise à des difficultés résultant de contraintes de temps, d’accès aux matières, d’environnement… En conséquence, l’IRSN a décidé de poursuivre la démarche expérimentale, qui permet de faire progresser à la fois la qualité des mesures et le retour d’expérience permettant une meilleure application de la réglementation.
Propos recueillis par Jean-Marc Chabanas (58)
et Hubert Jacquet (64)
Un ouvrage de référence
J. Jalouneix et D. Winter : Protection et contrôle des matières nucléaires, Techniques de l’ingénieur, BN 3940, juillet 2007.