Coopération européenne, taille critique et autonomie stratégique
UNE INDUSTRIE PAS COMME LES AUTRES
L’industrie de défense n’est pas une industrie comme les autres. Sa finalité est de fournir aux forces armées les moyens de remplir leurs missions.
L’industrie de défense est un élément essentiel de la posture de défense et contribue directement à l’autonomie stratégique de la Nation, c’est-à-dire à sa capacité à agir seule ou à peser au sein d’une alliance.
Concrètement, le rôle de l’industrie de défense est de garantir un accès indépendant aux technologies et équipements critiques afin d’assurer liberté d’action, capacité d’entrée en premier sur les théâtres d’opérations, sécurité des approvisionnements et supériorité opérationnelle.
Le missile Meteor aux essais sous Rafale. Ce programme à six pays européens confère aujourd’hui au Rafale et à la France une arme de supériorité aérienne incontestable.
© Dassault Aviation – G. Gosset
DÉPENDANCE MUTUELLE
L’autonomie stratégique est historiquement et par nature un objectif national. Mais le lancement de programmes d’armement en coopération et la consolidation de l’industrie de défense européenne sont aussi de puissants leviers d’intégration politique.
Le Transall, le Milan, le Hot ont contribué à sceller la réconciliation franco-allemande : une dépendance mutuelle entre la France et l’Allemagne sur des capacités militaires illustrait alors l’impossibilité d’un nouveau conflit.
Des années plus tard, en 2010, le Traité de Lancaster House entre la France et la Grande- Bretagne réintroduit cette notion de dépendance mutuelle sous l’angle de la nécessaire rationalisation de l’industrie de défense : pour réduire les duplications, il faut entrer dans une logique de spécialisation transnationale et donc accepter – ou plutôt anticiper et organiser – cette dépendance mutuelle.
Deux pays qui dépendent mutuellement l’un de l’autre pour une technologie ou une capacité militaire, ce sont deux pays qui ont décidé d’élargir au-delà du périmètre purement national l’objectif d’autonomie stratégique, ce que les Britanniques avaient résumé en 2010 par la formule « Share it or lose it ».
Depuis plus de 20 ans MBD puis MBDA ont été à l’avant-garde de cette dynamique européenne : programmes en coopération (Milan, Scalp/Storm Shadow, Aster, Meteor …), intégration industrielle, initiative franco-britannique « One MBDA », centres d’excellence franco-britanniques spécialisés…
L’AMBITION POLITIQUE EST LÀ
Les coopérations bilatérales ou multilatérales entre Nations resteront encore pour de très nombreuses années le principal moteur de l’intégration de l’industrie de défense européenne, mais l’étape suivante se prépare déjà à Bruxelles.
MBDA REGROUPE PLUS DE 60 % DE L’INDUSTRIE EUROPÉENNE DES MISSILES ET EXPORTE HORS D’EUROPE PLUS DE 50 % DE SON CHIFFRE D’AFFAIRES.
La Commission s’était malheureusement longtemps limitée à une approche principalement réglementaire de l’industrie de défense, approche qui occultait totalement la notion de souveraineté.
Mais en juin 2016, la « Stratégie globale » élaborée par Federica Mogherini, haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, place pour la première fois l’autonomie stratégique européenne au cœur des objectifs de l’Union. Certes la notion d’autonomie stratégique européenne doit encore être précisée et chaque pays l’interprète à sa manière, mais le mot est lancé et l’ambition politique est là !
Cette ambition politique s’exprime de façon très concrète par des initiatives – Fonds Européen de défense, Action préparatoire pour la Recherche, Coopération Structurée Permanente – qui ont pour objectif de favoriser la coopération entre États-Membres et de donner de la substance à cette nouvelle notion d’autonomie stratégique européenne.
ASSURER LA PÉRENNITÉ DE L’INDUSTRIE
Cet élargissement progressif à un cadre européen de l’objectif, historiquement national, d’autonomie stratégique rejoint l’impératif industriel de taille critique. Seule la taille critique garantit la capacité d’investir, de développer de nouveaux produits, de s’implanter sur de nouveaux marchés. En l’absence de taille critique, la pérennité de l’industrie de défense européenne n’est pas assurée.
C’est cette dynamique vertueuse, que les pressions sur les budgets de défense européens ne peuvent qu’accentuer, qu’il faut résolument poursuivre. Certaines technologies, certaines capacités doivent certes rester nationales, mais le périmètre naturel de l’industrie de défense est maintenant l’Europe.
Seuls des champions européens ouverts sur le monde peuvent aujourd’hui atteindre cette taille critique. Si MBDA est la seule entreprise de défense européenne qui a une taille équivalente à celle de ses grands concurrents américains, c’est parce que MBDA regroupe plus de 60% de l’industrie européenne des missiles et exporte hors d’Europe plus de 50% de son chiffre d’affaires.
RÉUSSIR A 28 ET PAS SEULEMENT À 27
Ce périmètre européen de l’industrie de défense pourra-t-il se limiter à la future Europe des 27 ?
Changement de paradigme : la Haute représentante Federica Mogherini, dans son discours, en juin 2016, sur la stratégie globale, place pour la première fois l’autonomie stratégique au cœur des objectifs de l’Union Européenne. © EU Council
Le Brexit ne devrait pas affecter les coopérations bilatérales ou multilatérales entre la Grande- Bretagne et ses partenaires européens, mais la question de l’accès de la Grande-Bretagne aux programmes communautaires est posée.
L’impératif de taille critique et le constat que l’Europe des 27 partagera avec la Grande-Bretagne les mêmes intérêts de sécurité, devraient permettre de répondre positivement à cette question, même si ce sujet n’est pas formellement à l’ordre du jour des négociations sur le Brexit.
Ce n’est pas par une coïncidence de calendrier que le projet franco-britannique mené par MBDA de nouveau missile antinavire et de frappe dans la profondeur a été signé en mars 2017 la veille du jour où la Grande-Bretagne a déclenché l’article 50 : c’est parce que les 2 pays ont voulu symboliquement affirmer que la Grande-Bretagne devait rester arrimée au reste de l’Europe pour les sujets de défense les plus structurants.
L’enjeu pour l’industrie de défense française et européenne est donc bien de réussir, à 28 et pas seulement à 27, cette mutation profonde qui associe l’impératif industriel de taille critique – c’est-à-dire les coopérations sur les programmes et l’intégration industrielle – à la mise en place de nouveaux modèles élargis d’autonomie stratégique.