Corinne Grillet-Serrano (93), Tout schuss !
La boule au ventre, se lancer dans le vide, inscrire sa trace au plus pressé sur l’étendue blanche, la piste pour lui donner son nom. Corinne Grillet, championne de France en 1987, est restée fidèle au ski de descente, dans l’audace, la curiosité de nouveaux domaines à découvrir, et le jouir de s’éclater dans l’expression. Ses qualités professionnelles, outre celles d’une polytechnicienne, témoignent de la grande skieuse qu’elle fut : agilité, agressivité, rapidité, exactitude du parcours.
De l’Ariège à l’océan Indien et à l’Asie…
Elle tient d’une famille, d’origines italiennes, andalouses et andorranes, passée par l’Algérie, ballottée dans les soubresauts de l’Histoire, la volonté de s’accrocher. Ses parents y étaient enseignants de collège, son enfance fut ariégeoise, à Pamiers. De là, ce furent Pierre-de-Fermat, à Toulouse, et l’intégration à l’École en 3⁄2.
Son service militaire lui fut un très grand moment, « une expérience mémorable, très enrichissante ». Après l’instruction à La Courtine, puis à Brest (École navale), elle fit son service une dizaine de mois durant, dans la Marine nationale : à bord du Var, un bateau de commandement avec un amiral et son état-major ; en service depuis 1983, avec un équipage — une équipe soudée — de dix officiers, 100 officiers mariniers, 50 quartiers-maîtres et matelots (mais « trois filles seulement »). Ils sillonnèrent l’océan Indien : Djibouti, Jordanie, Égypte, Kenya, Madagascar, Seychelles, île Maurice, Afrique du Sud, juste après la fin de l’apartheid. Ce fut très varié, « une palette de couleurs », d’une grosse tempête affrontée au cap de Bonne-Espérance à la représentation diplomatique de notre pays au Pakistan. Peut-être surtout l’impressionnante chaleur humaine des Africains, vivant souvent dans des conditions extrêmes, voire misérables.
Après l’X, son école d’application fut l’Ensae, où elle continua de ressentir l’appel de la finance. Elle commence sa carrière à Paris et à Londres. Puis, basée à Hong Kong, responsable de la région Asie-Pacifique, elle travailla une bonne dizaine d’années pour la société Sophis. « Ce fut très intéressant, intellectuellement et industriellement » : elle perçut la grande diversité des cultures, les enjeux géopolitiques aussi.
“Se donner constamment
des critères plus stricts pour soi-même
que pour ses équipes”
… jusqu’au cloud
Depuis août 2105, elle travaille à San Francisco pour Calypso Technology, société américaine mais elle aussi fondée initialement en France : cette firme propose des logiciels d’entreprise et des microservices dans le cloud pour la gestion d’actifs, le collatéral, les liquidités, le clearing et le post-trade processing, et simplifient la conformité réglementaire avec une empreinte informatique minime. C’est une industrie en pleine transition : les institutions financières, banques centrales et grandes banques, gestionnaires d’actifs et chambres de compensation, adoptent de plus en plus des stratégies cloud pour réduire les coûts et accélérer la conformité réglementaire. Calypso permet à un large éventail de ces institutions de rassembler des activités diverses sur une seule plateforme, de normaliser les flux, de réaliser des économies d’échelle et de se donner une transparence globale pour le trading et le risque.
Avec son mari et leurs trois enfants, dont une petite dernière, une prématurée née moins que minuscule, elle vit à Mill Valley, Marin County, en un site splendide, adossé à Muir Woods, avec de très belles échappées sur la baie de San Francisco. Elle prend l’autobus, ou, plus sportivement, son vélo et le bateau pour aller à son bureau.
Je résume : elle est extrêmement compétitive, excelle en exécution de missions difficiles, se donne constamment des critères plus stricts pour elle-même que pour ses équipes, focalise sa puissance de travail vers l’objectif. Ce qui n’est pas encore l’essentiel. Serait-ce ses valeurs éthiques et morales, patentes ?
À mon sens, ce qui domine dans son personnage et que j’eus la chance de ressentir, est un talent, si magistral qu’il en est presque bouleversant, pour lier amitié, durablement.
RETOUCHE
article mis à jour le 18 juin 2020
Corinne Grillet (93) a quitté Calypso Technology pour le poste de Chief Revenue Officer chez xBrain. Spécialiste du traitement du langage naturel, cette start-up française, fondée par Grégory Renard, installée à Menlo Park dans la Silicon Valley, se fait éditeur de logiciels en proposant une plateforme d’agents augmentés d’une intelligence artificielle conversationnelle autoapprenante. Depuis octobre 2019, elle est devenue CEO d’Alygne Inc. Corinne Grillet continue d’habiter la Bay Area.