Corot
Jouvet note quelque part qu’il n’y a pas de grand théâtre sans générosité, sans mutuelle affection, ni de grands auteurs sans émoi, sans pudeur, sans tendresse. Mesurés à cette aune, et Jouvet sait de quoi il parle, la pièce Corot est du grand théâtre, et Jacques Mougenot, qui l’a écrite, un grand auteur.
De quoi s’agit-il ? De faire revivre aux spectateurs une succession d’instants de la vie de Corot : de l’apprenti drapier, couvrant de dessins les marges des livres comptables de son patron ; de l’adolescent renonçant à l’amour d’une jeune fille pour apprendre à peindre les ciels et la lumière d’Italie ; du peintre confirmé, tout étonné que Louis-Philippe le fasse décorer de l’ordre royal de la Légion d’honneur, mais bien content de la chose, parce que cela fait tant de plaisir à ses parents âgés, avec qui il vit à Ville‑d’Avray ; du peintre exposant au Salon, en pleine révolution de 1848, dont il se fiche tout à fait ; du vieil artiste si attentif aux jeunes peintres désargentés qu’il les comble de conseils gratuits et, qui plus est, n’hésite pas à signer de son nom, à leur insu, certaines de leurs toiles pour qu’elles se vendent.
Jean-Laurent Cochet dans le rôle du père de Corot, puis dans celui de Corot lui-même, l’auteur Jacques Mougenot dans le rôle du peintre au temps de ses apprentissages, entourés d’une trentaine de jeunes comédiens enthousiastes et compétents, nous auront fait vivre un grand moment de théâtre – et d’histoire de la peinture aussi. La salle tour à tour se mouche et rit aux éclats, tant le texte sait alterner émotion et cocasserie.
La mise en scène de Cochet, pleine de trouvailles, contribue à la fête. On pense par moments aux inventions d’Orion le tueur – les vieux amateurs de théâtre sauront de quoi je parle – quand, par exemple, un orme arrive en marchant pour prendre sa place sur scène et que, quelqu’un voulant en cueillir une feuille, une main sort de l’arbre pour la tendre.
On se réjouit encore en écoutant deux amateurs de peinture venus au Salon admirer des Corot. Ils débitent des âneries extatiques devant un tableau, pour s’apercevoir ensuite qu’il ne s’agit pas d’un Corot – Aussi je me disais bien… fait l’un d’eux – puis se précipiter dehors parce qu’ils ont reconnu Flaubert, qu’ils ne veulent pas manquer non plus. Avant de partir, ils donnent pourtant leurs noms au gardien afin qu’il fasse part de leur visite à M. Corot. L’un s’appelle Bouvard, l’autre Pécuchet.
Tout est de cette veine, pleine de malice et de culture.
J’aurai assisté, hélas, à l’une des dernières représentations. C’est égal, la prochaine fois qu’on jouera du Mougenot, courez‑y. J’ajouterai, pour la petite histoire, que ce jeune dramaturge – j’allais écrire thaumaturge – est le neveu de notre camarade Bayon (42), vous savez, l’ange gardien de Joigny.