Courir au large : une profession et une passion
La course à la voile est une discipline qui requiert un engagement total. La préparation exige une attention minutieuse dans laquelle chaque détail compte. Quant à la navigation, elle fait appel à de grandes ressources physiques et morales. C’est le prix d’une aventure qui offre aussi des moments d’intense satisfaction.
Le 9 novembre 2008, ils sont trente à emprunter le long chenal du port des Sables-d’Olonne. Pour les trente marins du Vendée Globe, il s’agit bien de plaisance. Ce sont des plaisanciers. Oui ! Mais des professionnels. Professionnel, il faut l’être pour entreprendre un Vendée Globe, une Solitaire du Figaro ou une Transat 6,50.
On peut perdre une course pour un élastique mal tendu
Si tous les participants ne touchent pas de rémunération pour cette activité, tous se doivent d’y consacrer du temps et l’exigence de ces épreuves impose d’avoir une démarche professionnelle, méthodique et structurée. Par ses aspects sauvages et souvent imprévisibles, l’environnement marin exige une minutie et une rigueur sans lesquelles il est impossible de prétendre à la victoire, voire même de terminer les courses. La résistance d’une chaîne étant celle de son maillon le plus faible, le soin apporté à chaque détail de la préparation du marin ou de son embarcation est crucial. On peut perdre une course pour un élastique mal tendu, une soudure oxydée ou une latte mal ajustée, si toutefois ces dysfonctionnements ne sont pas traités au moment adéquat.
Marine Feuerstein
Fille de Didier Feuerstein (65), elle navigue depuis 2005 dans la série des Mini 650 et a parcouru depuis cette date plus de 7000 milles en course, dont un aller retour vers les Açores en solitaire. Le 19 septembre prochain, elle prendra le départ de la Transat 6,50, une course au départ de La Rochelle et à destination de Salvador de Bahia. À travers son blog, elle relate ses expériences de course au large www.marinefeuerstein.canalblog.com.
Pour poursuivre cette aventure, Marine cherche des partenaires.
Une exigence totale
Comme dans toute discipline, la performance est liée à la qualité de la préparation, au temps et aux moyens que l’on peut lui consacrer. Anticiper la conception et la construction d’un bateau, le tester et l’optimiser en conditions de course, fait partie des principaux facteurs clés de succès de ce sport mécanique. L’avancée technologique se paye cher et il n’est pas rare qu’un bateau de dernière génération soit à la peine derrière des bateaux plus anciens, moins performants mais fiables. La pertinence d’un projet réside donc dans le compromis innovation technologique-fiabilité, compromis par ailleurs largement déterminé par les moyens financiers et humains que l’on peut lui dédier. Si les équipes de préparation des projets en solitaire sont restreintes, la coupe de l’America et la Volvo Ocean Race présentent des modèles de gestion d’équipes. L’équipe de Team New Zealand en 2000, tout autant que celle d’Alinghi en 2003, a souligné l’originalité et la performance de sa méthode de gestion de projets lors de sa victoire en finale de la coupe de l’America. La victoire étant alors autant attribuée aux équipes support qu’aux équipes navigantes.
La richesse des projets de course à la voile réside dans la diversité des compétences et des corps de métier qu’ils sollicitent. Architectes navals, constructeurs, voiliers, gréeurs, gabiers, électroniciens, informaticiens, électriciens, mécaniciens, météorologues, routeurs, médecins, chargés de communication, préparateurs (physique et mental) ainsi que chefs de projet participent à ces campagnes suivant leur ampleur. Dans le cas d’une navigation en équipage au large, chaque navigant a par ailleurs la responsabilité de l’un de ces corps de métier.
Le solitaire doit, quant à lui, maîtriser tout ou partie de ces compétences.
L’exaltation de la course
Lorsque le coureur a enfin satisfait à toutes les exigences de sa préparation, il reste le plaisir de naviguer. Mieux : de régater. La course à la voile, surtout en solitaire, est l’une des activités les plus exaltantes qui soient.
La mer reflète les aptitudes personnelles de ceux qui s’aventurent à la parcourir. Garder son calme et sa maîtrise dans un coup de vent ou un grand calme, être capable d’adapter son comportement aux évolutions de la météo est une belle expérience de liberté. Il faut du courage pour tenir tête à la mer qui se forme et maintenir la toile lorsque le vent monte. Parfois la concentration est telle qu’il devient difficile de dormir, de manger et même de respirer. Un instant d’inattention et le bateau se met en travers d’une vague puis part au lof. Le spi claque, se gonfle puis se dégonfle en imprimant de violentes secousses au gréement. Il faut remettre le bateau droit, reborder son écoute puis reprendre la barre pour négocier les vagues et les surventes. Encore et encore. Jusqu’à ce que le vent tombe. Jusqu’à ce que la mer se calme. Jusqu’à ce que l’on passe la ligne d’arrivée.
Il faut aller au bout et ne rien lâcher, malgré la fatigue et son lot d’hallucinations, malgré le découragement et l’angoisse omniprésente. Courir au large, c’est être compétiteur jusqu’au bout des doigts. C’est dormir compétition, se lever compétition, manger compétition, vivre compétition.
Des jouets magnifiques
Paysages de mer
Qu’il s’agisse d’une lueur évanescente sur la mer, d’un ciel qui se couvre et devient noir ou d’une vaste composition de nuages s’acheminant sans bruit, les paysages de mer sont perçus avec d’autant plus de profondeur et d’intensité qu’ils sont difficilement accessibles. « Seul spectateur dans la salle du monde », le marin solitaire éprouve des joies exclusives. Tous les jours, le soleil se couche pour lui seul et il prend la pleine mesure du monde, soit subissant les assauts de la tempête qui se lève, soit profitant de la douceur d’une petite brise. Éclats d’écume, fracas des vagues, nervures du vent sur la mer restent gravés dans la mémoire du marin qui se souvient.
Enfin, la régate est un jeu et les bateaux de course des jouets magnifiques. Nerveux, puissants, aussi prompts à surfer dans de larges gerbes d’écume qu’à glisser, sans bruit, sur une mer d’huile, ils offrent des joies incomparables pour qui maîtrise leurs subtilités. Les grand-voiles à corne, quilles pendulaires, safrans relevables et autres bouts-dehors orientables permettent aux bateaux d’être performants et marins dans tous types de conditions. Au plaisir de la navigation s’ajoute celui de la stratégie. Dans la plus grande cour de récréation du monde, il faut tracer son chemin et jouer au mieux de l’évolution de la météo. Analyses, interprétations et conjectures se conjuguent donc au quotidien avec les manoeuvres. Blotti devant ses instruments, le marin attend impatiemment les dernières prévisions météo.
Ce n’est pas rien que de s’attaquer à l’océan !
Lorsque l’information arrive, il estime l’impact sur la marche de son bateau. Son placement est-il optimal ? Doit-il recadrer sa route ? Un autre concurrent, jusqu’ici jugé inoffensif, peut-il se révéler dangereux du fait de ces nouvelles prévisions ?
Les diagnostics sur la météo, la peur de s’être trompé et de voir ses efforts anéantis par une météo défavorable occupent sans cesse l’esprit du marin.
La course au large est une activité difficile et parfois ingrate. Ce n’est pas rien que de s’attaquer à l’océan ! Cependant, c’est une activité d’êtres libres et responsables. L’estime de soi, et celle des autres, mérite bien que l’on souffre de l’humidité et du manque de sommeil !