Courrier des lecteurs
Lettre à La Jaune et la Rouge
L’ancien ministre de l’Éducation nationale, M. Luc Ferry, stigmatise dans La Jaune et la Rouge (mars 2006, p. 20) La main à la pâte, cette opération de rénovation de l’enseignement des sciences à l’école lancée par l’Académie des sciences et décrite dans le même numéro par l’un de nous (p. 42) et par Alexandre Moatti (p. 45).
C’est là parfaitement son droit et nous n’attendons pas que chacun suive l’Académie dans cette entreprise. Mais son propos, qui se résume dans l’injonction “ Au lieu de faire La main à la pâte, il faut faire des sciences ”, est particulièrement cocasse puisque c’est l’essence même de notre action que de faire faire de la science aux enfants, une science où s’imbriquent et s’organisent l’observation, l’expérimentation, l’argumentation et le raisonnement, c’est-à-dire une science qui se fait et qui donc a des chances de se comprendre, et de se mémoriser. Une science aussi qui, au lieu d’instiller “ la survalorisation de soi ” – autre blâme, étrange, de l’ancien Ministre –, mène au contraire l’enfant, guidé par le maître, à douter de ses propres hypothèses et à tenir pour vrai non ce que l’on croit mais ce que, extérieur à soi, l’on voit et l’on mesure.
Bien plus que sur la surface et sur telle ou telle façon d’enseigner, c’est sur le fond que le propos exprime toute une conception où nous ne reconnaissons rien de ce que, pour nous, est la science. Et rien non plus de la possibilité qu’elle a de modifier non seulement notre connaissance du monde (ainsi de “la structure de l’ADN ”, laquelle s’apprend et “ ne se met pas au vote ” ironise-t-il dans le vide) mais aussi notre façon de raisonner, notre comportement et donc notre façon de vivre.
Nous répondons plus longuement à M. Ferry à l’adresse suivante : www.mapmonde.org/tribune.
Georges CHARPAK,
Pierre LÉNA,
Yves QUÉRÉ
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À propos de la recension publiée dans La Jaune et la Rouge, n° 600, décembre 2004, du livre de Jules Leveugle La Relativité, Poincaré et Einstein, Planck, Hilbert – Histoire véridique de la Relativité (L’Harmattan, juillet 2004)
Connaissant l’impressionnant travail accompli par notre camarade, sa moisson d’informations inédites bousculant bien des idées reçues, qu’il me soit permis d’user de cet espace de liberté pour revenir sur un sujet ayant de longue date retenu mon attention dans des circonstances que je crois d’abord utile de rappeler.
Notre revue, dans son numéro de mars 1994, avait publié, à l’occasion du Bicentenaire de l’X, un article de Jules Leveugle, sur la genèse de la Relativité, qui avait alors suscité un vif intérêt, à en juger par l’abondance du courrier adressé (tant à l’auteur qu’à la Rédaction) et le débat animé qui s’était ensuivi.
L’auteur y contestait la version “ orthodoxe ” du “ génie solitaire ”, “ du travail d’Einstein sorti tout armé qu’aucune publication antérieure ne prépare… ”, si l’on suit Paty, historiographe scrupuleux d’Einstein, lequel convenait cependant : “ La genèse de la Relativité paraît entourée de mystère ” tandis qu’un autre historien, non moins admiratif (Miller) mais plus circonspect, laissait planer un doute : “ Il semble qu’il connaissait avant de commencer la forme correcte des équations. ”
Notre camarade passionné d’Histoire des Sciences s’était donc livré dans notre revue à une étude comparative minutieuse entre : d’un côté, l’article “ fondateur ” d’Einstein publié en septembre 1905 par les Annalen der Physic (à l’introuvable manuscrit faut-il le rappeler) de l’autre, la note antérieure du 5 juin de Poincaré, aussitôt diffusée à ses correspondants étrangers notamment allemands.
Cette confrontation inédite, non seulement révélait d’étranges similitudes, mais faisait soupçonner la coopération, la “ patte ” de mathématiciens aussi exercés que ceux de Göttingen (discipline alors mal maîtrisée par notre jeune physicien) c’était donc apparemment de ce côté, concluait Leveugle, que l’on avait les meilleures chances d’éclaicir ce “ mystère ”.
Encouragé à poursuivre ses recherches, notre camarade s’était placé dans la perspective de 2005, “ année de la physique ”, avec l’espoir que nos institutions scientifiques auraient à coeur de rendre enfin hommage à celui qui fut le plus grand “ mécanicien ” de son temps, pionnier injustement, trop longtemps marginalisé, du grand bouleversement que connaît la physique à l’aube du XXe siècle.
Cet espoir de notre camarade visait, outre l’X engagée comme on sait dans une sévère compétition internationale de prestige, l’Académie des sciences de Paris, détentrice de la précieuse note du 5 juin*, que plus d’un physicien* dans le monde considère aujourd’hui (avec celle dite “ de Palerme ” du 23 juillet 2005) sur “ La dynamique de l’électron ”, comme les authentiques textes fondateurs de la Relativité restreinte, indissociables et dans la foulée de son “ Principe de Relativité ” formulé en septembre 1904 à Saint Louis (USA) (évoqué à l’occasion du Centenaire de cet événement dans le numéro de septembre 2004 de La Jaune et la Rouge).
N’en déplorons pas moins la persistance d’une méconnaissance quasi générale (quand ce n’est pas de dédain) de Poincaré-physicien parmi ses pairs.
* Parmi les témoignages d’admiration voire de stupéfaction dans la redécouverte de “Poincaré-physicien” depuis quelques décennies, on ne saurait trop recommander à nos “spécialistes” (j’en ai eu l’occasion, mais sans être entendu apparemment) de relire ces textes à la lumière de leur republication en Russie en 1984, assortie de commentaires appropriés (traduits en anglais en 1985, réédités depuis à trois reprises, disponibles aussi en français depuis 2000 grâce à notre camarade Christian Marchal).
L’auteur de ce travail de relecture, le physicien-académicien Anatoly Logunov (alors directeur de l’Institut des hautes énergies de Provtino) a pris soin en effet de réactualiser les textes de Poincaré en langage mathématique moderne (comme cela a été fait depuis longtemps pour ceux d’Einstein).
Il dissipe les critiques totalement infondées adressées à Poincaré (il n’aurait pas fait le pas décisif, etc.). Logunov est formel : Poincaré est le véritable “ pionnier ” de la Relativité.
Pourquoi, comment, dans quelles circonstances historiques, ses travaux, pourtant d’un intérêt majeur, ontils été occultés, puis “ snobés ”, défigurés ? C’est ce qu’a voulu comprendre Leveugle.
Il lui a fallu pour cela changer d’horizon d’observation, pénétrer au plus intime de la scène scientifique de cette époque pionnière… explorer le “ jeu ” de ses acteurs et… les “ coulisses de l’exploit ” que fut cette découverte.
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7ème paragraphe, 3ème ligne, le manuscrit de Palerme est probablement dans l’année 1905, pas 2005.