Courrier des lecteurs
À propos du n° 563, mars 2001
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article de Jean-Marie Gogue sur la maîtrise statistique des processus, publié dans le numéro de mars de La Jaune et la Rouge.
À l’intention des lecteurs qui souhaitent se familiariser davantage avec cette technique, je me permets de mentionner le fascicule de documentation de l’Afnor X 06- 030 datant de septembre 1992 : Guide pour la mise en place de la maîtrise statistique des processus ; il a été rédigé par la commission de normalisation “ Méthodes statistiques ” que j’avais l’honneur de présider à l’époque.
Une première partie, destinée plutôt aux dirigeants d’entreprises, présente les concepts et la finalité de la MSP, sans omettre les aspects psychologiques et relationnels que mentionne M. Gogue ; une deuxième partie, destinée aux utilisateurs et complétant la première, présente les techniques et outils (cartes de contrôle par mesures, par attributs, analyse a posteriori, etc.) nécessaires à la mise en oeuvre de la MSP et donne un exemple vécu dans une société chimique française.
Gérard BRUNSCHWIG (43)
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À propos du n° 561, janvier 2001
Le dernier article de la suite “ Le Printemps des peuples ” paru dans le numéro de janvier 2001 a inspiré à Jean-Nicolas Pasquay (54) toute une série de commentaires et de compléments d’information, d’autant plus dignes d’attention que notre camarade est très instruit de la langue, de la culture et de l’histoire de nos voisins d’outre-Rhin (notons incidemment que, comme tous les jeunes Alsaciens de sa génération, il connut “ l’école allemande ” de 1941 à 1945).
Gérard Pilé (41)
Le remarquable article de G. Pilé “ 1848–1852 Le Printemps des peuples ” comporte une analyse synthétique de la question allemande, loin des clichés antiprussiens auxquels les Français sont habitués. Il me paraît opportun d’y apporter quelques compléments et mises au point basés principalement sur les écrits de deux historiens allemands connus pour leurs efforts d’objectivité et la qualité de leur interpétation des événements : Golo Mann1 et Sebastian Haffner1. Enfin, G. Pilé fait brièvement allusion aux conséquences, sur l’histoire du XXe siècle, des événements qu’il relate. C’est pourquoi mes digressions vont jusqu’au Troisième Reich.
L’équilibre européen tel qu’il a été dessiné au congrès de Vienne repose principalement sur l’alliance “ des trois aigles noirs ” : l’Autriche, la Prusse et la Russie. Les mouvements nationaux (ou nationalistes) vont, à partir de 1848, troubler cette alliance qui finira par se rompre complètement après la guerre de Crimée (1854) pendant laquelle, pourtant, aucun coup de canon autrichien n’est tiré sur les Russes. La Russie et l’Autriche vont devenir d’âpres rivales dans les Balkans, avec les conséquences tragiques que l’on sait.
Au printemps 1848, en même temps que le Parlement fédéral de Francfort (sorte d’Assemblée nationale allemande) est élue une Assemblée prussienne siégeant à Berlin, alors que quelques semaines plus tard se réunit à Vienne un “ Reichstag ” autrichien. Il y a donc trois cercles inextricablement entremêlés : l’allemand, le prussien et l’autrichien. Le Parlement “ allemand ” de Francfort pense élaborer une législation pour tous les États allemands, y compris l’Autriche, dans la mesure où celle-ci est allemande ou veut le devenir. Mais ce Parlement se fait des illusions : ce ne sont pas Berlin et Vienne, qui dépendent de Francfort, mais l’inverse. La réalité du pouvoir appartient en effet aux États munis de forces armées : la Prusse et l’Autriche et non à cette Assemblée qui en est dépourvue.
Bien entendu l’unité allemande ne concerne pas uniquement ces deux puissances à populations principalement ou partiellement allemandes, elle intéresse aussi Paris, Saint-Pétersbourg et Londres. L’apparition d’un nouvel État national au milieu de l’Europe est en fait un sujet de politique étrangère.
L’hétérogénéité des populations rassemblées par la dynastie des Habsbourgs va encore compliquer la façon de poser et de résoudre le problème. Du côté allemand on rejette l’idée de Schwarzenberg qui consiste à fondre l’Autriche, dans sa totalité, avec les États allemands pour former un grand ensemble multinational au centre de l’Europe. Suivre cet Autrichien consisterait à réaliser une “ Anschluss ” de l’Allemagne à l’Empire des Habsbourgs ! Dans l’esprit de la majorité de l’Assemblée de Francfort, seule la partie de langue allemande de l’Autriche a vocation à faire partie d’une Allemagne unifiée. On se prononce finalement, au printemps 1849, pour une “ petite Allemagne ” sous la houlette de la Prusse, excluant totalement l’Autriche.
Tous les ingrédients sont donc réunis pour une vive rivalité entre la Prusse et l’Autriche. L’action vers l’unité allemande commence par deux faux pas et deux échecs de la Prusse.
Il y a d’abord l’affaire des duchés de Schleswig-Holstein. Le Holstein est entièrement de langue allemande et les trois quarts des habitants du Schleswig le sont aussi. La population des duchés exprime avec force son désir de se séparer du Danemark (plus précisément de “ l’union personnelle ” avec le roi de ce pays). L’intervention militaire de la Prusse et du Hanovre dans ces duchés s’accorde aussi bien avec les voeux de la population qu’avec ceux de l’Assemblée de Francfort. Mais elle constitue aussi une agression à l’égard d’un petit pays, tout à fait condamnable. Compte tenu de la situation géographique des duchés – entre deux mers – l’agression provoque une vive réaction de la Russie et de l’Angleterre. La Prusse cède par l’armistice de Malmö et retire ses troupes. L’Assemblée de Francfort s’estime trahie par le roi de Prusse qui vient ainsi de reculer.
En novembre 1850, à la suite de l’affaire de la Hesse, la reculade d’Olmütz marque un deuxième échec de la Prusse, vis-à-vis de l’Autriche, cette fois. Cela concerne non seulement l’évacuation de la Hesse, mais aussi et surtout le renoncement à l’Union restreinte sous l’égide prussienne au profit du vieux “ Bund ” de 1815 dominé par l’Autriche. L’attitude ferme de l’Autriche et la marche arrière de la Prusse s’expliquent notamment par l’appui que les Russes apportent à l’Autriche et la menace militaire sous-jacente.
Le parlementaire Bismarck est un des défenseurs du traité humiliant d’Olmütz, ce réaliste souhaite que la Prusse attende que s’établisse un rapport de forces plus favorable avant de reprendre la moindre initiative. Il dit à cette occasion : “ Ce n’est pas le devoir de la Prusse de jouer partout en Allemagne les Don Quichotte. ”
Il n’est pas sans intérêt de préciser que la Constitution libérale de la Prusse est “ octroyée ” par son roi en décembre 1848 et qu’elle restera en vigueur, à quelques modifications près, jusqu’en 1918, époque où disparaîtra le royaume de Prusse.
Bismarck – Guillaume Ier – Guillaume II
Comme le souligne G. Pilé, Bismarck est avant tout un Prussien. Ajoutons que Bismarck n’est pas un nationaliste allemand, même si ce réaliste et opportuniste, évaluant soigneusement les possibilités qu’offrent les circonstances, peut provisoirement se servir des nationalistes pour atteindre ses buts.
Bismarck ne parvient au pouvoir qu’en septembre 1862, non pas en qualité de chancelier, mais de Ministerpräsident de Prusse (Premier ministre). Par la suite, il devient successivement chancelier de l’Union de l’Allemagne du Nord en 1867, puis chancelier d’Empire en 1871.
Il craint pour la survie de la Prusse dans une Allemagne unifiée. De fait, la Prusse disparaîtra progressivement, non par les échecs de ses gouvernants, mais paradoxalement en raison d’énormes succès qu’elle devra principalement à l’action politique de ce junker d’exception. Comme l’écrit Haffner : “ À côté et dans l’Allemagne unifiée, la Prusse perdit irrévocablement et peu à peu son indépendance, son identité et finalement son existence. ” C’est bien ce que redoute instinctivement le vieux Guillaume Ier lorsque, à la veille de se voir proclamé empereur d’Allemagne, en janvier 1871, il hésite au point d’envisager son abdication.
Guillaume II, fanfaron, superficiel, ambitieux à l’excès, fera une politique que la vieille Prusse n’aurait jamais voulu ni pu conduire. Ce personnage, en rupture avec la tradition prussienne, précipitera le déclin du royaume. Ainsi, c’est bien la Prusse qui se dissoudra dans l’Allemagne unifiée et non l’inverse.
Le Troisième Reich et l’esprit prussien
L’Autrichien Hitler3 est par ses origines, son éducation, son esprit et ses ambitions démesurées aussi éloigné que possible de la vieille Prusse. L’enchaînement que certains ont tenté de dessiner entre cette Prusse, l’Empire de Guillaume II et le Troisième Reich ne résiste pas à l’examen des faits. Comme l’écrit Haffner, si l’on veut absolument établir une liaison historique entre Hitler et le passé allemand on trouvera tout au plus une similitude avec l’attitude de Schwarzenberg qui avait la vision d’un grand empire allemand au centre de l’Europe. Les ambitions prussiennes sont bien plus modestes ; elles sont toujours directement en rapport avec les moyens humains, économiques et militaires. Soulignons au passage qu’une des caractéristiques essentielles de la Prusse du XVIIIe siècle était sa qualité d’État de droit4. Or le premier geste du régime hitlérien a consisté précisément à supprimer l’État de droit en Allemagne.
La principale opposition interne à Hitler ne viendra ni de l’Allemagne du Sud ni de l’Autriche. Son centre de gravité est en Allemagne du Nord et plus particulièrement en Prusse. Parmi les civils et militaires qui payent de leur vie l’opposition au dictateur, on trouve des porteurs de noms qui ont illustré l’ancienne Prusse : Yorck von Wartenburg, von Kleist, von Moltke, von der Schulenburg, Schwerin et bien d’autres. Il est vrai que l’exécutant de l’attentat du 20 juillet 1944 est un Bavarois : le courageux comte von Stauffenberg. D’autres figures marquantes de l’opposition en Allemagne du Nord sont Goerdeler, ancien maire de Leipzig, et le pasteur Bonhoeffer, tous deux exécutés par les nazis. Au sein de “ l’Église confessante ” qui regroupe les Églises protestantes d’opposition on remarque “ l’Église de l’Union vieille-prussienne ” qui démonte et dénonce les mécanismes du système hitlérien.
Reste à expliquer la “ Journée de Potsdam ” (21 mars 1933) où l’on voit le vieux maréchal et “ Reichspräsident ” von Hindenburg et son nouveau chancelier Hitler côte à côte dans une cérémonie destinée à faire croire à un lien entre la tradition prussienne et la révolution nationalsocialiste. Geste de propagande qui doit rassurer les militaires et les conservateurs prussiens. Hitler ne peut évidemment se passer, pour atteindre ses buts, d’un outil militaire performant dont le corps des officiers est un élément déterminant. Le stratagème allait bien réussir jusqu’au déclenchement de la guerre. Ce n’est qu’après l’attentat du 20 juillet 1944 que le Führer fera éclater ouvertement sa haine à l’égard de la caste des officiers prussiens5.
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1. Deutsche Geschichte des XIX. und XX. Jahrhunderts (Histoire allemande des XIXe et XXe siècles), Golo Mann, 1958 (fils de l’écrivain Thomas Mann). Pas de traduction française.
2. Preussen ohne Legende (La Prusse sans légende), Sebastian Haffner, 1979. Pas de traduction française.
3. Dans les années 1930 une phrase humoristique faisait le tour de certains milieux berlinois : “ Hitler – la vengeance de l’Autriche pour Königgrätz (Sadowa) ”.
4. La Prusse du XVIIIe siècle est un État de droit, pratiquant la tolérance religieuse et qui dispose d’une administration efficace et incorruptible. C’est l’État le plus moderne d’Europe. La dispersion des territoires qui la composent conduit le roi de Prusse à pratiquer une politique de conquête pour faire, autant que possible, un ensemble d’un seul tenant. À cet État, tout en frontières, il faut donc une armée puissante. C’est ainsi que naît le redoutable “ militarisme ”.
5. Albert Speer indique dans ses Mémoires qu’Hitler n’invitait jamais de généraux à ses déjeuners ou soirées à la chancellerie ou au “Berghof”. Selon lui, le Führer éprouvait un complexe social à l’égard des officiers de métier et notamment de ceux issus de l’aristocratie.
Jean-Nicolas PASQUAY (54)
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À propos du n° 561, janvier 2001
Michel Caboche s’interroge dans le courrier des lecteurs d’avril sur le nombre de morts provoquées par la catastrophe de Tchernobyl, suite aux articles de Jacques Bourdillon et Hervé Nifenecker, qui lui paraît exagérément optimiste. Je comprends sa réaction : compte tenu de l’ampleur du désastre, on pouvait craindre le pire. Et il n’est toujours pas facile d’y voir clair sur ce qui se passe en ex-URSS.
Mais il se trouve que, précisément à cause de ces deux facteurs, sous l’égide des Nations unies, un travail sérieux et détaillé a été fait sur place par une centaine d’experts indépendants provenant de 21 nations, travail qui a abouti au rapport de l’United Nations Scientific Committee on the Effects of Atomic Radiation publié en février 2000 (et remis à jour périodiquement).
Ce rapport établit :
– qu’aucun excès de cancers ou de leucémies n’a été mis en évidence suite à la catastrophe, dans l’ensemble des territoires concernés,
– hormis des cancers à la thyroïde qui se sont déclarés à ce jour chez environ 2 000 enfants, ce qui, hélas, est déjà un lourd tribut, minoré par le fait que ces cancers se soignent et que le nombre des décès correspondants est très faible (une dizaine, semble-t-il).
Bien entendu nul ne saurait exclure, et le rapport est très clair également sur ce point, que, compte tenu du temps de latence de ces maladies, des cas de cancers et de leucémies excédentaires apparaissent à l’avenir. Certains le jugent improbable, d’autres sont prudents…
Les grands experts médicaux français du domaine, qui se sont exprimés à plusieurs reprises sur ces sujets, et encore le 6 avril dernier au cours d’une conférence de presse, confirment que le bilan établi à ce jour a des bases scientifiques solides. Et ils nous mettent en garde contre le risque que font courir aux populations concernées ceux qui le majorent pour des raisons idéologiques ou de profit médiatique ; car, tout compte fait, ce qui est la principale cause de détérioration de la santé après Tchernobyl, en Ukraine ou en Biélorussie, venant s’ajouter à une situation économique déplorable, ce sont l’angoisse et le stress et leurs conséquences psychosomatiques.
À chacun de se faire son jugement. C’est pour y aider que se prépare un prochain numéro de La Jaune et la Rouge consacré au dossier du nucléaire, dossier qui essaiera d’apporter des réponses à tous ceux qui s’interrogent sur les conséquences de Tchernobyl, les effets des faibles doses et bien d’autres sujets. Rendez-vous à l’automne. Et pourquoi pas, à la suite de ce numéro, réveiller de sa léthargie le groupe X‑Nucléaire pour en débattre tous ensemble, en dehors de tout lobby ?
Rémy CARLE(51)
Président du groupe X‑Nucléaire.