Courrier des lecteurs
À propos du In Memoriam de Marc Chervel (52), publié dans la livraison de juin-juillet, n° 606.
Élie SALIN (35)
Notre camarade Élie Salin, alors chef d’escadron d’artillerie, était à Alger en 1958, rattaché au Cabinet militaire du Ministre résident Robert Lacoste. Il nous a envoyé les précisions ci-après sur les événements de mai 1958.
Le 13 mai, les manifestations étaient une protestation dans toute l’Algérie contre le FLN qui avait jugé et fusillé trois jeunes soldats français détenus depuis dix-huit mois dans des conditions particulièrement pénibles et humiliantes.
Le Gouvernement français étant démissionnaire et le Ministre résident ayant été rappelé à Paris, certains groupes à Alger ont décidé de profiter de cette carence du pouvoir pour tenter une action de force contre l’administration : vers 18h30, ils envahissent le Gouvernement général.
Le général Salan, faute de popularité auprès de la population, ne peut intervenir.
Sur sa demande, c’est le général Massu qui réussit à canaliser les manifestants et à calmer la foule. Il réunit les représentants des manifestants et d’Associations d’anciens combattants et, avec l’accord du général Salan, constitue un “ Comité de Salut public ” qu’il préside et où il invite une dizaine d’officiers.
Vers 21h30, Félix Gaillard, président du Gouvernement démissionnaire, habilite le général Salan “ à prendre toutes mesures pour la protection des personnes et des biens ” – délégation de pouvoir confirmée le lendemain 14 mai au matin par le nouveau président du Gouvernement Pierre Pflimlin.
En fin de journée, Pierre de Chevigné, nouveau ministre de la Défense, donne, au nom du Président de la République, “ l’ordre aux militaires de rester dans le devoir sous l’autorité du Gouvernement de la République ”.
Marc Chervel envoie alors, avec le capitaine Paquet, sa lettre dans laquelle il condamne le Comité de Salut public. L’intention était louable mais c’était, probablement par défaut d’information, une erreur d’interprétation politique.
Il y a dans la chaîne hiérarchique des officiers qui font partie des Comités de Salut public locaux. Il est classé comme opposant et la sanction politique tombe, brutale. Politique et justice sont souvent en opposition !
Il était effectivement proche du milieu chrétien progressiste dont quelques éléments avaient pu lier des relations avec le FLN. Lui-même a toujours été étranger à ces contacts et sa rigueur morale et sa droiture ne peuvent en aucune façon être mises en cause.
Et puisque est évoquée cette douloureuse période, Élie Salin veut saluer la mémoire de notre camarade Salah Bouakouir (28), fidèle Kabyle et fidèle Français. Secrétaire général auprès du Ministre résident, il fit face à toutes les menaces. Il se noya accidentellement en septembre 1961 près de Djidjelli.
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Quelques réflexions sur le sujet de l’avenir des Grandes Écoles
David DORNBUSCH (94)
L’avenir des Grandes Écoles et en particulier de l’X fait l’objet de nombreuses réflexions auxquelles je souhaitais contribuer par une approche quelque peu iconoclaste.
On peut approcher aujourd’hui Polytechnique et un certain nombre d’autres écoles françaises comme des “marques”, au strict sens marketing du terme : un signe de reconnaissance qui guide le “ consommateur ” parmi la multitude de produits qui sont disponibles sur le marché. Il serait intéressant de réaliser une étude sur les “ marques ” les plus fortes en France aujourd’hui, sans doute verrait-on que Polytechnique est et reste l’une des dix ou vingt marques les plus fortes en France entre… Renault, Le Monde, La Poste et d’autres, tant auprès du grand public que des décideurs. Ceci serait à mesurer rigoureusement mais ce qui est également certain sans qu’aucune étude ne soit nécessaire est que Polytechnique est une marque strictement française et que sa valeur est proche de zéro dès les frontières de l’Hexagone franchies. La nouvelle édition du fameux classement de l’université de Shanghai vient de nous le rappeler cruellement.
On pourrait donc approcher la question de l’avenir des Grandes Écoles sous un angle totalement différent, celui de la gestion d’une marque “ locale ” dans l’univers
mondialisé, à l’instar, soyons brutaux, des anciennes marques de lessive nationale Dash et Omo intégrées par les lessiviers mondiaux. Autrement dit, comment capitaliser sur l’actif que constitue une marque locale-nationale pour “ rebondir ” au niveau mondial.
La littérature scientifique et commerciale sur le marketing propose plusieurs stratégies à cet effet, issues des stratégies des grands groupes.
Un des éléments qui ressort de cette réflexion est qu’il n’y a pas de fatalité au déclin d’une marque. On connaît les cycles de vie des produits, leur disparition inéluctable dès qu’apparaît une innovation qui rend obsolète la précédente. On a de nombreux exemples de marques qui meurent par décision stratégique ou plus souvent, croiton, par vieillesse. Or il n’y a aucune raison pour qu’une marque meure si elle fait bien son travail. Des marques relativement anciennes (Coca-Cola 1895, Kellog’s 1903, Maille 1747, Renault 1899, Guerlain 1828, Peugeot 1810, Michelin 1898, LU 1860, La Vache qui rit 1921) sont toujours considérées comme des marques leaders en termes d’image.
On peut à partir de là imaginer diverses stratégies
La réponse générale est que le développement des marques passe de plus en plus par le brand stretching (élargissement).
Parfois la marque se lance seule dans cette entreprise (Carrefour Voyage, Carrefour et le crédit bancaire, etc.). Dans ce cas il s’agirait de la création ou fusion dans une marque mondiale : “ Polytechnics ”… ( avec toutes les Écoles polytechniques du Monde).
Marque ombrelle : de nombreuses marques sortent de leur sphère de compétence d’origine pour s’attaquer à d’autres marchés (Andros, Lustucru, Uncle Bens, etc.). On pourrait ainsi imaginer convaincre le MIT de devenir une marque mondiale et se mettre sous son parapluie en devenant MIT France.
Co-branding : sur le modèle co-branding de Danone- Motta, Mercedes-Swatch, Côte d’Or-Yoplait, on pourrait imaginer MIT-Polytechnique, ou Cambridge-Polytechnique, voire même au-delà Microsoft-Polytechnique ou Google-Polytechnique (un peu provocant pour stimuler le débat), etc.
Ce courrier a pour but d’ouvrir les imaginations et non pas de proposer une stratégie de référence qui doit inclure de très nombreux paramètres et ne se résume pas au choix du “ nom le plus plaisant à l’oreille ”. En particulier les questions de qualité et de perception du produit sont indispensables dans une telle analyse.
Le point essentiel reste que, une fois convaincu de la gravité de la situation, il faut entamer une démarche. Polytechnique a été pionnier (élargissement des promos, étudiants étrangers, etc.), mais il s’agit désormais de passer à la vitesse supérieure.