Courrier des lecteurs
À propos de l’article de Claude Thélot (65), « Faire réussir tous les élèves, notamment les plus démunis », Forum social, n° 608, octobre 2005
Je souhaiterais apporter quelques brèves remarques complémentaires à l’article de notre camarade Claude Thélot, publié dans La Jaune et la Rouge d’octobre 2005. Cet article me semble assez éclairant lorsqu’on le met en parallèle, d’une part avec la très grave crise que notre pays vient de connaître, d’autre part avec le malaise général de notre société, l’absence complète d’ambition à long terme des » élites « , en dehors de celles de carrière, la perte très grave de légitimité de la représentation. De nombreux observateurs, professionnels ou non de l’analyse sociologique et psychologique, s’accordent à penser que la crise est en grande partie causée par la faillite complète du système scolaire, de l’école maternelle à l’université, plus généralement du système éducatif, conséquence du déploiement idéologique qui a investi l’école, l’université et la recherche, depuis ces trente-cinq dernières années. La loi sur l’école, promulguée par le précédent gouvernement, n’est que l’actualisation se poursuivant de cette idéologie et donc d’opinions, malheureusement relayées par la commission Thélot (voir aussi notes 1 et 2).
Les deux questions qu’il aurait fallu avant tout se poser sont celles de la nature même de l’école et de la notion de » réussite « . La mission fondamentale des professeurs n’est pas d’éduquer, mais d’instruire : le changement de dénomination du ministère de l’Instruction publique en ministère de l’Éducation nationale fut déjà un contresens. L’éducation est essentiellement l’affaire des familles, ensuite de l’entourage des enfants, dont font partie l’école ou le lycée bien entendu. Mais le rôle fondamental de l’école, du collège et du lycée reste la transmission des savoirs et de la culture, que cela plaise ou non aux idéologues.
C’est pourquoi nous ne répéterons jamais assez, contrairement à C. Thélot, que le métier d’enseignant doit rester concentré sur la transmission des savoirs, parce que cette transmission réussie est la condition fondamentale des progrès des élèves. Voilà pourquoi les principes de l’école sont différents de ceux de la société : l’école est le lieu où sont suspendus tous les pouvoirs, politique, économique, le pouvoir des associations, celui des collectivités territoriales, de la police, des entreprises et évidemment des médias. En ce sens, l’école doit être fermée et surtout pas ouverte. C’est en effet le sens étymologique du mot « école », qui signifie « oisiveté », non pas le lieu de la fainéantise, mais le lieu où les élèves (ou les étudiants pour l’université) sont justement dispensés des tâches et soucis de la vie extérieure et de ses pouvoirs pour se concentrer sur leurs études, et donc sur la contemplation et la réflexion qui vont avec.
C’est pourquoi les enseignants sont encore moins des « ressources » gérables et contrôlables que toute personne : d’ailleurs, la « gestion des personnes » quelles qu’elles soient est un concept vide, contrairement à ce qu’affirme C. Thélot. Et les élèves ne s’y trompent pas : ils reconnaissent tout de suite les opérations de poudre aux yeux, ils détectent intuitivement ceux qui leur vendent du vent et auxquels ils ne témoignent, à juste titre, aucune considération. C’est encore pourquoi l’idée de contrat : « École, État, élus territoriaux », héritée d’un » rousseauisme » mal assimilé n’a pas de sens, car l’État ne peut pas s’engager par contrat, encore moins avec ses propres institutions, et les élus locaux n’ont pas à interférer avec le fonctionnement interne de l’école, pas plus que les clergés ou les médias.
Ensuite, la » réussite » : évidemment, tout le monde souhaite que les élèves réussissent ! Mais qu’est-ce que cela signifie ? Que veulent dire une instruction, un enseignement réussis ? Risquons une réponse : cela signifie rendre les élèves ou les étudiants autonomes, responsables, aptes à penser seuls, s’il le faut contre tous. Naturellement, cela implique leur donner une solide formation générale, fondée sur l’enseignement de principes fondamentaux, plutôt que l’apprentissage de techniques éphémères, de façon à ne pas les laisser intellectuellement et moralement démunis face aux pouvoirs, par exemple s’ils doivent changer de profession.
Mais, précisément, n’est-ce pas cette réussite-là que ces mêmes pouvoirs veulent à tout prix éviter, afin de contrôler le réservoir de main-d’oeuvre, de faire consommer sans rechigner, d’éviter les votes désagréables pour le pouvoir politique, émis par des personnes qui essaient encore de réfléchir, en un mot, de « fabriquer du crétin » ? (voir 2). N’est-ce donc pas cette réussite-là que nos idéologues, au service de ces mêmes pouvoirs, veulent faire échouer ?
1. B. KUNTZ, A. PÉCHEUL. Les déshérités du savoir. Veut-on changer l’école ? Éd. Frison-Roche (1996).
2. J.-P. BRIGHELLI. La fabrique du crétin. La mort programmée de l’école. Éd. J.-C. Gawsewitch (2005).