Courrier des lecteurs : Remarques sur le dossier X‑Sursaut
La lecture du dossier de grande qualité publié dans La Jaune et la Rouge sous l’impulsion de H.Lévy-Lambert est des plus intéressantes. Ce dossier marque bien l’utilité d’une réflexion sur la préparation de notre avenir économique. À tout ce qu’il apporte déjà, on pourrait ajouter quelques points dont je pense qu’ils mériteraient un approfondissement.
L’efficacité du marché
Je ne doute pas de l’efficacité régulatrice du marché dans la plupart des cas. Elle est fort bien illustrée par l’article qui y est consacré. Mais il y a des cas où le marché, çà ne marche pas.
Ainsi la concurrence sur la production d’électricité conduit, mathématiquement peut-on dire, à de graves instabilités des prix, et en conséquence à une régulation par la pénurie. Il en résulte que la régulation des prix, et non la régulation par les prix, est dans ce cas une nécessité.
Mais à quel niveau réguler ? La réponse théorique est simple : aux coûts marginaux de développement, qui couvrent à la fois les coûts de production et les charges de capital. La mise en œuvre pratique de ce principe est plus délicate. C’est le grand mérite économique de Marcel Boiteux et de son équipe que d’y avoir réussi en ce qui concerne la production et la distribution d’électricité.
Ceci posé, par quelles voies réguler ? C’est là le vrai problème, et je n’y apporte qu’une réponse négative : sûrement pas par le « marché ». Mais cela ne dit pas comment réguler, et ne dit pas non plus s’il y a d’autres cas où la régulation par la concurrence ne fonctionne pas ou fonctionne mal.
Il me semble qu’il y a là un thème de réflexion qui ne serait pas indigne de X‑Sursaut.
La fiscalité
Ce thème est absent du dossier. Il est pourtant de grande importance, tant il est évident que ce qui pèse sur la production devient dangereux dans une économie mondialisée ou même simplement européanisée. Une réflexion d’ensemble s’impose sur l’évolution d’une fiscalité qui a été conçue dans le cadre d’une économie protégée. Elle est dans l’air du temps, mais ce n’est pas un domaine qui puisse être ignoré par X‑Sursaut, même s’il a de fort sensibles impacts politiques.
Les délocalisations
Ce qu’on appelle délocalisation a des conséquences à long terme qui me semblent mal appréciées par l’article qui y est consacré. Dire qu’une délocalisation est bénéfique quand elle permet de remplacer des emplois à faible valeur ajoutée par des emplois à plus forte valeur ajoutée est insuffisant.
D’abord parce que la notion même de valeur ajoutée a besoin d’être précisée. L’agriculteur, Français ou pas, qui me nourrit m’ajoute beaucoup plus de valeur qu’un roi de l’Internet. Évaluer la valeur ajoutée par une mesure utilisant la monnaie d’aujourd’hui, pourquoi pas, mais à condition de se rendre compte que les évaluations par la monnaie de demain, basées sur l’état des ressources de demain, ne seront peut-être pas les mêmes.
Une deuxième erreur est de croire qu’on peut délocaliser des emplois à faible valeur ajoutée (en monnaie d’aujourd’hui) en se réservant les emplois à forte valeur ajoutée, qu’on utilisera en échange des produits dits (aujourd’hui) à faible valeur ajoutée. C’est là faire preuve d’une arrogance face aux capacités intellectuelles et sociales du monde extérieur, en particulier asiatique, qui pourrait coûter très cher à nos enfants et petits-enfants.
Il faut enfin souligner un dernier point que les économistes sentent mal : la capacité d’innovation est étroitement liée à la maîtrise de la fabrication. Il en résulte que transférer une fabrication, c’est en fait transférer à terme une capacité d’innovation, en y renonçant pour soi.
Tout ceci ne signifie pas qu’il faille refuser systématiquement toute délocalisation, tout transfert. Mais il faut raisonner en termes d’avenir : que maîtriserons-nous au juste dans dix, vingt, trente ans, que d’autres accepteront en échange de la couverture de nos besoins, bien légèrement dits « à faible valeur ajoutée » ?
Voilà une réflexion qu’il me paraît indispensable de mener dans le cadre de X‑Sursaut.
L’enseignement
La capacité d’une population à se tenir à un niveau économiquement développé dépend en premier lieu de la qualité des hommes et des femmes qui la composent, de l’ouvrier spécialisé au polytechnicien, de l’aide-comptable à l’énarque. La base de cette qualité est acquise au cours de l’enfance, avant l’entrée en adolescence.
La main‑d’œuvre française est réputée de qualité. Cela veut dire qu’elle a bénéficié jusqu’à présent d’un enseignement, qu’on peut appeler primaire, de haute qualité, issu de ce qui a été réfléchi dans la deuxième moitié du XIXe siècle et mis en place par les fondateurs de la IIIe République.
Mais forme-t-on toujours nos enfants à la pratique de l’analyse et de la synthèse, aux bases du raisonnement quantitatif, au travail bien fait et autocontrôlé, qui nous ont été inculqués par les méthodes d’apprentissage de la lecture, de la grammaire, de la règle de trois, de l’orthographe, dont nous avons bénéficié ? À suivre certains débats actuels, j’en doute. Et pourtant cela conditionne bien plus que les lois sur l’embauche ou même le fonctionnement de l’université notre maintien au rang de pays développé.
X‑Sursaut ne devrait-il pas examiner cette question de formation initiale d’un homme économiquement efficace, condition première pour rester dans le monde de demain un homme libre ?
Jacques CLADÉ (52)