Courrier des lecteurs (six commentaires)
Gérard PILÉ (41)
“ Présence de Bernanos ”, p. 35
Le lecteur a sans doute rectifié de luimême “l’énorme coquille ” du titre (selon les propres termes des Éditions de l’Aulne qui s’en sont excusées).
Autres errata
- P. 43, col. gauche, dernier paragraphe : “Revenons à l’année 1938…” lire : “l’année 1933 ”.
- P. 44, Les Baléares, deuxième paragraphe : “Mettant en scène un écrivain… Simone Alfiéri ”. Ce corps de phrase doit être rejeté en fin de paragraphe (personnages, non pas de Un Crime, mais de Un mauvais rêve).
Parmi les lettres reçues, signalons celle de Servant (46) lequel “ selon l’usage de signaler les liens de parenté avec des camarades ” rappelle que Monseigneur Pézeril disparu en avril dernier (cf. p. 46) était le beau-frère de Pierre Legoux (27).
C. LEBRUN (48)
(Encore) sur les trente-cinq heures
Il est exceptionnel je crois, que trois camarades de la même promo interviennent dans des numéros successifs de La Jaune et la Rouge pour donner leur avis et marquer leurs différences concernant un sujet bien défini comme la loi sur les trente-cinq heures. Et, n’étant ni spécialiste en économie ni engagé politiquement ou socialement, j’ai envie de donner mon avis plus sur la façon dont le problème est traité que sur le fait de savoir qui a raison.
Je trouve d’abord que aussi bien Lesourne que Triboulet examinent la question avec des oeillères, et c’est humain, car on ne peut pas avoir une idée a priori sur un sujet et la défendre a posteriori sans être partial, ni considérer d’avance comme erronés les arguments de ceux qui pensent autrement.
Je ne veux pas reprendre comme Triboulet l’a fait les affirmations de Lesourne pour en relever les inexactitudes, ni montrer ce que la position de Triboulet peut avoir d’excessif (Lesourne le fera s’il en a envie); je voudrais simplement exposer quelques arguments qui me paraissent de simple bon sens (mais probablement ai-je aussi des oeillères !).
1• C’est un fait constant que depuis des générations la durée journalière ou hebdomadaire du travail ouvrier dans l’industrie diminue, et ce plus ou moins progressivement selon les époques ; la tendance est suivie dans la plupart des autres catégories de salariés, mais pas forcément chez les non-salariés, commerçants, artisans, professions libérales ou patrons de PME-PMI.
Je n’ai connu en France qu’une seule réduction brutale de durée, c’est celle de 1936 avec les 40 heures, et elle a donné des résultats contestés : selon la couleur politique de ceux qui ont étudié la question, le résultat a été positif ou négatif sur le nombre des chômeurs et pour l’économie du pays ; j’ai même entendu quelqu’un, qui passe pour un spécialiste, affirmer que si nous avons perdu la Campagne de France en 1940, c’est en partie au moins parce que l’armée de notre pays manquait d’armes et de munitions, suite à la réduction de production de nos arsenaux consécutive aux accords Matignon.
De toute façon, que la loi existe ou pas, il est certain que l’on arrivera un jour ou l’autre aux 35 heures hebdomadaires ; obliger les employeurs à s’y résoudre dans un délai qu’ils estiment trop court revient à violer une femme quand on veut avoir un enfant, alors que si on avait su s’y prendre, on aurait réussi à la convaincre sans employer la force.
2• Dans mon souvenir les 35 heures hebdomadaires faisaient partie du programme du candidat Mitterrand en 1981 ; et quand celui-ci a été élu, et a disposé d’une large majorité à l’Assemblée nationale, il s’est contenté d’une mesure partielle, le passage à 39 heures. Pourquoi s’est-il arrêté en chemin ? Peut-on nous dire quelle raison l’a conduit à se limiter dans ses ambitions ? On pourra répondre qu’il a établi la 5e semaine de congés payés ; d’accord, mais ce n’est pas tout à fait équivalent : cela ne représente que moins d’une heure hebdomadaire, et en général cette semaine supplémentaire peut être prise au moment de l’année où cela convient le mieux pour le programme de production de l’entreprise, alors qu’avec la rigidité du texte actuel de la loi Aubry, les 188 heures de travail supprimées dans l’année sont étalées régulièrement sur 47 semaines, quelle que soit la répartition de la charge de travail au long des mois.
3• Du temps du président Giscard d’Estaing, une étude avait été demandée à l’INSEE pour savoir si et comment une réduction de la durée du travail permettrait de lutter contre le chômage qui commençait à grandir en France ; les experts officiels avaient alors rendu leur oracle : on pouvait diminuer le chômage en réduisant la durée du travail à deux conditions :
- que la réduction de durée soit significative,
- que cela n’augmente pas le coût de production, qui comporte deux éléments : le coût salarial de l’unité produite et l’amortissement ; il fallait donc réduire les salaires individuels (puisque à production égale il y aurait plus de salariés) et ne pas réduire le temps d’utilisation des machines (étant supposé que celles-ci étaient déjà utilisées au maximum possible de leur capacité et de leur durée de vie).
Ce sont les mêmes experts (ou leurs clones) qui actuellement conseillent le gouvernement. Ils mettent en application la première partie de leurs conclusions d’il y a vingt ans, mais semblent en avoir oublié la seconde ! Pourquoi ?
4. Quant à l’argument de diminuer les gros bénéfices des grands trusts nationaux ou internationaux, pour en faire profiter les salariés, je veux bien reconnaître qu’il paraît valable et juste, à condition d’arriver à convaincre les dirigeants de ne pas délocaliser. Mais il ne faut pas oublier que le tissu industriel français est surtout composé de PME et de PMI qui, comme on dit vulgairement, tirent souvent le diable par la queue ; elles utilisent le peu de bénéfices qu’elles arrivent à tirer de leur activité pour renouveler leur équipement et ne pas perdre leur place dans l’ambiance de concurrence acharnée qui est leur lot quotidien. Et ces entreprises-là n’ont pas les moyens d’augmenter leurs prix de revient.
(…) Pour conclure, je dirai que si M. Jospin et le CNPF avaient voulu s’entendre sur la question avant de la mettre sur la place publique, un accord aurait sûrement déjà été trouvé, la loi correspondante votée sans problème et l’on saurait que les 35 heures seront une réalité en France d’ici x années, avec l’acceptation de tous. Le problème est de savoir qui n’a pas voulu de ces discussions préalables !
P. CHASSANDE (56)
Le XXIe siècle ou le XIXe ? Réponse à Jacques Bourdillon1
Jacques Bourdillon dénonce les excès et les dérives de l’écologisme, mais ne résiste pas lui-même à la tentation d’autres excès, ceux du scientisme et du positivisme ; et il néglige le fait qu’aujourd’hui notre planète est un espace fini, quasiment dépourvu de terres de conquête. Ce qui affaiblit considérablement les utiles rappels à la raison et à l’humanisme qu’il nous adresse.
Ainsi la plupart des propositions avancées sont à mes yeux justes ou intéressantes, mais partielles, voire partiales.
– Léguer aux générations futures, après l’avoir enrichi, le patrimoine technique économique et culturel hérité : oui, mais quid du patrimoine naturel et du stock des ressources naturelles non renouvelables ? Pour Prométhée, l’idée de protection de la nature devait être absurde, inconcevable. Aujourd’hui, en raison justement du succès prodigieux des entreprises prométhéennes, et de la “ multiplication ” humaine, la nature a besoin de protection pour survivre, au bénéfice des hommes.
– Offrir à 10 milliards d’humains une “ mobilité non réfrénée ” est une généreuse utopie, mais il faudrait s’interroger sur les conséquences sur les réserves de pétrole et sur l’effet de serre.
– L’étroite corrélation entre développement économique et investissement (notamment infrastructure de transports) n’est pas vraiment démontrée, les économistes sont généralement prudents sur ce thème, même si certains s’engagent nettement. Il semble plus exact de parler de disponibilité de services variés.
La future loi sur l’aménagement du territoire doit d’ailleurs remplacer les schémas d’infrastructure par des schémas de service, balayant au passage l’article 17 de la loi Pasqua (aucun point du territoire à plus de 50 km d’une gare TGV ou d’un échangeur autoroutier), véritable caricature d’une conception géométrique et mécaniste de l’aménagement du territoire.
– Le développement de la connaissance : oui bien sûr, mais toute la connaissance, y compris les sciences dites molles, y compris les approches systémiques, si peu mises en oeuvre encore.
– Ne pas se tromper d’ennemi ou de cible, dans le choix des priorités : ô combien ! Mais précisément, J. Bourdillon ne se trompe-t-il pas d’ennemi en visant “ certains mouvements écologistes ”. Au-delà des prises de position de quelques irresponsables, ce sont les réactions de l’opinion publique (française, et occidentale sans doute) qui sont en cause. Le mal est donc plus profond.
Pourquoi ceux qui savent, lorsqu’ils parlent, ne sont-ils pas entendus ? Ne serait-ce pas que les successeurs de Prométhée et les disciples d’Auguste Comte ont été longtemps trop sûrs d’eux-mêmes et de leur science du moment ? Et aussi un effet du déficit de culture scientifique des élites administratives, politiques, médiatiques ?
– Le principe de précaution, source de risques ? Je suis sur ce point entièrement d’accord : c’est une médecine puissante dont il faut respecter les indications d’emploi, telles notamment que les spécifie la loi du 2 février 1995 qui a introduit ce principe dans notre législation. Mais bien manié c’est un outil de décision qui peut éviter des erreurs stratégiques graves.
Ainsi, on peut soutenir, sans paradoxe, que le principe de précaution commandait de laisser en service le surgénérateur Superphénix comme instrument de recherche-développement, afin de “ prévenir un risque de dommages graves et irréversibles ” à l’horizon de quelques décennies, celui d’une pénurie d’énergie, dès lors que le risque nucléaire créé par cet appareil pouvait, lui, être considéré comme maîtrisé.
– L’enrichissement du patrimoine : oui mais attention ! Parler de la “ contribution considérable des autoroutes à la qualité de l’environnement ” relève de la provocation et du détournement dialectique : il serait correct de dire que les constructeurs d’autoroutes parviennent à limiter à leur minimum les atteintes à l’environnement.
– L’intégrisme écologiste est dangereux, mais on ne le contrera pas en prônant seulement “ un surcroît de science, de technique, de réseaux structurants et d’industrie ”, sans aussi un surcroît de conscience, de réflexions sur les finalités, et de responsabilité vis-à-vis des générations futures.
– Remettre l’homme au centre du débat : voilà bien l’enjeu en effet, mais pourquoi en appeler encore à “ la tradition judéo-chrétienne, Descartes et les Lumières ”, pourquoi ressasser un passé glorieux ? Les idées de développement durable, mises en avant depuis la conférence de Rio en 1992, ont précisément pour objectif de concilier le progrès social, le développement économique, la préservation de l’environnement, mais dans le contexte et avec les moyens et les modes de pensée du XXIe siècle, que nous avons à construire jour après jour, et non dans la nostalgie de ceux du XIXe.
1. La Jaune et la Rouge, mars 1998.
P. MALAVAL (52)
Environnement et fiscalité
Dans les années 60, alors que la politique de protection de l’environnement n’en était qu’à ses premiers balbutiements, plusieurs de nos camarades avaient préconisé d’essayer d’internaliser les coûts externes pour tendre à une meilleure utilisation des ressources naturelles dans l’intérêt de tous.
Ce principe, bien plus concret que tous ceux dont on se prévaut actuellement, n’a pas eu grand succès. Même les agences financières de bassin, qui constituaient pourtant un champ d’application idéal, ont été bâties sur une idée de financement de programmes d’intervention. Et nous avons vu proliférer la réglementation dont on constate l’efficacité toute relative.
La France n’est pas la seule victime de ce type de choix des modes d’intervention et même les pays les plus libéraux n’y ont pas échappé. L’application de certaines réglementations aux USA, sur les zones humides par exemple, est digne du Père Ubu. Mais l’administration y est moins omnipotente et les systèmes de choix plus démocratiques ; les mentalités ont évolué et on a commencé à tirer les conséquences de l’échec des pays totalitaires, pourtant à même de brimer les initiatives individuelles supposées nocives, pour éviter une dégradation de l’environnement.
J’avais été frappé, lors d’une conférence internationale organisée en 1996 par l’Université d’Aix-Marseille sur le thème “ Droits de propriété et environnement ”, par l’intérêt des expériences menées dans différents pays pour obtenir une amélioration de l’environnement sans qu’il soit nécessaire de mettre un gendarme, chimiste et biologiste de surcroît, derrière chacun1.
Aussi peut-on se réjouir de la publication par notre revue d’articles qui mettent enfin en évidence l’intérêt des instruments économiques, en particulier des taxes non affectées. Il n’est pas trop tard pour inciter les responsables à réfléchir sur les moyens d’obtenir à moindre coût les inflexions souhaitées.
Il faudrait certes analyser d’autres cas, la gestion des espaces naturels2 ou l’exploitation de la peur des toxiques par exemple, se poser la question des modalités des choix alternatifs des objectifs, actuellement fort technocratiques, et de l’usage de slogans comme base d’informations. Mais, en se limitant au choix des moyens, l’analyse des exemples présentés montre que la réglementation est en définitive plus coûteuse pour une efficacité plus contestable.
Cependant l’efficacité n’est pas tout et l’on peut réfléchir aux conséquences du choix des moyens sur le type de société que nous nous préparons.
Bien que cet aspect n’ait pas été développé lors des débats qui ont précédé cette publication, le principal avantage des méthodes préconisées est de ne pas casser à terme les ressorts du fonctionnement de notre société, essentiellement la liberté. Elle doit être encadrée certes, mais qu’en reste-t-il lorsque les autorités publiques se substituent dans le détail aux décisions individuelles, interdisent toute anticipation par des procédures d’autorisation, parfois sans que les critères soient préalablement définis, se substituent parfois aux gestionnaires légitimes ? L’examen de certaines réglementations adoptées pour protéger l’environnement est affolant. Au nom de l’intérêt de l’humanité ne risque-t- on pas d’obtenir une caste de scribes régnant sur une nursery ? ou une caserne ? ou un sovkhoze ?
Utiliser des instruments économiques à produit non affecté, comme le préconisent la plupart des articles, n’a pas seulement un intérêt économique. C’est un moyen de limiter un risque de dégradation de la dignité humaine, beaucoup plus grave que ceux que l’on cherche à réduire par des politiques d’interdiction de plus en plus tatillonnes.
Une politique de protection de l’environnement est indispensable. La réglementation y a sa place. Mais il ne faut pas laisser ceux qui veulent notre bien en faire une politique d’asservissement.
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1. Les Actes de ce colloque ont été publiés en décembre 1997 : “ Droits de propriété et environnement ”, Dalloz.
2. Voir mon article sur le cas de l’agriculture, à propos d’une réunion-débat d’X‑Environnement, dans le n° 526, juin-juillet 1997, de La Jaune et la Rouge.
F. du CASTEL (43)
Ayant appartenu à la promotion 1943 B, je ne partage pas le point de vue exprimé en page 99 de La Jaune et la Rouge de mai 1998.
Dans le compte rendu du livre de R. Colliac et P. Pabion, il est écrit que l’existence d’une “ commission d’épuration ” de la promo pour l’admission à l’École de Cherchell est “ généralement considérée comme arbitraire et intempestive ”.
Je trouve au contraire tout à fait légitime que, à la Libération, le gouvernement du général de Gaulle ait décidé de faire examiner par une commission composée de résistants de l’intérieur et de l’extérieur les positions adoptées par chacun des élèves présents à l’École pendant l’Occupation, pour décider de ceux qui méritaient une promotion d’officier pour poursuivre la guerre et seraient envoyés à l’École de Cherchell à cette fin.
Que les attentistes ne méritaient pas cette promotion paraît une évidence et leur envoi aux armées combattantes sans un grade d’officier ne me semble pas une sanction mais un honneur.
Je considère comme méritoire pour ma promotion que plus de la moitié des élèves aient été reconnus pour leur participation à la Résistance ou aux combats de la Libération.
J.-P. BARDE
Nous avons reçu de M. Jean-Philippe Barde les précisions ci-dessous au sujet de son article dans le n° 534, avril 1998, de La Jaune et la Rouge.
En ce qui concerne la taxe norvégienne sur le C02, le chiffre de 21 % concerne des réductions d’émission réalisées en une année par certaines installations. Il ne s’agit donc pas d’une réduction globale et continue. La rédaction n’est donc pas suffisamment précise.
La réforme fiscale suédoise a été une réforme d’ensemble et la redistribution de 6% du PIB n’est pas due exclusivement aux nouvelles écotaxes qui ont représenté alors environ 1 % du PIB, ce qui n’est pas négligeable. Les autres modifications de la fiscalité ont concerné essentiellement une restructuration de la fiscalité de l’énergie, l’élargissement de l’assiette de la TVA et une baisse des taux marginaux de l’impôt sur le revenu. En l’occurrence, la réforme fiscale continue et l’on discute notamment de savoir si les écotaxes devraient être compensées par une réduction de la fiscalité du travail (recherche du “ double dividende ”).