Les ingénieurs, plus que jamais au cœur des défis et des transitions d’aujourd’hui et de demain

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°797 Septembre 2024
Par Gérard PIGNAULT (X78)

Après une car­rière dans un grand groupe indus­triel fran­çais, Gérard Pignault (X78) a repris la direc­tion géné­rale de l’école d’ingénieurs CPE Lyon. Dans cet entre­tien, il nous en dit plus sur cette école au posi­tion­ne­ment unique et à forte valeur ajou­tée dans le pay­sage de l’enseignement supé­rieur fran­çais. Il revient éga­le­ment sur le rôle de l’ingénieur qui est aujourd’hui à la croi­sée des tran­si­tions majeures qui redes­sinent nos socié­tés, ain­si que sur le défi de l’attractivité et de la fémi­ni­sa­tion des car­rières et des filières scien­ti­fiques. Rencontre.

Quel a été votre parcours ?

Après l’École poly­tech­nique, j’ai fait un DEA de phy­sique théo­rique, puis un doc­to­rat en phy­sique nucléaire à l’Université d’Orsay. Après une année à l’Université de Caro­line du Sud aux États-Unis, j’ai rejoint le groupe Pechi­ney où j’ai occu­pé trois fonc­tions prin­ci­pales. J’ai com­men­cé ma car­rière dans ce groupe indus­triel fran­çais au poste d’ingénieur de recherche et de res­pon­sable d’une équipe dans le centre de recherche situé à Voreppe, près de Gre­noble. Sept ans plus tard, je suis deve­nu res­pon­sable de la fon­de­rie implan­tée sur le site de pro­duc­tion d’Issoire, au sud de Cler­mont-Fer­rand, avant de rejoindre l’équipe de direc­tion en charge de la stra­té­gie cor­po­rate à Paris où je suis res­tée trois années. Suite au rachat du groupe Pechi­ney par le cana­dien Alcan, j’ai rejoint le monde de l’enseignement en repre­nant la direc­tion géné­rale de l’école d’ingénieurs pri­vée CPE Lyon.

De mon expé­rience dans le monde indus­triel, je retiens plus par­ti­cu­liè­re­ment mes années dans le domaine de la pro­duc­tion, un uni­vers où il existe une diver­si­té sociale très enri­chis­sante et une cer­taine soli­da­ri­té entre les ouvriers, les agents de maî­trise, les res­pon­sables et la direc­tion de l’entreprise. C’est aus­si là où j’ai été confron­té à des pro­blé­ma­tiques d’ordre tech­niques, mana­gé­riales et éco­no­miques très com­plexes. Au-delà, les sites de pro­duc­tion de Pechi­ney avaient la par­ti­cu­la­ri­té d’être de véri­tables centres de pro­fit où on retrou­vait éga­le­ment les équipes com­mer­ciales. Ces sites n’étaient donc pas des centres de coût, mais plu­tôt des busi­ness units.

Du monde de l’industrie à celui de la formation des ingénieurs, comment s’est passée cette transition ?

Cette tran­si­tion a, en quelque sorte, été le fruit du hasard ! J’ai tout sim­ple­ment répon­du à une annonce ! J’avais une cer­taine connais­sance du monde uni­ver­si­taire de par mon cur­sus aca­dé­mique et, au sein de Pechi­ney, j’avais éga­le­ment eu des échanges régu­liers avec les uni­ver­si­tés. À l’époque, je n’étais, par ailleurs, pas le pre­mier direc­teur d’école à venir de l’industrie. CPE Lyon avait notam­ment été diri­gée par un X qui a for­te­ment contri­bué à son déve­lop­pe­ment, M. Yan­nick Bon­net (X52). Depuis, cette ten­dance s’est lar­ge­ment démo­cra­ti­sée. Et à un moment don­né, tous les direc­teurs d’écoles d’ingénieurs lyon­naises pro­ve­naient de l’industrie !

Pouvez-vous nous présenter l’école CPE Lyon que vous dirigez ?

CPE Lyon est un éta­blis­se­ment pri­vé et peut même être consi­dé­rée comme une PME qui opère dans un domaine très par­ti­cu­lier. Concrè­te­ment, c’est une école d’ingénieurs qui recrute au niveau Bac+2 et qui diplôme des élèves avec des titres d’ingénieurs à Bac+5.

En paral­lèle, CPE Lyon se dif­fé­ren­cie à plu­sieurs niveaux. Tout d’abord, l’école a un sta­tut pri­vé et c’est aus­si une asso­cia­tion à but non lucra­tif. Elle est aus­si labé­li­sée EESPIG (Éta­blis­se­ment d’Enseignement Supé­rieur Pri­vé d’Intérêt Géné­ral) par l’État fran­çais, un label de qua­li­té qui ren­voie au sta­tut non lucra­tif de l’école et à la pleine par­ti­ci­pa­tion au ser­vice public de l’enseignement supé­rieur. En effet, CPE Lyon ne rému­nère pas d’actionnaires ou ses admi­nis­tra­teurs. CPE Lyon a en outre la par­ti­cu­la­ri­té d’être asso­ciée par décret à Claude Ber­nard Lyon I, qui est la grande uni­ver­si­té publique scien­ti­fique et médi­cale de Lyon.

En termes d’offre de for­ma­tion, CPE Lyon a deux grands dépar­te­ments de for­ma­tion : chi­mie, pro­cé­dés et bio­tech­no­lo­gie, d’une part, et sciences et tech­no­lo­gies du numé­rique qui englobent l’électronique, l’informatique et l’intelligence arti­fi­cielle… d’autre part.

« CPE Lyon a deux grands départements de formation : chimie, procédés et biotechnologie, d’une part, et sciences et technologies du numérique qui englobent l’électronique, l’informatique et l’intelligence artificielle… d’autre part. »

L’école compte éga­le­ment 3 lau­réats du Prix Nobel dans son his­toire. Par­mi les alum­ni de l’école, on retrouve le pré­cé­dent pré­sident de l’Académie des sciences ain­si que de nom­breux diri­geants de belles et grandes entre­prises : Plas­tic Omnium, LDLC, SNF, Water Science.

CPE Lyon est une école hybride, à la fois pri­vée et publique, spé­cia­li­sée dans la chi­mie et le numé­rique et qui a aus­si forte impli­ca­tion dans le monde entre­pre­neu­rial. Cet ADN aty­pique se retrouve dans nos trois fon­da­teurs : l’Université Catho­lique de Lyon, la CCI de Lyon Métro­pole, et la Fon­da­tion Inno­va­tion et Tran­si­tions, qui est une fon­da­tion entre­pre­neu­riale. Cet assor­ti­ment de tutelles est unique dans le pay­sage national.

Enfin, chaque année, l’école intègre plus de 400 nou­veaux élèves-ingé­nieurs. CPE Lyon est ain­si une des plus impor­tantes écoles de chi­mie en France. C’est aus­si la 2e plus grande école de numé­rique dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

La France est enviée pour la qualité de la formation de ses ingénieurs. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur cette formation alors que nous sommes à la croisée de transitions majeures qui vont nécessiter les compétences et le talent des ingénieurs ?

Au cours des décen­nies et au fil des tran­si­tions et des muta­tions, nos écoles d’ingénieurs ont prou­vé qu’elles savent être agiles, pré­cises et rapides. His­to­ri­que­ment, il est inté­res­sant de noter que la plu­part des écoles d’ingénieurs en France ont été créées dans un contexte de révo­lu­tion indus­trielle, éco­no­mique ou de tran­si­tions telles que nous les vivons aujourd’hui.

Aujourd’hui, la qua­si-majo­ri­té des écoles se sont sai­sies de ces tran­si­tions. Le rôle des écoles d’ingénieurs a tou­jours été d’accompagner ces évo­lu­tions en s’adaptant et en se trans­for­mant rapi­de­ment afin de répondre aux besoins et enjeux du tis­su indus­triel et entre­pre­neu­rial. Elles ont la par­ti­cu­la­ri­té de pro­po­ser une offre de for­ma­tion scien­ti­fique et tech­nique très large qui est com­plé­tée par des ensei­gne­ments en sciences humaines, sociales, éco­no­miques, et même en matière de déve­lop­pe­ment per­son­nel… Cette plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té est aujourd’hui clé pour rele­ver les défis aux­quels nos socié­tés et nos éco­no­mies sont confrontées.

Au sein de votre école, comment intégrez-vous cet enjeu et la nécessité de former des ingénieurs en mesure d’accompagner ces transitions ?

Il s’agit tout d’abord de for­mer de bons ingé­nieurs qui vont maî­tri­ser un ensemble de savoir-faire scien­ti­fique, tech­nique et tech­no­lo­gique, mais qui vont conti­nuer à apprendre et à s’intéresser au monde qui les entoure tout au long de leur car­rière. En paral­lèle, notre mis­sion est aus­si de déve­lop­per leur savoir-être au tra­vers de stages en France et à l’étranger, d’exercices péda­go­giques et de mises en situa­tion, mais aus­si de les sen­si­bi­li­ser à des sujets émer­gents et des thé­ma­tiques nou­velles comme le chan­ge­ment cli­ma­tique, l’analyse de cycle de vie…

Au sein de l’école, nous nous atta­chons aus­si à mettre en œuvre ce que nous ensei­gnons à nos ingé­nieurs. Par exemple, via notre chaire dédiée au déve­lop­pe­ment durable, nous avons réa­li­sé un impor­tant tra­vail sur nos consom­ma­tions, nos appro­vi­sion­ne­ments, sur la sécu­ri­té… L’idée n’est, en effet, plus seule­ment d’enseigner par la pres­crip­tion, mais aus­si par l’exemple !

En parallèle se pose la question du manque d’attractivité des filières scientifiques et de la féminisation du secteur. Comment appréhendez-vous ces phénomènes ?

La désaf­fec­tion pour les car­rières scien­ti­fiques est un phé­no­mène mon­dial qui touche l’Europe, dont la France ou encore l’Allemagne, mais aus­si le Royaume-Uni et les États-Unis. Il s’explique notam­ment par le mou­ve­ment de dés­in­dus­tria­li­sa­tion de nos éco­no­mies au cours des der­nières années qui a entraî­né une demande moins impor­tante pour des pro­fils scien­ti­fiques, tech­niques et tech­no­lo­giques. Dans un contexte, où l’Europe et notam­ment la France cherchent à relo­ca­li­ser leurs indus­tries et à se réin­dus­tria­li­ser, mais aus­si à res­ter à la pointe de l’innovation, il y a un besoin accru pour des ingé­nieurs et des tech­ni­ciens. Alors que l’effet du baby-boom des années 2000 com­mence à s’estomper et qu’avec la réforme du bac­ca­lau­réat moins de jeunes optent pour les filières scien­ti­fiques, il y a actuel­le­ment une réelle pénu­rie sur le mar­ché du travail.

À cela s’ajoute la pro­blé­ma­tique de la fémi­ni­sa­tion des métiers scien­ti­fiques qui, là aus­si, est un enjeu mon­dial. Pour accé­lé­rer la fémi­ni­sa­tion du sec­teur, il nous faut, à mon sens, lut­ter contre les sté­réo­types, notam­ment de genre, bien en amont, dès la plus petite enfance et avant l’arrivée des jeunes filles dans l’enseignement supé­rieur. Cette typo­lo­gie de chan­ge­ment de culture prend du temps et néces­site un tra­vail de fond et de longue haleine. Au sein de CPE Lyon, nous avons de très belles réus­sites d’étudiantes que nous valo­ri­sons et met­tons en avant afin de don­ner de la visi­bi­li­té à ces rôles modèles et sus­ci­ter, in fine, des voca­tions notam­ment dans le cadre d’événements en par­te­na­riat avec des lycées ou des associations.

Sur ces sujets et enjeux majeurs, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?

Il est tou­jours déli­cat de don­ner des conseils ou des recom­man­da­tions. Néan­moins, j’aimerais invi­ter les lec­teurs de la revue, des ingé­nieurs, à tra­vailler dur pour être bons et pou­voir contri­buer à solu­tion­ner les prin­ci­paux pro­blèmes de nos socié­tés, mais aus­si à se concen­trer pour dis­tin­guer l’important de l’annexe. Je les invite aus­si à encou­ra­ger leurs enfants et leurs proches à consi­dé­rer des car­rières scien­ti­fiques et à sus­ci­ter ain­si des voca­tions autour d’eux. Enfin, il me semble éga­le­ment impor­tant de varier son par­cours en diver­si­fiant ses expé­riences en France, à l’étranger, dans des PME, des ETI ou encore des grands groupes.

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