Les ingénieurs, plus que jamais au cœur des défis et des transitions d’aujourd’hui et de demain
Après une carrière dans un grand groupe industriel français, Gérard Pignault (X78) a repris la direction générale de l’école d’ingénieurs CPE Lyon. Dans cet entretien, il nous en dit plus sur cette école au positionnement unique et à forte valeur ajoutée dans le paysage de l’enseignement supérieur français. Il revient également sur le rôle de l’ingénieur qui est aujourd’hui à la croisée des transitions majeures qui redessinent nos sociétés, ainsi que sur le défi de l’attractivité et de la féminisation des carrières et des filières scientifiques. Rencontre.
Quel a été votre parcours ?
Après l’École polytechnique, j’ai fait un DEA de physique théorique, puis un doctorat en physique nucléaire à l’Université d’Orsay. Après une année à l’Université de Caroline du Sud aux États-Unis, j’ai rejoint le groupe Pechiney où j’ai occupé trois fonctions principales. J’ai commencé ma carrière dans ce groupe industriel français au poste d’ingénieur de recherche et de responsable d’une équipe dans le centre de recherche situé à Voreppe, près de Grenoble. Sept ans plus tard, je suis devenu responsable de la fonderie implantée sur le site de production d’Issoire, au sud de Clermont-Ferrand, avant de rejoindre l’équipe de direction en charge de la stratégie corporate à Paris où je suis restée trois années. Suite au rachat du groupe Pechiney par le canadien Alcan, j’ai rejoint le monde de l’enseignement en reprenant la direction générale de l’école d’ingénieurs privée CPE Lyon.
De mon expérience dans le monde industriel, je retiens plus particulièrement mes années dans le domaine de la production, un univers où il existe une diversité sociale très enrichissante et une certaine solidarité entre les ouvriers, les agents de maîtrise, les responsables et la direction de l’entreprise. C’est aussi là où j’ai été confronté à des problématiques d’ordre techniques, managériales et économiques très complexes. Au-delà, les sites de production de Pechiney avaient la particularité d’être de véritables centres de profit où on retrouvait également les équipes commerciales. Ces sites n’étaient donc pas des centres de coût, mais plutôt des business units.
Du monde de l’industrie à celui de la formation des ingénieurs, comment s’est passée cette transition ?
Cette transition a, en quelque sorte, été le fruit du hasard ! J’ai tout simplement répondu à une annonce ! J’avais une certaine connaissance du monde universitaire de par mon cursus académique et, au sein de Pechiney, j’avais également eu des échanges réguliers avec les universités. À l’époque, je n’étais, par ailleurs, pas le premier directeur d’école à venir de l’industrie. CPE Lyon avait notamment été dirigée par un X qui a fortement contribué à son développement, M. Yannick Bonnet (X52). Depuis, cette tendance s’est largement démocratisée. Et à un moment donné, tous les directeurs d’écoles d’ingénieurs lyonnaises provenaient de l’industrie !
Pouvez-vous nous présenter l’école CPE Lyon que vous dirigez ?
CPE Lyon est un établissement privé et peut même être considérée comme une PME qui opère dans un domaine très particulier. Concrètement, c’est une école d’ingénieurs qui recrute au niveau Bac+2 et qui diplôme des élèves avec des titres d’ingénieurs à Bac+5.
En parallèle, CPE Lyon se différencie à plusieurs niveaux. Tout d’abord, l’école a un statut privé et c’est aussi une association à but non lucratif. Elle est aussi labélisée EESPIG (Établissement d’Enseignement Supérieur Privé d’Intérêt Général) par l’État français, un label de qualité qui renvoie au statut non lucratif de l’école et à la pleine participation au service public de l’enseignement supérieur. En effet, CPE Lyon ne rémunère pas d’actionnaires ou ses administrateurs. CPE Lyon a en outre la particularité d’être associée par décret à Claude Bernard Lyon I, qui est la grande université publique scientifique et médicale de Lyon.
En termes d’offre de formation, CPE Lyon a deux grands départements de formation : chimie, procédés et biotechnologie, d’une part, et sciences et technologies du numérique qui englobent l’électronique, l’informatique et l’intelligence artificielle… d’autre part.
« CPE Lyon a deux grands départements de formation : chimie, procédés et biotechnologie, d’une part, et sciences et technologies du numérique qui englobent l’électronique, l’informatique et l’intelligence artificielle… d’autre part. »
L’école compte également 3 lauréats du Prix Nobel dans son histoire. Parmi les alumni de l’école, on retrouve le précédent président de l’Académie des sciences ainsi que de nombreux dirigeants de belles et grandes entreprises : Plastic Omnium, LDLC, SNF, Water Science.
CPE Lyon est une école hybride, à la fois privée et publique, spécialisée dans la chimie et le numérique et qui a aussi forte implication dans le monde entrepreneurial. Cet ADN atypique se retrouve dans nos trois fondateurs : l’Université Catholique de Lyon, la CCI de Lyon Métropole, et la Fondation Innovation et Transitions, qui est une fondation entrepreneuriale. Cet assortiment de tutelles est unique dans le paysage national.
Enfin, chaque année, l’école intègre plus de 400 nouveaux élèves-ingénieurs. CPE Lyon est ainsi une des plus importantes écoles de chimie en France. C’est aussi la 2e plus grande école de numérique dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.
La France est enviée pour la qualité de la formation de ses ingénieurs. Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur cette formation alors que nous sommes à la croisée de transitions majeures qui vont nécessiter les compétences et le talent des ingénieurs ?
Au cours des décennies et au fil des transitions et des mutations, nos écoles d’ingénieurs ont prouvé qu’elles savent être agiles, précises et rapides. Historiquement, il est intéressant de noter que la plupart des écoles d’ingénieurs en France ont été créées dans un contexte de révolution industrielle, économique ou de transitions telles que nous les vivons aujourd’hui.
Aujourd’hui, la quasi-majorité des écoles se sont saisies de ces transitions. Le rôle des écoles d’ingénieurs a toujours été d’accompagner ces évolutions en s’adaptant et en se transformant rapidement afin de répondre aux besoins et enjeux du tissu industriel et entrepreneurial. Elles ont la particularité de proposer une offre de formation scientifique et technique très large qui est complétée par des enseignements en sciences humaines, sociales, économiques, et même en matière de développement personnel… Cette pluridisciplinarité est aujourd’hui clé pour relever les défis auxquels nos sociétés et nos économies sont confrontées.
Au sein de votre école, comment intégrez-vous cet enjeu et la nécessité de former des ingénieurs en mesure d’accompagner ces transitions ?
Il s’agit tout d’abord de former de bons ingénieurs qui vont maîtriser un ensemble de savoir-faire scientifique, technique et technologique, mais qui vont continuer à apprendre et à s’intéresser au monde qui les entoure tout au long de leur carrière. En parallèle, notre mission est aussi de développer leur savoir-être au travers de stages en France et à l’étranger, d’exercices pédagogiques et de mises en situation, mais aussi de les sensibiliser à des sujets émergents et des thématiques nouvelles comme le changement climatique, l’analyse de cycle de vie…
Au sein de l’école, nous nous attachons aussi à mettre en œuvre ce que nous enseignons à nos ingénieurs. Par exemple, via notre chaire dédiée au développement durable, nous avons réalisé un important travail sur nos consommations, nos approvisionnements, sur la sécurité… L’idée n’est, en effet, plus seulement d’enseigner par la prescription, mais aussi par l’exemple !
En parallèle se pose la question du manque d’attractivité des filières scientifiques et de la féminisation du secteur. Comment appréhendez-vous ces phénomènes ?
La désaffection pour les carrières scientifiques est un phénomène mondial qui touche l’Europe, dont la France ou encore l’Allemagne, mais aussi le Royaume-Uni et les États-Unis. Il s’explique notamment par le mouvement de désindustrialisation de nos économies au cours des dernières années qui a entraîné une demande moins importante pour des profils scientifiques, techniques et technologiques. Dans un contexte, où l’Europe et notamment la France cherchent à relocaliser leurs industries et à se réindustrialiser, mais aussi à rester à la pointe de l’innovation, il y a un besoin accru pour des ingénieurs et des techniciens. Alors que l’effet du baby-boom des années 2000 commence à s’estomper et qu’avec la réforme du baccalauréat moins de jeunes optent pour les filières scientifiques, il y a actuellement une réelle pénurie sur le marché du travail.
À cela s’ajoute la problématique de la féminisation des métiers scientifiques qui, là aussi, est un enjeu mondial. Pour accélérer la féminisation du secteur, il nous faut, à mon sens, lutter contre les stéréotypes, notamment de genre, bien en amont, dès la plus petite enfance et avant l’arrivée des jeunes filles dans l’enseignement supérieur. Cette typologie de changement de culture prend du temps et nécessite un travail de fond et de longue haleine. Au sein de CPE Lyon, nous avons de très belles réussites d’étudiantes que nous valorisons et mettons en avant afin de donner de la visibilité à ces rôles modèles et susciter, in fine, des vocations notamment dans le cadre d’événements en partenariat avec des lycées ou des associations.
Sur ces sujets et enjeux majeurs, quelles pistes de réflexion pourriez-vous partager avec nos lecteurs ?
Il est toujours délicat de donner des conseils ou des recommandations. Néanmoins, j’aimerais inviter les lecteurs de la revue, des ingénieurs, à travailler dur pour être bons et pouvoir contribuer à solutionner les principaux problèmes de nos sociétés, mais aussi à se concentrer pour distinguer l’important de l’annexe. Je les invite aussi à encourager leurs enfants et leurs proches à considérer des carrières scientifiques et à susciter ainsi des vocations autour d’eux. Enfin, il me semble également important de varier son parcours en diversifiant ses expériences en France, à l’étranger, dans des PME, des ETI ou encore des grands groupes.