Créateurs d’entreprises
- enrichissement des uns par l’exploitation du travail des autres
- abus du droit de propriété sur les moyens de production
- conditions de travail inhumaines et absolutisme de l’autorité.
Bien que les motifs de cette déconsidération aient très largement disparu, une certaine défiance subsiste, et le plus grand méfait de cette défiance a été de décourager les vocations de créateurs d’entreprises, certains futurs “ patrons ” hésitent même à acquérir ce titre ambigu.
Qu’on me permette à ce sujet une anecdote authentique. Après la lecture en 1970 de mon livre Les Hommes en gris, qui incitait les jeunes à la création d’entreprise ex nihilo, un jeune polytechnicien vint me demander conseil.
Devant ses qualités d’homme et la solidité de son projet, je le poussai à créer son entreprise, comme nous l’avions fait, mon frère et moi, quelques années plus tôt en 1952. Il se montra ardent et convaincu.
Quelques mois plus tard, je reçus de lui une longue lettre m’expliquant à nouveau tout son projet et se terminant par cette phrase navrante : Mais que diraient mes copains si je devenais patron ? Voilà comment la France, à l’inverse des États-Unis, s’est privée de talents, de réussites industrielles et sûrement d’emplois.
Cet article fait de larges emprunts à la préface de l’ouvrage Au cœur de l’entreprise, Éditions Village mondial
Nous sommes plusieurs à nous être battus pour que la création d’entreprise soit enfin honorable, pour que le créateur soit respecté et encouragé, pour que le droit à l’erreur soit reconnu et pour que l’échec ne soit jamais définitif.
Les créateurs qui se sont trompés au début sur le créneau produit/marché, qu’ils croyaient porteur et qui ne l’était pas, doivent pouvoir rectifier le tir et même tenter une autre expérience. Ces faux départs sont fréquents et enrichissants pour les âmes fortes qui trempent leur détermination dans les épreuves.
Car le métier de créateur doit être réservé aux caractères solides. Il est imprudent de pousser sans discernement des diplômés vers la création qui exige autre chose que des diplômes, mais de véritables qualités d’émission.
Pour parler en électroniciens, nous distinguons en effet les qualités de réception et les qualités d’émission.
Les premières (compréhension, faculté d’analyse et de synthèse, mémoire) permettent d’acquérir les diplômes les plus prestigieux.
Les secondes sont toutes les autres qualités : imagination créatrices (si rare), goût du risque, goût des responsabilités, aptitude au commandement et à l’animation des hommes, charisme, combativité, ténacité, résistance à l’épreuve, et même le simple bon sens qui permet, quel que soit le niveau hiérarchique, de prendre 80 % des décisions quotidiennes.
Ce sont ces qualités d’émission qui font les créateurs d’entreprise et, comme en électronique, il faut une puissance infiniment plus grande pour émettre que pour recevoir. Malheureusement, ces qualités d’émission ne s’acquièrent pas dans les livres ou les facultés. Elles ne s’enseignent pas. Elles peuvent, au plus, être incitées par l’exemple de ceux qui ont réussi. En réalité, nous sommes tous des autodidactes de la création. C’est pourquoi nous devons, nous les anciens, citer les success stories de nos compatriotes, faire rêver les jeunes et les pousser, s’ils ont ces qualités d’émission, à tenter eux aussi leur chance. L’émulation collective de la Silicon Valley en est la meilleure démonstration.
Nous pouvons leur conseiller de ne pas attendre une expérience, considérée quelquefois comme nécessaire, pour créer leur entreprise, car ils risquent d’attendre trop longtemps et descendre de ce fait les marches irréversibles de l’escalier du risque.
En effet, nous sommes dotés à la naissance d’un potentiel de goût du risque qui ne fait que s’effriter dans le temps avec les diplômes eux-mêmes (poussant discrètement vers l’Administration ou les grands groupes), avec une situation prestigieuse et bien assurée, avec une famille nombreuse (à qui on ne souhaite pas faire courir trop de risques) et enfin, dernières marches de cet escalier obligatoirement descendant, avec les rhumatismes et le cholestérol. Que les jeunes plongent donc du palier du haut et ils ne le regretteront pas.
Mais ils se posent et nous posent des questions. Les deux premières sont le « créneau porteur » et le financement.
Et le créneau porteur ?
Eh bien ! que les jeunes ne le recherchent pas dans un glossaire ou une banque de données. C’est le secret stratégique de l’entrepreneur lui-même, et les sages ne doivent surtout pas intervenir dans ce choix.
C’est cette appréhension qui m’a toujours fait refuser de présider les jurys de création d’entreprise, osant donner une note aux créneaux choisis, alors que celui qui réussira le plus brillamment sera sans doute le plus farfelu et le moins compris de l’aréopage.
Que le candidat créateur, conscient de ses qualités d’émission, cherche, cherche encore, cherche toujours son créneau lui-même. Il le trouvera, mais on ne trouve des champignons que si l’on va dans les bois avec un panier et beaucoup de patience, et non pas lorsque l’on reste dans sa voiture sur l’autoroute qui traverse la forêt.
Et les finances ?
Le mythe de la création réservée aux riches est tenace. Curieuse perversion puisque les meilleures réussites viennent de créations sans argent, à partir de zéro, souvent par des créateurs eux-mêmes totalement démunis. La pauvreté est un atout considérable pour ceux qui savent l’utiliser.
Répondant à des étudiants qui me demandaient une recette de création d’entreprise, j’avais tenté naguère la mixture suivante :
- 2% de finance,
- 8% de compétence,
- 45% de vaillance,
- 45% d’inconscience ;
mais sans garantir que le plat soit immédiatement consommable. Je souhaitais simplement démontrer le rôle mineur de l’apport initial de capitaux qu’on avait pris si longtemps pour la pierre philosophale de la création.
Où se situe donc le frein ?
Puisqu’il est ainsi prouvé que ni les bonnes idées ni les moyens financiers ne constituent le goulet d’étranglement de la création d’entreprise, c’est sur la motivation de nos jeunes gens, et particulièrement de nos jeunes diplômés, qu’il faut agir. L’expérience de « Jeunesse et Entreprises » montre que c’est possible : l’appétit d’imitation et d’indépendance s’y manifeste chaque jour.
Que mon lecteur aille y voir, il y sera bien reçu.