Créateurs d’entreprises

Dossier : La France a besoin d'entrepreneursMagazine N°549 Novembre 1999
Par Yvon GATTAZ
L’entreprise a fait long­temps l’objet d’un triple soupçon :
  • enri­chis­se­ment des uns par l’exploitation du tra­vail des autres
  • abus du droit de pro­prié­té sur les moyens de production
  • condi­tions de tra­vail inhu­maines et abso­lu­tisme de l’autorité.

Bien que les motifs de cette décon­si­dé­ra­tion aient très lar­ge­ment dis­pa­ru, une cer­taine défiance sub­siste, et le plus grand méfait de cette défiance a été de décou­ra­ger les voca­tions de créa­teurs d’entreprises, cer­tains futurs “ patrons ” hésitent même à acqué­rir ce titre ambigu.
Qu’on me per­mette à ce sujet une anec­dote authen­tique. Après la lec­ture en 1970 de mon livre Les Hommes en gris, qui inci­tait les jeunes à la créa­tion d’entreprise ex nihi­lo, un jeune poly­tech­ni­cien vint me deman­der conseil.
Devant ses qua­li­tés d’homme et la soli­di­té de son pro­jet, je le pous­sai à créer son entre­prise, comme nous l’avions fait, mon frère et moi, quelques années plus tôt en 1952. Il se mon­tra ardent et convaincu.
Quelques mois plus tard, je reçus de lui une longue lettre m’expliquant à nou­veau tout son pro­jet et se ter­mi­nant par cette phrase navrante : Mais que diraient mes copains si je deve­nais patron ? Voi­là com­ment la France, à l’inverse des États-Unis, s’est pri­vée de talents, de réus­sites indus­trielles et sûre­ment d’emplois.

Cet article fait de larges emprunts à la pré­face de l’ouvrage Au cœur de l’entreprise, Édi­tions Vil­lage mondial

Nous sommes plu­sieurs à nous être bat­tus pour que la créa­tion d’en­tre­prise soit enfin hono­rable, pour que le créa­teur soit res­pec­té et encou­ra­gé, pour que le droit à l’er­reur soit recon­nu et pour que l’é­chec ne soit jamais définitif.

Les créa­teurs qui se sont trom­pés au début sur le cré­neau produit/marché, qu’ils croyaient por­teur et qui ne l’é­tait pas, doivent pou­voir rec­ti­fier le tir et même ten­ter une autre expé­rience. Ces faux départs sont fré­quents et enri­chis­sants pour les âmes fortes qui trempent leur déter­mi­na­tion dans les épreuves.

Car le métier de créa­teur doit être réser­vé aux carac­tères solides. Il est impru­dent de pous­ser sans dis­cer­ne­ment des diplô­més vers la créa­tion qui exige autre chose que des diplômes, mais de véri­tables qua­li­tés d’émis­sion.

Pour par­ler en élec­tro­ni­ciens, nous dis­tin­guons en effet les qua­li­tés de récep­tion et les qua­li­tés d’émission.

Les pre­mières (com­pré­hen­sion, facul­té d’a­na­lyse et de syn­thèse, mémoire) per­mettent d’ac­qué­rir les diplômes les plus prestigieux.

Les secondes sont toutes les autres qua­li­tés : ima­gi­na­tion créa­trices (si rare), goût du risque, goût des res­pon­sa­bi­li­tés, apti­tude au com­man­de­ment et à l’a­ni­ma­tion des hommes, cha­risme, com­ba­ti­vi­té, téna­ci­té, résis­tance à l’é­preuve, et même le simple bon sens qui per­met, quel que soit le niveau hié­rar­chique, de prendre 80 % des déci­sions quotidiennes.

Ce sont ces qua­li­tés d’é­mis­sion qui font les créa­teurs d’en­tre­prise et, comme en élec­tro­nique, il faut une puis­sance infi­ni­ment plus grande pour émettre que pour rece­voir. Mal­heu­reu­se­ment, ces qua­li­tés d’é­mis­sion ne s’ac­quièrent pas dans les livres ou les facul­tés. Elles ne s’en­seignent pas. Elles peuvent, au plus, être inci­tées par l’exemple de ceux qui ont réus­si. En réa­li­té, nous sommes tous des auto­di­dactes de la créa­tion. C’est pour­quoi nous devons, nous les anciens, citer les suc­cess sto­ries de nos com­pa­triotes, faire rêver les jeunes et les pous­ser, s’ils ont ces qua­li­tés d’é­mis­sion, à ten­ter eux aus­si leur chance. L’é­mu­la­tion col­lec­tive de la Sili­con Val­ley en est la meilleure démonstration.

Nous pou­vons leur conseiller de ne pas attendre une expé­rience, consi­dé­rée quel­que­fois comme néces­saire, pour créer leur entre­prise, car ils risquent d’at­tendre trop long­temps et des­cendre de ce fait les marches irré­ver­sibles de l’es­ca­lier du risque.

En effet, nous sommes dotés à la nais­sance d’un poten­tiel de goût du risque qui ne fait que s’ef­fri­ter dans le temps avec les diplômes eux-mêmes (pous­sant dis­crè­te­ment vers l’Ad­mi­nis­tra­tion ou les grands groupes), avec une situa­tion pres­ti­gieuse et bien assu­rée, avec une famille nom­breuse (à qui on ne sou­haite pas faire cou­rir trop de risques) et enfin, der­nières marches de cet esca­lier obli­ga­toi­re­ment des­cen­dant, avec les rhu­ma­tismes et le cho­les­té­rol. Que les jeunes plongent donc du palier du haut et ils ne le regret­te­ront pas.

Mais ils se posent et nous posent des ques­tions. Les deux pre­mières sont le « cré­neau por­teur » et le financement.

Et le créneau porteur ?

Eh bien ! que les jeunes ne le recherchent pas dans un glos­saire ou une banque de don­nées. C’est le secret stra­té­gique de l’en­tre­pre­neur lui-même, et les sages ne doivent sur­tout pas inter­ve­nir dans ce choix.

C’est cette appré­hen­sion qui m’a tou­jours fait refu­ser de pré­si­der les jurys de créa­tion d’en­tre­prise, osant don­ner une note aux cré­neaux choi­sis, alors que celui qui réus­si­ra le plus brillam­ment sera sans doute le plus far­fe­lu et le moins com­pris de l’aréopage.

Que le can­di­dat créa­teur, conscient de ses qua­li­tés d’é­mis­sion, cherche, cherche encore, cherche tou­jours son cré­neau lui-même. Il le trou­ve­ra, mais on ne trouve des cham­pi­gnons que si l’on va dans les bois avec un panier et beau­coup de patience, et non pas lorsque l’on reste dans sa voi­ture sur l’au­to­route qui tra­verse la forêt.

Et les finances ?

Le mythe de la créa­tion réser­vée aux riches est tenace. Curieuse per­ver­sion puisque les meilleures réus­sites viennent de créa­tions sans argent, à par­tir de zéro, sou­vent par des créa­teurs eux-mêmes tota­le­ment dému­nis. La pau­vre­té est un atout consi­dé­rable pour ceux qui savent l’utiliser.

Répon­dant à des étu­diants qui me deman­daient une recette de créa­tion d’en­tre­prise, j’a­vais ten­té naguère la mix­ture suivante :

  • 2% de finance,
  • 8% de compétence,
  • 45% de vaillance,
  • 45% d’in­cons­cience ;

mais sans garan­tir que le plat soit immé­dia­te­ment consom­mable. Je sou­hai­tais sim­ple­ment démon­trer le rôle mineur de l’ap­port ini­tial de capi­taux qu’on avait pris si long­temps pour la pierre phi­lo­so­phale de la création.

Où se situe donc le frein ?

Puis­qu’il est ain­si prou­vé que ni les bonnes idées ni les moyens finan­ciers ne consti­tuent le gou­let d’é­tran­gle­ment de la créa­tion d’en­tre­prise, c’est sur la moti­va­tion de nos jeunes gens, et par­ti­cu­liè­re­ment de nos jeunes diplô­més, qu’il faut agir. L’ex­pé­rience de « Jeu­nesse et Entre­prises » montre que c’est pos­sible : l’ap­pé­tit d’i­mi­ta­tion et d’in­dé­pen­dance s’y mani­feste chaque jour.

Que mon lec­teur aille y voir, il y sera bien reçu.

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L’ASSOCIATION JEUNESSE ET ENTREPRISES

Créée en 1986 et tou­jours pré­si­dée par Yvon Gat­taz, cette asso­cia­tion s’est don­né pour mis­sion de :

  • déve­lop­per les coopé­ra­tions écoles-entreprises,
  • inci­ter les entre­prises à for­mer davan­tage de jeunes,
  • pro­mou­voir les métiers porteurs,
  • publier le baro­mètre de l’emploi des jeunes,
  • ins­tau­rer le par­rai­nage de jeunes ayant des projets,
  • ani­mer un impor­tant réseau d’entreprises.

Pour orien­ter ces actions elle réa­lise en per­ma­nence des enquêtes et son­dages avec le concours actif de cen­taines d’en­tre­prises qui sou­haitent trans­mettre le goût de l’initiative.

Elle publie une revue tri­mes­trielle Les nou­velles de Jeu­nesse et Entre­prises.

4, rue Léo Delibes, 75116 Paris.
Tél. : 01.47.55.08.40

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