Salle de travail chez SINGA

Créer des liens avec les réfugiés

Dossier : ExpressionsMagazine N°723 Mars 2017
Par Jacques DENANTES (49)
Par Dominique MOYEN (57)

Depuis 2012, l’association SINGA pro­pose aux béné­fi­ciaires du sta­tut de réfu­giés en France une aide pour leur inté­gra­tion sociale et pro­fes­sion­nelle. De nom­breux béné­voles apportent leur sou­tien, l’ob­jec­tif n’é­tant pas de réa­li­ser une pres­ta­tion huma­ni­taire, mais que cha­cun puisse faire ce qu’il sait et aime faire. La vente de ser­vices doit par­ve­nir à terme à assu­rer une grande par­tie des ressources. 

Natha­naël Molle m’avait don­né ren­dez-vous 50, rue de Mon­treuil, dans le XIe arron­dis­se­ment, « au fond de la cour à droite ». S’agissant d’une asso­cia­tion, je m’attendais à des locaux exi­gus au fond d’une impasse. La cour était accueillante et bien éclai­rée sur deux niveaux par les fenêtres de l’association. On entrait dans une grande pièce amé­na­gée en salle de café avec un bar der­rière lequel s’affairaient deux personnes. 

« Être curieux de cet Autre qui vient d’ailleurs et qui souhaite lui-même être reconnu pour ce qu’il avait conscience d’être »

L’un était Natha­naël Molle et l’autre un réfu­gié membre de l’association. Comme je m’étonnais de la dimen­sion et de la qua­li­té des locaux, Natha­naël Molle m’a pro­po­sé une visite : dans le pro­lon­ge­ment de l’entrée, un autre espace plus éten­du accueillait des gens qui, seuls ou en binômes, tra­vaillaient sur des ordinateurs. 

Un esca­lier menait à l’étage dans un espace où d’autres par­laient et tra­vaillaient ensemble autour de petites tables. Une autre pièce accueillait un groupe en for­ma­tion et, dans une plus petite, tra­vaillaient les deux per­sonnes qui tenaient les comptes de l’association.

UNE COMMUNAUTÉ DE 20 000 PERSONNES

SINGA est une association de loi 1901 fondée en 2012 à Paris par Guillaume Capelle et Nathana‘l Molle. Elle se voit comme une entreprise sociale qui crée un cadre d’accueil dans lequel les réfugiés accueillis en France vont pouvoir s’intégrer et développer un réseau social et professionnel.
Elle conseille également entreprises et collectivités locales dans l’accueil des réfugiés et l’organisation d’événements. Elle rassemble aujourd’hui 20 000 personnes, bénévoles et réfugiés, à Paris, Lille, Lyon et Montpellier.
SINGA signfie prêter en bambara (Mali) et lien en lingala (Congo et RDC).

UN CLIMAT BIENVEILLANT

Pour Natha­naël Molle, SINGA se veut une com­mu­nau­té dont l’objectif « est de créer un cadre d’accueil dans lequel ces réfu­giés, arri­vant de par­tout, vont pou­voir s’intégrer, déve­lop­per un réseau social et pro­fes­sion­nel, iden­ti­fier des oppor­tu­ni­tés et aus­si par­ler fran­çais, le tout dans un cli­mat bienveillant ». 

SINGA n’accueille les réfu­giés qu’une fois leur situa­tion admi­nis­tra­tive régu­la­ri­sée. L’association leur offre un espace de ren­contre entre eux et avec des bénévoles. 

Ceux-ci, de leur côté, s’engagent, cha­cun en fonc­tion de ses dési­rs et de ses pos­si­bi­li­tés : ce peut être l’hébergement d’un réfu­gié, un tuto­rage pour l’apprentissage du fran­çais et/ou pour une ini­tia­tion aux codes sociaux, la mobi­li­sa­tion de réseaux sociaux ou pro­fes­sion­nels pour accom­pa­gner une recherche d’emploi, une aide à ceux qui vou­draient se mettre à leur compte, l’apport d’une « vision Web » ou sim­ple­ment un par­tage d’activités : loi­sirs, cui­sine, sport, musique, pein­ture, etc. 

Aux béné­voles qui s’engagent à SINGA, il n’est pas deman­dé d’entrer dans une rela­tion d’assistance avec les réfu­giés, mais de vivre avec eux dans une com­mu­nau­té, les ren­con­trer pour conce­voir et réa­li­ser des pro­jets ou tout sim­ple­ment pour faire des choses ensemble. 

Et tout ce qu’ils font avec des béné­voles, les réfu­giés peuvent aus­si le faire entre eux. 

L’ENGAGEMENT DES BÉNÉVOLES

Un grand nombre de béné­voles s’engagent à SINGA, autant que de réfu­giés, cha­cun devant trou­ver l’interlocuteur, le bud­dy avec lequel for­mer un binôme pour faire des choses ensemble. Plu­tôt qu’une pres­ta­tion huma­ni­taire, ils s’engagent à faire, avec les réfu­giés, ce qu’ils savent et aiment faire. 


Il s’agit de recon­naître les réfu­giés comme des indi­vi­dus ayant une his­toire à racon­ter et des com­pé­tences à faire valoir.

Il leur faut être curieux de cet Autre qui vient d’ailleurs et qui sou­haite lui-même être recon­nu pour ce qu’il avait conscience d’être. Pour avoir une com­mu­nau­té, il faut un lieu de ren­contre accueillant, comme celui de la rue de Montreuil. 

Durant ma visite, une dame est entrée qui deman­dait à s’engager : ensei­gnante retrai­tée, elle avait enten­du par­ler de SINGA par sa belle-sœur qui, elle-même, avait lu une inter­view de Natha­naël Molle dans le jour­nal La Croix. Aus­si­tôt prise en charge par un membre de la com­mu­nau­té, béné­vole ou réfu­gié, peu importe, elle a été ini­tiée à la communauté. 

LE SITE INTERNET DE SINGA

Le site Inter­net, très docu­men­té, pré­sente le pro­jet et les acti­vi­tés de SINGA et il rend compte de son fonc­tion­ne­ment asso­cia­tif : sta­tuts, com­po­si­tion du CA, compte ren­du d’assemblées géné­rales, etc. Le site appelle et informe les béné­voles et les dona­teurs, et il pro­pose les ser­vices de SINGA aux entre­prises et aux col­lec­ti­vi­tés locales confron­tées aux réfu­giés et/ou à la recherche d’une exper­tise pour des actions de solidarité. 

En cours d’étude, une pla­te­forme numé­rique conçue avec l’aide de réfu­giés déjà ins­tal­lés doit per­mettre à chaque nou­vel arri­vant de trou­ver, dans sa langue, les infor­ma­tions dont il aura besoin en arri­vant pour s’orienter, pour connaître les modes de vie du pays d’accueil et pour trou­ver les inter­lo­cu­teurs qui faci­li­te­ront son inser­tion sociale. 

Logo SINGA

L’HISTOIRE DE SINGA ET SES PERSPECTIVES DE DÉVELOPPEMENT

Guillaume Capelle et Natha­naël Molle ont créé SINGA en 2012. Ils s’étaient connus lorsqu’ils pré­pa­raient ensemble à Paris un mas­ter en droit inter­na­tio­nal. Ayant beau­coup voya­gé l’un et l’autre, ils avaient ren­con­tré le pro­blème des réfu­giés en Syrie, au Maroc et en Australie. 

« Pour Nathanaël Molle, SINGA est plus une entreprise sociale qu’une association »

Voyant le pro­blème se poser en France et dans l’Union euro­péenne, ils ont ima­gi­né SINGA pour les accueillir et les insé­rer socia­le­ment, une fois obte­nue la régu­la­ri­sa­tion de leur séjour. La com­mu­nau­té SINGA a connu une crois­sance très rapide : elle ras­semble actuel­le­ment 20 000 per­sonnes, réfu­giés et béné­voles. Sur le modèle de la com­mu­nau­té pari­sienne, de nou­velles com­mu­nau­tés ont été lan­cées à Lyon, à Lille et à Montpellier. 

Avec l’afflux des réfu­giés, Natha­naël Molle pré­voit la pour­suite de la crois­sance, celle des com­mu­nau­tés et leur mul­ti­pli­ca­tion en France, en Bel­gique, en Alle­magne, etc. 

LES DÉPENSES ET LES RESSOURCES

Les prin­ci­pales dépenses résultent de l’emploi de 14 sala­riés et de la loca­tion des locaux dont nous avons vu l’importance. Du côté des res­sources, elles pro­viennent actuel­le­ment pour 30 % de sub­ven­tions sur fonds publics, pour 40 % de dota­tions de fon­da­tions ou d’entreprises et pour 30 % de pro­duits de la vente de services. 

Bureau pour réunion chez SINGA
Béné­voles et réfu­giés éla­borent ensemble des pro­jets : pré­pa­rer des repas, orga­ni­ser une for­ma­tion, une expo­si­tion, un concert, un évé­ne­ment…, créer une entreprise.

Mais pour Natha­naël Molle, SINGA est plus une entre­prise sociale qu’une asso­cia­tion. Conscient des aléas sur la dis­po­ni­bi­li­té des fonds publics, il s’est fixé pour objec­tif de por­ter à 80 % la part des pro­duits de la vente de services. 

Quels ser­vices ? SINGA fait valoir sa capa­ci­té d’organiser les contacts avec les réfu­giés en mobi­li­sant les béné­voles et les réfu­giés eux-mêmes. Il s’agit de conseiller les entre­prises ou les col­lec­ti­vi­tés locales confron­tées aux pro­blèmes des réfu­giés, d’apporter un concours à celles qui sou­haitent orga­ni­ser des actions de soli­da­ri­té, d’organiser des évé­ne­ments, etc. 

C’est ain­si que SINGA est inter­ve­nue dans une biblio­thèque de la Ville de Paris pour mettre en place une pro­cé­dure d’accueil du grand nombre de migrants qui enva­his­saient les locaux. Dans un autre domaine, SINGA a pro­po­sé ses ser­vices aux muni­ci­pa­li­tés qui décident d’héberger des réfugiés. 

L’association tra­vaille aus­si avec la BNP pour la mise en contact et l’accompagnement de réfu­giés por­teurs de pro­jets, etc. 

UN AUTRE REGARD SUR LES RÉFUGIÉS ET UNE AUTRE CONCEPTION DU BÉNÉVOLAT

« Dans les repré­sen­ta­tions col­lec­tives, le réfu­gié est deve­nu un élé­ment indis­tinct, non iden­ti­fié, au sein d’une horde en mou­ve­ment poten­tiel­le­ment mena­çante, en marche vers chez nous. Ce sont ces images de crise, de guerre et de misère qui, relayées par les médias et les acteurs poli­tiques, forgent cet ima­gi­naire col­lec­tif très néga­tif. Il s’agit donc d’un pro­blème de per­cep­tion au sein des socié­tés d’accueil. »

« Alors que nous redoutons une invasion de crève-la- faim, SINGA les voit comme une richesse en ressources humaines »

Ces réfu­giés exer­çaient une pro­fes­sion dans leur pays et ils avaient une posi­tion sociale. Il s’agit de les recon­naître comme des indi­vi­dus ayant une his­toire à racon­ter et des com­pé­tences à faire valoir. SINGA les accueille dans « une com­mu­nau­té de pro­fes­sion­nels, d’entrepreneurs, d’artistes, de spor­tifs, de dan­seurs, de chan­teurs, d’étudiants, bref une com­mu­nau­té d’êtres humains sou­hai­tant mieux se connaître et mieux se comprendre ». 

Les béné­voles qui s’engagent dans cette com­mu­nau­té le font parce que cela leur per­met de ren­con­trer des gens nou­veaux et de faire avec eux ce qu’ils savent et aiment faire. 

Cela com­mence par l’apprentissage du fran­çais afin de pou­voir par­ler avec eux et éla­bo­rer ensemble des pro­jets. Quel type de pro­jets ? Pré­pa­rer des repas, orga­ni­ser une for­ma­tion, une expo­si­tion, un concert, un évé­ne­ment…, créer une entreprise. 

AVEC DOMINIQUE MOYEN, UNE SECONDE VISITE À SINGA :
RENCONTRE AVEC GUILLAUME CAPELLE

« Accueillir les réfu­giés ren­force la socié­té » pro­clame la page d’accueil du site Inter­net de SINGA. Alors que nous redou­tons une inva­sion de crève-la-faim, SINGA les voit comme une richesse en res­sources humaines, richesse qu’il faut faire valoir en mobi­li­sant des béné­voles pour aller à leur ren­contre, pour les connaître, les accueillir et réa­li­ser ensemble des actions. 

N’était-ce là qu’un dis­cours uto­pique ? Avec Domi­nique Moyen, nous sommes retour­nés rue de Mon­treuil pour voir les lieux et ren­con­trer à nou­veau les acteurs de SINGA. Natha­naël Molle était en voyage, nous a‑t-on dit. 

Qu’importe ! Nous avons par­cou­ru les locaux où, comme la pre­mière fois, s’affairaient par­tout de petits groupes, le plus sou­vent réunis autour d’un ordinateur. 

Dans un groupe, j’ai recon­nu Guillaume Capelle, l’autre fon­da­teur de SINGA que j’avais vu sur le site Inter­net. Nous l’avons ques­tion­né : qui étaient ces gens ? qu’étaient-ils en train de faire ici ? et fina­le­ment qu’était SINGA ? Il nous a répon­du en par­lant de la ren­contre : celle des réfu­giés avec les béné­voles de SINGA, mais aus­si la ren­contre entre les reli­gions, entre les géné­ra­tions, etc. 

NOS SOURCES

Les citations proviennent du compte rendu d’une conférence donnée le 1er juin 2016 par Nathanaël Molle à l’École de Paris du management dans le cadre de son séminaire « Économie et Sens ».
Le compte rendu dont nous nous sommes largement inspirés pour l’ensemble de l’article a été rédigé par Pascal Lefebvre.

SINGA par­tage ses locaux avec des asso­cia­tions qui ont, elles aus­si, pour objet ces ren­contres. Sous l’égide de la Ville de Paris, l’espace de la rue de Mon­treuil allait être offi­ciel­le­ment bap­ti­sé Kiwan­da et en fran­çais, La fabrique des interpreneurs. 

Chaque jour pas­saient rue de Mon­treuil une cin­quan­taine de per­sonnes d’appartenances et de voca­tions dif­fé­rentes, réfu­giés, retrai­tés, musul­mans, juifs, chré­tiens, musi­ciens, peintres, et ce n’était qu’un début ! 

Que dire d’autre, sinon pro­po­ser aux lec­teurs d’aller voir ce lieu, de le visi­ter, de poser des ques­tions, de s’en faire leur propre idée et peut-être à leur tour d’entrer dans la démarche de la rencontre ?

Commentaire

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Wer­ner Engelmannrépondre
12 octobre 2017 à 10 h 22 min

Bra­vo !
Magni­fique initiative.
Nous sommes en train de créer avec qqs. béné­voles une asso­cia­tion dans ce sens dans la région de Langres.
Maté­riel sur notre pro­jet actuel, (en fran­çais et en alle­mand) sur : . (A la dis­po­si­tion pour tous les béné­voles. Actua­li­sa­tion et des­crip­tion des expé­riences pour encou­ra­ger des pro­jets de théâtre en préparation.)
Der­nière repré­sen­ta­tion de notre pièce d’a­près Saint-Exu­pé­ry : 24 novembre, 20h au théâtre à Langres.
Ce serait bien de nous contacter.
Bonne chance pour vous !
Wer­ner Engelmann

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