Créer des systèmes de preuve décentralisés
L’utilisation de la blockchain permet de savoir si le document que l’on utilise est bien l’original et n’a pas été modifié. Des applications grand public existent, par exemple pour des photos certifiées et horodatées en un clic sur la blockchain Bitcoin. L’objectif ultime et créer du contenu et de l’échanger sans dépendre d’opérateurs centralisés dont le vrai métier est d’exploiter la valeur de ces données.
Peux-tu décrire l’activité de KeeeX ?
KeeeX propose une technologie révolutionnaire de preuve d’intégrité, de signatures numériques, d’horodatages autoportés par les documents.
Nous déclinons ce savoir-faire dans des applications qui permettent de rendre les documents (diplôme, bulletin de paye, facture, photographie…) et les processus métier (logistique, contrats…) probants (intégrité des données, multisignatures, preuves de date).
Nous exploitons deux brevets internationaux dont je suis l’inventeur. Les fichiers et documents deviennent inaltérables, authentifiés, sans que ce soit perceptible à l’utilisation. Cela marche pour plus de 250 formats différents.
Qu’est-ce que la blockchain ?
C’est un registre de transactions inviolable, publiquement auditable, ordonné, daté, répliqué en pair à pair sur de nombreux sites.
“ Les fichiers et documents deviennent inaltérables, authentifiés, sans que ce soit perceptible à l’utilisation ”
L’inviolabilité n’est aujourd’hui véritablement garantie que par la blockchain du réseau Bitcoin, dont les enregistrements sont gravés pour l’éternité par des calculs pharaoniques.
Nos solutions utilisent cette blockchain en y inscrivant des preuves d’existence de données en marge de transactions monétaires élémentaires.
Comment es-tu arrivé à t’y intéresser ?
J’ai collaboré à un groupe de travail du W3C sur le Web sémantique (https:// www.w3.org/2002/ws/sawsdl/) dont je suis revenu avec l’intuition qu’il manquait un procédé permettant de garantir à deux interlocuteurs (programmes ou humains) qu’ils étaient en présence de la même donnée, et de pouvoir dérouler l’écheveau des liens existant entre les données, le tout sans être sujet à des attaques dites d’homme du milieu.
L’idée de KeeeX a donc germé à partir de 2006 dans un contexte très actif techniquement autour des hashes cryptographiques, utilisés par exemple dans le protocole BitTorrent, dans le système de gestion de versions de fichiers Git, dans le système de backup aujourd’hui abandonné Wuala, et bien sûr en 2009 par Bitcoin.
KeeeX utilise les mêmes algorithmes de preuve d’intégrité et de signature que Bitcoin, pour en quelque sorte créer une blockchain des données.
Quels sont les bénéfices pour le grand public ?
Les solutions KeeeX permettent de savoir avec certitude que ce qu’on lit est non modifié, d’en certifier l’auteur par des signatures numériques sous contrôle total, et de collaborer en absolue sécurité, selon un modèle pair à pair.
Grâce à l’application PhotoProof, on peut établir un état des lieux probant simplement en prenant des photographies certifiées et horodatées.
Elles permettent à chacun de garantir la paternité de ses œuvres (copyright de création par exemple), de dater ses preuves (photographie d’une voiture de location ou d’un sinistre par exemple), de certifier l’origine des documents que l’on reçoit ou que l’on émet. KeeeX rend leurs données aux utilisateurs.
Par ailleurs, comme les fichiers autoportent leur intégrité, et que cette preuve d’intégrité est convertie en une identité et un nom de version unique toujours prononçable et accessible aux moteurs de recherche, les documents sont nommés, datés automatiquement, et sont trouvés instantanément, même sur Internet.
Cela fonctionne sans altération visible des fichiers pour de très nombreux formats.
Nous avons deux applications utilisables par le grand public : ChatOps est un tchat orienté document robotisable comparable à WhatsApp/Slack/Skype… mais sans fuite de données (celles-ci sont chiffrées de bout en bout, restent chez les participants et peuvent être échangées chiffrées sur un cloud librement choisi, comme Dropbox par exemple, ou un cloud familial OwnCloud).
Et Photo Proof est une application mobile qui prend des photos certifiées et horodatées en un clic sur la blockchain Bitcoin. Elle est, par exemple, utilisable librement pour faire le tour de sa voiture de location avant de commencer à rouler et recueillir des preuves incontestables de son état.
Et quels sont les avantages pour les entreprises ?
Les solutions de KeeeX permettent de compléter tous les processus métier existants par de la confiance et de la preuve. En décourageant la triche, cela libère des gisements de productivité considérables (erreurs dans les processus de réalisation de contrats par exemple). En apportant des preuves, cela fluidifie considérablement les activités, et permet d’envisager sereinement une dématérialisation totale (par exemple approbation N + 1 / N + 2, avec signatures numériques certifiées).
Nos applications sont utilisables entre humains (KeeeX ChatOps), et en back office (KeeeX Core). ChatOps est entièrement robotisable et extensible par des connecteurs aux applications métiers existantes, et KeeeX Core est une commande Linux prête à être intégrée dans toute solution interne.
Ici encore, l’éthique KeeeX est de laisser la totalité des données à leurs auteurs. La totalité du dossier de preuve d’une interaction (données certifiées et signées, multisignatures et recueils de consentement certifiés et horodatés, certificats de dates) est disponible pour ses participants.
Nos solutions ne demandent jamais de transférer de données sur un cloud.
Continues-tu à enseigner ?
Je n’enseigne plus. Je suis à temps complet en délégation de l’Université au titre de l’article 25.1 de la loi sur l’innovation et la recherche (Claude Allègre), mais payé par l’Université.
Quel regard portes-tu sur l’informatique de nos jours ?
C’est un monde d’immenses dangers. Des instances gouvernementales et industrielles irresponsables ont permis d’intégrer dans les logiciels des failles de sécurité donnant accès à de très nombreuses données et machines.
Ces failles sont découvertes et exploitées par les hackers, qui disposent d’une incroyable boîte à outils pour créer des attaques, alors même que nos plus grands sites industriels (notamment militaires et nucléaires) sont pilotés par du logiciel.
Dans un autre registre, l’IA porte le risque de l’extinction de l’humanité.
Quels sont les prochains grands chantiers ?
Il est donc nécessaire de repenser la sécurité des systèmes sans aucun compromis, malgré les volontés politiques de contrôle.
“ Il est nécessaire de repenser la sécurité des systèmes sans aucun compromis ”
KeeeX part du bas en sécurisant toutes les données. Nous avons la volonté de contribuer à la sécurité du Web par l’authentification facile des programmes et de leurs auteurs.
Par ailleurs, et c’est indépendant du projet Keeex, le monde est hypnotisé par l’intelligence artificielle sans en percevoir les dangers. Ils sont immenses. J’ai une carrière de chercheur en IA et je pense qu’il est nécessaire de toute urgence de s’entendre sur un moratoire mondial, comme il en existe pour les biotechnologies et le nucléaire.
Conseillerais-tu aux jeunes promos de se lancer dans ce secteur ?
Absolument, il faut que des jeunes diplômés, ayant le recul et l’éthique nécessaires pour ne pas succomber à toutes les sirènes, embrassent des vraies carrières d’ingénieur en informatique. Les défis du monde moderne y sont absolument concentrés.
Et après KeeeX, quel sera ton prochain défi ?
Je l’ignore encore. Après une longue vie de chercheur où j’ai si souvent eu des idées compliquées que d’autres avaient déjà eues, j’en ai eu une simple aux applications gigantesques à laquelle personne n’avait jamais pensé. C’est assez rare pour que les possibilités que cela se reproduise soient très réduites…
Le premier défi est de faire de KeeeX l’outil qui va redonner à la France et à l’Europe le contrôle de sa propriété industrielle, de ses contenus, stopper la concurrence déloyale née de l’exploitation massive et du croisement des données fournies à nos outils cloud, et gagner les points de productivité nés d’une collaboration éthique et pacifiée dans tous les registres de l’activité industrielle.
Le second défi est que KeeeX permette à l’humanité de créer du contenu, de l’échanger, de le discuter, de bloguer et commenter sans dépendre d’opérateurs centralisés dont le vrai métier est d’exploiter la valeur de ces données. KeeeX le permet.
Il permet aussi à un jeune surdoué d’un pays pauvre d’obtenir la preuve de sa création. Il permet à tous de se protéger des brevets scélérats. À les relire, ces ambitions me semblent déjà démesurées…