Créer un cadre d’indemnisation pour les accidents corporels
REPÈRES
REPÈRES
C’est en matière d’accidents routiers que le dispositif d’indemnisation est le plus exemplaire : les victimes autres que les conducteurs bénéficient, depuis la loi du 5 juillet 1985 dite » loi Badinter « , d’une réparation rapide et complète, dont l’effectivité est garantie par deux mécanismes : l’assurance automobile obligatoire – la réparation pesant sur l’assureur du véhicule impliqué dans l’accident – et le Fonds de garantie automobile (à présent le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages) intervenant lorsque l’automobiliste impliqué est non assuré ou inconnu.
Une situation contrastée
La prise en charge des accidents corporels est marquée par une très grande hétérogénéité
La France a été l’un des pays précurseurs pour la prise en charge des frais de soins et d’hospitalisation. Si le dispositif d’assurance sociale national mis en place en 1945 semble actuellement dans une phase de désengagement, il reste, pour autant, l’un des plus complets au monde. En revanche, la prise en charge des conséquences durables des accidents corporels est marquée par une très grande hétérogénéité. L’accès au droit à réparation, son étendue et les modalités de la réparation dépendent en effet de la nature de l’accident en cause.
Pour les accidents du travail, les accidents de la circulation, les attentats ou infractions, les accidents et aléas médicaux, les victimes sont indemnisées grâce à des dispositifs assurantiels privés ou publics ou à des fonds. En revanche les victimes d’autres types d’accidents ne sont indemnisées qu’après identification d’un éventuel responsable et, le plus souvent, décision d’un tribunal consacrant leurs droits à indemnisation.
Contrats individuels
Accidents de la vie
L’Association française de l’assurance (AFA) estime à fin 2009 que 39,8 millions de personnes sont couvertes par des contrats individuels à fin 2009, soit 60 % de la population. La qualité de ces couvertures s’est très sensiblement accrue depuis une quinzaine d’années avec la proposition de nouveaux contrats barémisés par les mutuelles d’assurances et le lancement de la « Garantie des accidents de la vie « .
Par ailleurs les assureurs proposent depuis une soixantaine d’années des contrats individuels ou familiaux couvrant les dommages corporels indépendamment des questions de responsabilité. Ces couvertures ne permettent cependant pas une indemnisation intégrale de l’ensemble de la population en cas d’accident corporel.
Un grand nombre d’accidentés, faute de responsable identifié et de couverture contractuelle suffisante, sont pris en charge dans leur vie quotidienne au titre de l’aide sociale par les collectivités locales sous la coordination des maisons départementales pour le handicap mises en place par la loi du 11 février 2005.
Les coûts de prise en charge de ces victimes sont alors » dilués » entre différents budgets publics et dégagés au fil des ans.
Des progrès possibles
Un dispositif généreux
Le dispositif de la loi Badinter, très protecteur, n’exclue une victime d’accident de la circulation de l’indemnisation qu’en cas de « faute inexcusable » de la victime. Cette notion a été précisée de manière extrêmement restrictive par la jurisprudence qui aboutit quasiment à n’exclure que les victimes ayant volontairement provoqué l’accident. Ce dispositif très généreux pour les victimes s’est avéré efficace, fiable et supportable économiquement par les assurés et leurs assureurs de responsabilité grâce aux progrès de la sécurité routière et à la mutualisation du risque.
Le premier axe de progrès passe par l’augmentation du champ d’une bonne indemnisation pécuniaire se basant sur la responsabilité civile. L’idée est d’étendre ce système très protecteur prévu par la loi Badinter. Elle est bien entendu séduisante, c’est une orientation forte du rapport rédigé en 2005 sous la direction de M. Pierre Catala.
Un tel dispositif ne peut cependant s’appliquer que lorsque la solvabilité des responsables est garantie par une assurance de responsabilité obligatoire et un fonds de garantie.
Cette assurance obligatoire doit être applicable et contrôlable sur l’ensemble du territoire et pour l’ensemble des acteurs même non-résidents : la loi Badinter est ainsi applicable en France pour l’ensemble des accidents impliquant un véhicule terrestre à moteur car elle profite du système international de la » carte verte » et d’une assurance obligatoire au niveau européen.
Transports terrestres
Impossibilité pratique
Une extension de la loi Badinter à d’autres types d’accidents impliquant, par exemple, un bateau à moteur s’avérerait impossible sans un dispositif équivalent à la » carte verte « , sauf à contrôler tout bateau à moteur entrant dans les eaux territoriales françaises.
Ainsi l’extension de la loi Badinter aux tramways et chemins de fer serait logique et favoriserait une égalité de traitement entre les usagers des voies publiques, l’idée a d’ailleurs été reprise par Monsieur le député Lefrand dans la proposition de loi actuellement en discussion au Parlement.
Si cette proposition de loi était adoptée, l’indemnisation plus systématique des victimes provoquerait corrélativement un renchérissement de la charge de responsabilité civile corporelle pour ces transporteurs même si d’ores et déjà la jurisprudence a considérablement alourdi leur responsabilité à l’égard de leurs passagers victimes.
Ce surcoût serait naturellement finalement payé par l’ensemble des usagers.
Aller plus loin ?
Un grand nombre d’accidentés sont pris en charge par les collectivités locales
Peut-on imaginer de construire d’autres dispositifs de type Badinter pour des accidents autres que ceux liés aux transports ? La notion » d’implication » du véhicule dans l’accident qui, dans la loi Badinter déclenche l’obligation d’indemnisation à l’égard de la victime et qui, appréciée très largement par les tribunaux, étend de fait la responsabilité du conducteur ou du gardien du véhicule, est difficilement envisageable pour des biens autres que des moyens de transport.
Patchwork
L’extension à d’autres domaines des principes de la loi Badinter ne ferait qu’augmenter le patchwork actuel de couvertures liées à divers objets. Mais celui-ci comporterait toujours d’innombrables trous. Ce n’est vraisemblablement pas la bonne voie de progrès au-delà des accidents de transport.
Imaginons, par exemple, un tel dispositif concernant les biens immobiliers : l’indemnisation des victimes d’incendie prenant naissance dans le bien serait alors facilitée, accélérée, systématisée.
Mais le recours à la notion extensive » d’implication » permettrait de prendre en charge toutes sortes d’accidents même ceux dont l’origine serait étrangère au fait de la chose (par exemple, la personne qui en courant dans le couloir d’un immeuble tombe sur le sol parfaitement entretenu et exempt de vice). La prise en charge de ces accidents par le propriétaire ou le gardien du bien immobilier qui ne pourraient se dégager de leur responsabilité qu’en apportant la preuve quasi impossible d’une » faute inexcusable » serait alors injustifiée et constituerait de fait une atteinte à leur patrimoine.
Généraliser les garanties
Doit-on organiser la couverture des 40 % de foyers non encore assurés par un contrat accidents corporels ? Une telle généralisation n’a de sens que si elle repositionne clairement la prise en charge des conséquences durables des accidents de la vie courante sur ces garanties. La branche santé de l’assurance-maladie ferait alors l’économie des frais de soins consécutifs à un accident de la vie courante. Les collectivités territoriales feraient l’économie de la prise en charge des handicaps consécutifs aux accidents de la vie courante.
Couverture accident universelle
Une « Couverture accident universelle » construite et financée sur le modèle de la Couverture maladie universelle pourrait permettre de couvrir les quelque quatre millions de bénéficiaires de la CMU. La difficulté principale d’une telle démarche est qu’elle rendrait visible dans le budget de tous les ménages des coûts aujourd’hui dilués entre de multiples organismes et services publics.
Accompagner les victimes
Le défaut principal des systèmes d’indemnisation des victimes en France est de ne pas encourager l’amélioration de l’état de la victime. D’un point de vue purement financier, la victime ou sa famille a aujourd’hui intérêt à faire constater le pire état physique et psychique pour obtenir la plus forte indemnisation.
Les systèmes d’indemnisation n’encouragent pas l’amélioration de l’état de la victime
À l’étranger et particulièrement dans les pays anglo-saxons, on prend en revanche souvent en compte les efforts de la victime pour gagner en autonomie et reconstruire sa vie. Pourtant, à mon avis, l’intérêt des victimes, en termes de qualité de vie, est de reconquérir autant que possible une indépendance suffisante leur permettant d’accomplir elles-mêmes des tâches matérielles, intellectuelles voire de retravailler plutôt que de demeurer à plein-temps dans la dépendance de tierces personnes.
Motivations
Dans les institutions de rééducation, les efforts de réadaptation sont aujourd’hui souvent plus importants et donnent de bien meilleurs résultats lorsque la victime ne bénéficie pas du soutien financier d’un responsable solvable ou d’un assureur capable de payer une assistance humaine importante.
Évolutions juridiques
Le rapport Catala a identifié les faiblesses du système français d’indemnisation et appelle à une évolution de notre dispositif juridique pour encourager le « dynamisme » des victimes. La proposition de loi Béteille reprend ces principes, mais uniquement pour les dommages matériels sans encore « oser » les avancer pour les dommages à la personne.
Sans rentrer dans les détails d’ordre médico-légal ou juridique, le montant de l’indemnisation à verser à la victime est aujourd’hui apprécié et déterminé à un seul moment, celui de la » consolidation « , c’est-à-dire lorsque l’état médical de la victime est considéré comme stable et non susceptible d’évolution.
En revanche après « consolidation » de l’état de la victime et fixation du niveau de l’indemnisation encore exclusivement pécuniaire, en capital ou en rente, la proposition de l’assureur du responsable de réparer autrement, par la mise à disposition de services destinés à améliorer la situation de la victime, à la réinsérer socialement et si possible professionnellement, bref à l’aider à l’élaboration de son projet de vie et faciliter sa mise en oeuvre, est encore considérée comme une ingérence, alors même que ce type de prestations en nature a été conforté par la loi sur le handicap du 11 février 2005.
Égalité de traitement et sécurité juridique
Reconstruction
L’assureur du responsable qui, aujourd’hui, aide la victime dès après l’accident, le fait en dehors de tout cadre réglementaire. Plusieurs compagnies d’assurances françaises et en particulier les grandes mutuelles d’assurances telles que la MACIF prennent cependant l’initiative d’accompagner les victimes dans leur démarche de « reconstruction » en s’appuyant sur des associations et des réseaux d’établissements de réadaptation. Cette pratique extrêmement bénéfique aux victimes est enfin tolérée depuis quelques années.
Pour les victimes d’accidents de la circulation, on constate sur une longue période une autorégulation de la charge économique globale. L’effort accompli dans le domaine de la sécurité routière (division par 5 du nombre de décès en quarante ans) a permis une amélioration conséquente de l’indemnisation des victimes pour un coût global constant en termes d’effort pour les ménages.
Mais cette évolution est irrégulière dans le temps et varie selon les tribunaux. Les différences de niveau d’indemnisation entre les juridictions créent un important problème d’équité entre victimes, certains préjudices personnels étant indemnisés deux fois plus généreusement dans certaines régions. L’évolution erratique dans le temps crée de plus une incertitude forte pour les assureurs et surtout pour les réassureurs directement concernés par les victimes les plus gravement atteintes.
Cette incertitude a un coût finalement payé par l’ensemble des assurés.
Référentiels d’indemnisation
Primes majorées
L’indemnisation d’une victime lourdement blessée se faisant au rythme des évolutions de son état médical et éventuellement des décisions de justice s’étale couramment sur cinq à sept ans. La difficile prédictibilité des conditions d’indemnisation amène les réassureurs à appliquer une prime de risque très importante sur la couverture des accidents corporels. Paradoxalement, en matière d’accidents graves de la circulation, ce n’est pas à l’échelle macroéconomique l’événement lui-même qui est incertain mais sa prise en compte par les tribunaux. L’incertitude principale pour les assureurs et réassureurs est juridique.
Le rapport Catala de 2005 comme le Livre blanc de l’AFA sur l’indemnisation des dommages corporels appellent à l’instauration de référentiels d’indemnisation qui permettraient, sans figer définitivement les postes de préjudice, d’instaurer une meilleure équité comme une meilleure prédictibilité des indemnisations.
Un article de la proposition de loi Lefrand, dans sa version initialement proposée, prévoyait d’instaurer un tel référentiel, il a été rejeté en première lecture par l’Assemblée nationale, apparemment suite à l’intervention d’associations de victimes craignant de figer le droit à indemnisation ou peut-être d’avocats spécialisés pour qui la non-égalité de traitement entre victimes est une condition fort logique de valorisation de leur intervention.
Une nécessaire gouvernance
Le coût des accidents de circulation est suivi et analysé par la Délégation à la sécurité et à la circulation routières et par les assureurs. Il fait l’objet de nombreuses études françaises et internationales, en particulier de nombreuses études comparatives des systèmes d’indemnisation. Ces nombreux travaux ne servent cependant que peu à éclairer les décisions d’enrichissement de l’indemnisation qui pour la plupart ne sont, de fait, pas prises par le législateur mais par les tribunaux par le moyen de créations de nouveaux préjudices ou de décisions plus généreuses en valeur.
Absence de vision
20 à 30 milliards d’euros
L’indemnisation des victimes d’accidents corporels coûte à la société environ 5 milliards d’euros par an pour les accidents de circulation, 7 milliards d’euros par an pour les accidents du travail et une somme inconnue pour les accidents de la vie courante (4 fois plus nombreux que les accidents de la circulation). Au total un ordre de grandeur de 20 à 30 milliards d’euros par an est vraisemblable.
Sur l’ensemble du champ des dommages corporels, aucune institution ne suit économiquement la bonne prise en charge des coûts, ni n’analyse l’opportunité d’une évolution des indemnisations. L’amélioration de l’indemnisation des victimes d’accidents corporels nécessite la définition d’une véritable stratégie économique et juridique.
La stratégie juridique existe : la dynamique lancée par Robert Badinter en 1985 a créé une véritable école juridique française de l’indemnisation des victimes. Le Rapport Catala de 2005 (ouvrage collectif) propose clairement des voies d’amélioration.
Il n’existe en revanche pas de démarche économique globale sur le sujet.
Chaque acteur économique ne considère que les coûts qu’il a directement en charge.
Il n’est pas certain que l’alignement de l’ensemble des indemnisations des accidents de travail sur l’indemnisation de droit commun constituerait un surcoût global, mais les études réalisées par la Sécurité sociale ne s’intéressent qu’aux coûts directs du régime des accidents du travail.
Opportunisme
Faute de vision économique globale, il existe encore moins de tactique de déploiement des améliorations proposées par les juristes. Ceux-ci, seuls spécialistes en pointe sur le sujet et pour beaucoup d’entre eux véritablement motivés par l’intérêt des victimes, voire par l’intérêt général, ne peuvent que saisir les opportunités d’amélioration lorsqu’elles se présentent. Ces opportunités sont d’abord jurisprudentielles, un nouveau poste de préjudice est inventé par un tribunal ou une notion comme la faute inexcusable de l’employeur ou la faute du médecin est étendue. Si ces » innovations » ne sont pas remises en cause, elles s’installent rapidement.
Certains préjudices sont indemnisés deux fois plus généreusement dans certaines régions
Si elles provoquent un désordre économique, alors les pouvoirs publics interviennent dans l’urgence, soit en rétablissant par la loi la situation antérieure, soit en inventant une nouvelle source d’indemnisation, en général par la création d’un fonds parapublic supplémentaire ou par l’élargissement du champ d’intervention d’un fonds existant. Les opportunités sont également législatives : des parlementaires ont régulièrement la volonté d’améliorer l’indemnisation des victimes d’accidents corporels, mais faute de stratégie publique globale, ils sont condamnés à agir par microévolutions successives.
Livre blanc
Fausses économies
La branche accidents du travail de la Sécurité sociale considère les interventions d’assureurs de responsabilité civile des entreprises dans le cadre de « fautes inexcusables de l’employeur » comme une économie, alors même que la charge, plus importante, revient finalement aux mêmes entreprises cotisantes.
L’indemnisation des victimes implique de nombreux ministères : Justice, Affaires sociales, Santé, Économie, Transports, Intérieur. Certains de ces ministères sont de plus autorité de tutelle d’intervenants tels que la Sécurité sociale, les assureurs ou les collectivités locales mis en positions antagonistes plus que complémentaires.
Il est nécessaire d’engager un débat global avec l’ensemble des acteurs concernés
Jusqu’à aujourd’hui, personne n’a repris d’un point de vue économique les propositions du Rapport Catala afin de faire des propositions opérationnelles pour uniformiser les niveaux d’indemnisation des victimes d’accidents, quelle que soit la cause de l’accident ; définir les modes de couverture les plus efficaces, individuels ou collectifs ; et, enfin, préciser les responsabilités des différents acteurs publics et privés.
Les assureurs ont fait des propositions fortes d’évolutions pratiques et juridiques dans le Livre blanc de l’Association française de l’assurance sur l’indemnisation du dommage corporel (avril 2008). Ces propositions n’ont pour le moment provoqué que des réactions d’adhésion ou de rejet partielles de la part des autres acteurs, mais le débat global nécessaire n’a pas encore eu lieu. Il est nécessaire de l’engager avec l’ensemble des acteurs concernés. La proposition de loi Lefrand prévoit la mise en place d’une commission rassemblant ces acteurs, nous pouvons espérer qu’elle sera facteur de progrès.
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accidents et fonds de garantie
Expérience vécue en 2012 Personne gravement blessée sur une piste de ski par un imprudent (collision sévère) Ce dernier décline verbalement une fausse identité ‚adresse , n° de téléphone aux pisteurs secouristes qui ne lui demandent aucun preuve (CI , passeport..) le maire de la commune déclare (sic) que cette procédure est normale ; ce qui est faux puisque le responsable n” a pas été correctement identifié cf législation les diverses assurances de la personne blessée couvriront par la suite les frais médicaux.
Quant au préjudice lié à la fracture, il faudra que la personne blessée demande elle-même l’intervention du FG pour être indemnisée Ce cas n’est pas exceptionnel car à notre connaissance les maires des stations de montagne en France ne se sentent pas obligés de faire identifier les responsables d’accidents corporels dans leurs communes.…. Cette situation scandaleuse perdure