Créer une université de la Francophonie au Vietnam
Une université créée dans un pays émergent est une aide importante pour ce pays, au même titre qu’une aide économique. Mais elle a une action plus profonde et plus durable. Une université forme l’élite d’une nation.
Elle forme des hommes qui vont former d’autres hommes. Elle aide une nation à se construire elle-même. Créer une université dans un pays, c’est comme apprendre à un affamé à fabriquer une canne à pêche plutôt que de lui donner du poisson.
Des universités pour la francophonie
Par l’université se transmettent les valeurs d’une société. Les civilisations naissent et meurent. La civilisation aujourd’hui est portée par l’Occident (qui inclut le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, Singapour).
Anglais et langues locales
Dans le monde d’aujourd’hui, pour être réaliste, on ne peut pas ignorer la position dominante de l’anglais. Une université de la Francophonie ne peut pas ne pas lui faire une place. Il faudra sans doute aussi faire une place à la langue locale. Aujourd’hui, et pour l’avenir, on peut envisager d’enseigner en français, en dehors de la langue et de la civilisation française, les mathématiques, la gestion des entreprises, et au Vietnam, la médecine.
Mais une université de la Francophonie a bien sûr aussi pour ambition la défense de la langue française.
L’école française de mathématiques a une place éminente dans le monde. Un enseignement des mathématiques en français pourra se faire accepter, notamment au Vietnam, si l’on ne tarde pas trop, car le choc de la médaille Fields attribuée à Ngô Bao Châu en 2011 donne à la langue française un prestige considérable.
Pour la gestion des entreprises, la bataille contre l’Amérique sera rude. Mais les enseignements qui sont donnés à l’école des Mines ou à l’université Paris-Dauphine sont de qualité. Un problème difficile est celui des débouchés. Ce sont les entreprises françaises qui peuvent jouer un rôle en embauchant des étudiants issus de cet enseignement.
La francophonie au Vietnam
La réussite d’une université dépend de la qualité de ses enseignants, mais aussi de celle de ses étudiants. De ce point de vue, l’un des pays émergents où une université a le plus de chances de réussir est sans doute le Vietnam. La médaille Fields de 2011 est un arbre qui ne doit pas cacher la forêt.
Au Vietnam, il y a une tradition millénaire d’attachement aux études
Dans les grandes écoles et les universités françaises, nombreux sont les professeurs d’origine vietnamienne. Nombreux sont les Vietnamiens ou Français d’origine vietnamienne reçus dans notre École. C’est qu’au Vietnam il y a une tradition millénaire d’attachement aux études.
En 2002, notre camarade Y‑Lan Boureau a été reçue à l’École, la première de sa liste. Son cas est remarquable parce que quelques années auparavant elle avait obtenu trois premiers prix au Concours général en latin et en grec.
Sans rien oublier de la contribution paternelle (milieu universitaire), on peut noter que, par filiation maternelle, ses ancêtres au Vietnam remontent aux guerres contre les Mongols au XIIIe siècle, et depuis ont été reçus à tous les concours.
Au Vietnam, ces anciennes familles existent toujours et attendent seulement l’occasion de briller de nouveau. On peut aussi compter sur la ferveur générale de tout un peuple, pour que des capacités encore non détectées émergent de ses profondeurs. Une université de haut niveau au Vietnam aura de très bons étudiants.
De nombreuses universités existent déjà au Vietnam, dans les principales villes du pays. Mais la francophonie peut avoir l’ambition d’y créer une université qui, à terme, sera parmi les premières du monde.
Prestige de la médecine française
En ce qui concerne la médecine, au Vietnam l’école française a une longue tradition. C’est dans ce domaine que l’apport français est reconnu avec le plus de ferveur. Les rues à Hanoï, à Saïgon, à Danang, à Dalat et en d’autres lieux, portent encore les noms de Pasteur, de Calmette, de Yersin (le pasteurien qui a identifié le bacille de la peste).
Un site exceptionnel
Dalat et ses environs offrent sans doute le meilleur site pour l’implantation d’un ensemble universitaire ambitieux. À 1 500 mètres d’altitude, son climat est tempéré. Le cadre est séduisant pour enseignants et chercheurs. Le gouvernement vietnamien prévoit déjà d’y créer un pôle universitaire, le pôle du Lam Dong, dans lequel l’université de la Francophonie pourrait trouver sa place.
Du point de vue strictement français, Dalat a une valeur sentimentale. C’est un petit coin de France, un site découvert par Alexandre Yersin en 1893. La ville a été fondée par un décret du Gouvernement général de l’Indochine. Éloigné des centres d’activité traditionnels du Vietnam, Dalat est le lieu idéal pour créer de toutes pièces un pôle culturel pour toute l’Asie du Sud-Est.
La communauté polytechnicienne pourrait jouer un rôle
Dalat a déjà deux universités, celle qui porte le nom de la ville, et l’université Yersin. Mais elles ne sont pas à l’échelle de celles de Hanoï ou de Saïgon. Le site n’offre pas un environnement économique tout prêt à accueillir une entreprise qui s’y installe. Il faut tout créer : les logements pour les hommes, le support de la vie de tous les jours, les industries, les commerces, les activités artistiques et culturelles, etc.
La création d’une grande université à Dalat serait analogue à celle de Brasilia au Brésil.
Les difficultés du projet
Créer une université de la Francophonie à Dalat serait un projet grandiose qui remettrait en cause la politique de coopération de la France avec le Vietnam, parce que, sur le plan précis de la formation, il existe déjà une coopération sur un institut de mathématiques à Hanoï. Ce projet exigerait surtout d’immenses moyens, et bien sûr l’accord des autorités vietnamiennes. L’enthousiasme du côté vietnamien ne manque pas.
Au mois de mars 2011, l’Association Adaly1 (Amis de Dalat sur les traces d’Alexandre Yersin) a organisé deux journées de la Francophonie à Dalat, lors desquelles le président du Comité du Peuple pour la province s’est montré enthousiaste. Il a précisé que toutes les facilités seraient données à une université qui se créerait dans la province, ainsi qu’aux entreprises, vietnamiennes ou étrangères, qui viendraient y installer les infrastructures nécessaires.
Appel aux investisseurs privés
Mais le principal problème est le financement. Si l’argent public manque, on pourrait faire appel aux capitaux privés. Harvard, modèle pour les universités du monde, est bien une université privée, créée sur une initiative privée. Beaucoup d’instituts de formation supérieure et quelques universités privées existent au Vietnam. Dans un pays où chaque famille rêve d’envoyer ses enfants à l’université, la formation est une activité rentable.
À côté de l’enseignement il y a aussi le logement des enseignants et des étudiants. Si on leur concède ce secteur, des investisseurs au Vietnam seraient prêts à s’engager si l’entreprise est parrainée par la France. Le gouvernement vietnamien a créé un centre d’affaires international dans le Grand Hanoï avec d’impressionnants immeubles à louer. C’est un modèle dont on peut s’inspirer.
L’exemple des saint-simoniens
La communauté polytechnicienne pourrait jouer un rôle. Au XIXe siècle, les saint-simoniens, de filiation polytechnicienne, ont contribué au développement du Brésil, notamment par la construction des chemins de fer. Les Brésiliens n’ont pas oublié.
Une université qui gagne de l’argent ?
Une université qui gagne de l’argent peut être mal perçue. Mais si les capitaux privés lui permettent d’exister, pour le bien de la francophonie, de la France et du Vietnam, pourquoi rejeter l’idée ? Du reste, on pourrait limiter la concession à cinquante ans ou à cent ans, après quoi ce serait une fondation qui prendrait la place.
Pourquoi les polytechniciens n’investiraient- ils pas aujourd’hui dans la formation au Vietnam, qui est une entreprise rentable ? Qui de surcroît laisserait une trace durable. Les chemins de fer ont vite été dépassés par d’autres techniques. Une université vit, s’adapte et dure, perpétuant l’œuvre de la francophonie à travers les siècles.
Aujourd’hui que les économies développées sont en crise et que les pays émergents connaissent encore la croissance, un investissement dans ces pays est pour les premières une chance. La demande de formation dans ces pays va croître avec leur PIB, et à un rythme encore plus rapide.
Un investissement dans la formation dans ces pays rapportera en même temps qu’il contribuera à renforcer la paix dans le monde.
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1. ADALY (Amis de Dalat sur les traces d’Alexandre Yersin), courriel : adalyen [at] yahoo.fr. Présidente : Dr Anna Owhadi-Richardson.