CRISE ?
Serait-ce qu’en ces temps d’inquiétude obligatoire devant les cataclysmes annoncés – économiques, sanitaires – les gens se tournent vers les nourritures spirituelles ? En tout cas, l’édition phonographique ne se porte pas mal, et quelques disques témoignent, en cette rentrée, de sa vitalité et de sa capacité, inattendue, à se renouveler.
Deux pianistes
Piotr Anderszewski, bien connu des festivaliers, est un des rares pianistes qui sache combiner originalité d’interprétation et fidélité à la partition, comme dans sa version mémorable des Partitas de Bach commentées jadis dans ces colonnes1. C’est précisément avec la 2e Partita que s’ouvre l’enregistrement live de son concert récent à Carnegie Hall2, qui comporte également Carnaval de Vienne de Schumann, la Sonate opus 110 de Beethoven, Dans les brumes de Janacek, et Trois Danses hongroises du district de Csik, de Bartok. Ce type de programme éclectique permet de découvrir des pièces peu jouées que l’on n’irait pas rechercher ailleurs. Ici, outre le Carnaval de Vienne, brillant et moins intimiste et aussi moins connu que le Carnaval de Schumann, et enlevé avec un brio un peu distant, c’est la suite Dans les brumes qui vaut la découverte, la dernière des rares pièces pour piano de Janacek. Le meilleur du concert reste la 2e Partita, de toute évidence l’aboutissement d’un long travail de réflexion et de mise au point, superbe.
Le pianiste suédois Daniel Propper, spécialiste de la musique scandinave, a enregistré les Pièces lyriques (cahiers 8 à 10) et Impressions3 d’Edvard Grieg, montrant que la musique de ce dernier ne se réduit pas à son archi-joué Concerto pour piano. Ce sont des pièces épurées et un peu austères, pour la plupart d’inspiration folklorique, et qui témoignent de l’enracinement de Grieg à la fois dans le XIXe siècle et dans la tradition des Lumières du Nord.
Pergolèse par Abbado
La musique de Pergolèse, étoile filante dans la galaxie de la musique italienne du XVIIIe siècle (mort à 26 ans en 1736), est plus originale que celle du prolifique Vivaldi. On connaît sa Sonate pour violon dont Stravinski a tiré sa Suite italienne et le ballet Pulcinella, et on commence à connaître son Stabat Mater, que Claudio Abbado vient d’enregistrer avec son Orchestre Mozart et deux extraordinaires solistes, la soprano Rachel Harnisch et la contralto Sara Mingardo, ainsi que le Salve Regina avec la non moins extraordinaire soprano Julia Kleiter4. L’originalité de l’enregistrement d’Abbado, aussi précis et exigeant dans Pergolèse que dans Mahler, réside dans l’effectif réduit de l’orchestre (18 musiciens) et la transparence, la clarté qui en résultent. Le disque comporte en outre le premier enregistrement mondial du Concerto pour violon de Pergolèse avec, en soliste, Giuliano Carmignola, concerto plus classique, mais que l’on peut préférer à bon droit à ceux de Vivaldi.
Du tango au Dixieland
Le tango, à l’origine musique de bastringue, se joue aujourd’hui en grand orchestre symphonique (Barenboïm) et en musique de chambre (Kremer). C’est ainsi que le duo Cordes et Âmes – Sara Chenal, violon, et Olivier Pelmoine, guitare – a enregistré l’Histoire du Tango de Piazzolla, la Suite Buenos Aires de Pujol, et les Dances in a Madhouse du Californien Leisner5. C’est enlevé avec un brio communicatif, et aussi avec une précision et une rigueur technique qui font de ces pièces, déjà elles-mêmes des compositions très travaillées, des évocations au second degré, conférant au tango un subtil certificat de moralité.
Nos amis les Dixieland Seniors, que l’on peut entendre régulièrement au Petit Journal Saint-Michel, sont de retour au disque avec un troisième volume Mister Jelly Lord6. La formation a évolué au fil du temps, avec toujours deux fidèles de la promo 45, François Mayer au trombone et au chant et Jacques Napoly au banjo, Daniel Pélissier, clarinette, cornet, saxo, François Robinet, clarinette et jazzoflûte, Marc Chevaucherie, tuba, et Sandrik Davrichewy, piano. C’est toujours avec le même enthousiasme qu’ils jouent les thèmes de Kid Ory, King Oliver et autres Jelly Roll Morton. Allons, le bon vieux jazz traditionnel est bien vivant, et, avec les épatants Dixieland Seniors, il a même retrouvé une nouvelle jeunesse.
Jean Salmona (56)
1. 2 CD VIRGIN (2002).
2. 2 CD VIRGIN (2009).
3. 1 CD SKARBO.
4. 1 CD ARCHIV PRODUKTION.
5. CD SKARBO.
6. 1 CD DIXIE 03 (c/o D. Pélissier 06.09.81.86.00).