Croissance des entreprises : affaire de volonté plus que de conjoncture
Les entreprises ne peuvent se résigner à croître au rythme de l’économie. Leurs dirigeants doivent lever un à un les obstacles existants et réunir en interne les conditions nécessaires à une croissance soutenue : il en va de leur pérennité sur le marché, de l’avenir de leurs emplois salariés et de la fidélité de leurs actionnaires. Croître rapidement est nécessaire pour attirer et retenir les meilleurs talents, comme pour exploiter les gains de productivité.
C’est également une nécessité pour satisfaire les exigences des marchés financiers : une analyse du Standard and Poors 400 a montré récemment que 75 % des entreprises qui ont offert une rentabilité élevée à leurs actionnaires durant les dix dernières années le doivent à la croissance, et 25 % seulement à l’amélioration de leur rentabilité.
Seule une minorité des plus grandes entreprises répertoriées en 1955 par Fortune existe encore aujourd’hui : la plupart d’entre elles ont perdu leur indépendance, ou ont purement et simplement disparu. Ainsi à l’aube du XXIe siècle, une grande entreprise vit en moyenne quarante ans, ce qui représente l’espérance moyenne de vie d’un homme au Moyen Âge ! Se résigner à croître au rythme de l’économie est suicidaire.
Les obstacles à la croissance des entreprises sont réels, qu’il s’agisse de la conjoncture, des taux d’intérêt, de la stagnation du pouvoir d’achat qui handicape la consommation, de la réglementation, des charges sociales excessives…
Et pourtant on observe clairement que, dans un même contexte, certaines entreprises font progresser leur chiffre d’affaires et leurs parts de marchés, tandis que d’autres stagnent ou régressent. Dans ces conditions, le principal obstacle à la croissance n’est-il pas la conviction, partagée en interne au sein de l’entreprise, que l’on ne peut plus croître ?
Les obstacles à la croissance de l’entreprise sont souvent dans les esprits et dans les systèmes de management. Les indicateurs de performance et de mesure qui sont mis en place dans les entreprises qui ne pensent pas pouvoir croître deviennent de véritables freins à la croissance et à la saisie d’opportunités. Les ingrédients du cercle vicieux sont alors réunis. Quant aux sources pour aller de l’avant, elles résident en grande partie dans la méthode, l’imagination mais surtout la volonté.
Il n’existe aucune recette simple pour croître rapidement en période de croissance lente. Chaque entreprise doit prendre en compte des données qui lui sont propres, en fonction de la nature de son marché, de son histoire, de ses capacités de financement et de la nature de la concurrence à laquelle elle se trouve confrontée. Plusieurs directions peuvent cependant être rappelées ici.
Redécouvrir ses clients
La première stratégie pour retrouver les chemins de la croissance consiste à redécouvrir ses clients, c’est-à-dire à s’interroger sur les besoins qu’ils n’ont pas exprimés et dont ils n’ont pas encore conscience. C’est ainsi que L’Oréal a transformé le marché des laques, à bout de souffle, en créant avec Studio Line la catégorie des produits coiffants, un marché aujourd’hui dix fois plus important. De même, Bertelsmann a réussi le lancement de plusieurs magazines dans des segments considérés comme saturés, la presse féminine et la presse économique.
Par nature, les études de marché classiques identifient rarement les besoins non exprimés. Ils ne peuvent être découverts qu’en se demandant quels compromis les produits existants imposent aux consommateurs, pour ensuite essayer de les lever grâce à l’innovation.
Formulé autrement, il s’agit d’offrir simultanément des attributs jusque-là considérés comme totalement incompatibles. Ainsi Essilor avec les verres progressifs, le minidiscount qui combine proximité et prix, McDonald’s qui combine productivité et qualité de service, Legrand largeur de gamme et disponibilité, Sony walkman portabilité et stéréophonie ont effectué cette démarche avec succès.
Et si la consommation est faible et l’épargne est forte, il ne suffit pas de chanter la version « politiquement correcte » de La Cigale et la Fourmi, d’inviter les fourmis à devenir cigales. Il faut peut-être se battre contre l’épargne avec des talents commerciaux supérieurs, sachant que les banquiers et les assureurs déploient les leurs pour bénéficier du penchant actuel des Français pour l’épargne.
Se développer à l’international
Le développement international offre également des perspectives de croissance forte. Il s’agit d’investir dans les régions porteuses.
Dans ce domaine, bien du chemin reste à faire… Depuis quinze ans, les parts de marché françaises en Asie restent stables à 2 % contre plus de 5 % pour l’Allemagne et 15 % pour les États-Unis. Seules cinq des cent premières entreprises étrangères au Japon sont françaises.
D’autres régions du monde peuvent être choisies pour investir et se développer.
Si une monnaie forte ne présente pas que des avantages, il faut au moins en profiter pour investir agressivement à l’étranger et servir ces nouveaux marchés.
Le bilan pour l’économie française et les emplois indirectement induits sera favorable.
Repousser les frontières de l’industrie
Les entreprises peuvent également chercher à déplacer les frontières de leur industrie, en exploitant leurs compétences (technologie, marques, réseaux) au-delà de ce qu’il est classique de faire. C’est ainsi que Microsoft est passé des systèmes d’exploitation aux applications, puis aux réseaux. Mercédes a étendu sa gamme vers les voitures de petite taille. Telle ou telle banque s’est placée avec succès sur le terrain de la Bancassurance. Il s’agit dans tous les cas de s’efforcer d’exprimer sa stratégie en termes de compétences distinctives plutôt qu’en produits ou services offerts, et d’exploiter ses savoir-faire sans brider à l’excès leur champ d’application. Le défi consiste à trouver le juste équilibre entre focalisation et ouverture. Cela passe par une définition rigoureuse et une exploitation volontariste de la plate-forme de compétences de l’entreprise.
Tirer profit des déréglementations
Une quatrième voie consiste à exploiter les opportunités qu’offre la déréglementation… Depuis le début des années quatre-vingt, de belles réussites ont ainsi vu le jour dans le domaine des médias, à l’image de Canal + ou du réseau radio NRJ. Les services financiers, l’énergie, les transports ou les télécommunications : plusieurs grands secteurs se sont ouverts à l’initiative privée, et de nouveaux changements sont en cours en France comme à l’étranger. Indirectement ou directement, toutes ces déréglementations offrent des opportunités de croissance forte sur certaines étapes de valeur ajoutée ou certains segments de clientèle. Il est d’autant plus important de s’en préoccuper que les exclusivités nationales ne tiendront pas longtemps.
Concentrer des industries fragmentées
Cinquième piste, certaines industries recèlent un potentiel de concentration qui n’est pas encore complètement réalisé. La croissance des grands groupes agro-alimentaires, de distribution et de services a en grande partie emprunté cette voie. L’exploitation d’effets d’échelle, d’expérience et l’innovation leur ont permis de justifier les primes requises pour réaliser les acquisitions nécessaires.
Le potentiel est encore important. L’industrie pharmaceutique nous en donne des illustrations quotidiennes. Et ce n’est pas fini. La croissance par acquisition est source de vraie croissance, si elle est soutenue par la création d’avantages concurrentiels nouveaux et si l’intégration des sociétés acquises est réalisée avec rigueur et détermination.
Une volonté forte à partager en interne
Au-delà de ces pistes, pour que la croissance se réalise, encore faut-il mobiliser des ressources financières et humaines suffisantes. Les ressources humaines constituent le principal obstacle auquel sont confrontés les dirigeants d’entreprise. Il faut les développer, les mettre en réserve et allouer les meilleures sur ces pôles de croissance, même s’il peut paraître tentant de les conserver sur les activités existantes. L’organisation dans son ensemble doit être motivée par l’impératif de croissance. Cela implique notamment que les outils de mesure et de récompense de la performance soient parfaitement cohérents avec les objectifs de croissance et de prise de risque.
Le contexte économique au sein duquel évoluent les entreprises constitue naturellement un élément important de leur dynamisme. Mais les chefs d’entreprise doivent élargir leurs marges de manœuvre. Nombreux sont ceux qui s’y emploient. Le vrai défi consiste à maintenir un esprit de conquête sans renoncer à la rigueur dans la gestion du quotidien. Il consiste à se convaincre et convaincre ses collaborateurs que la croissance est un impératif vital et à combiner en permanence au sein de l’entreprise dynamisme et discipline sans laisser à l’un ou à l’autre la primauté. C’est vrai pour l’entreprise. Cela l’est également pour notre pays.