Croissance et environnement en Chine : un arbitrage difficile
La République populaire de Chine a connu un changement radical de politique économique à partir de 1978. Les réformes économiques intérieures de la Chine ont touché progressivement le secteur agricole, urbain-industriel et tertiaire à travers la transition d’une économie planifiée à une économie de marché. Elles se sont traduites par une intégration croissante dans l’économie mondiale (adhésion à l’OMC en décembre 2001 et renforcement des relations avec les pays d’Asie du Sud-Est et les pays africains).
La difficile articulation entre l’environnement et la croissance
La République populaire de Chine a connu un changement radical de politique économique à partir de 1978. En effet, les réformes économiques intérieures de la Chine ont touché progressivement le secteur agricole, urbain-industriel et tertiaire à travers la transition d’une économie planifiée à une économie de marché. Ces réformes se sont traduites aussi par une intégration croissante dans l’économie mondiale, comme en témoignent l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en décembre 2001 et le renforcement des relations avec les pays d’Asie du Sud-Est et les pays africains.
Après vingt ans de réformes les succès économiques sont remarquables : une croissance exceptionnelle tant par son ampleur que par sa durée (9 % par an avec des pointes à plus de 11 % dans plusieurs secteurs industriels), et une forte augmentation du commerce international et du flux entrant des investissements directs étrangers (IDE). En 2003, la somme des exportations et des importations a atteint 60 % du PIB, et depuis 2004 la Chine est devenue le pays recevant le plus d’IDE au monde.
L’amélioration des situations économiques a fait fortement diminuer la pauvreté et permis l’accroissement général des revenus et de la compétitivité économique. La Chine est désormais l’une des plus grandes économies du monde. Encore à la sixième place en 2005 elle est passée devant la France, le Royaume-Uni et devrait dépasser l’Allemagne en 2007 pour devenir la troisième puissance économique mondiale derrière les Etats-Unis et le Japon.
Néanmoins, bien que les politiques économiques soient plus efficaces, elles soulèvent de plus en plus d’inquiétudes sur le plan environnemental car la Chine est à la fois très peuplée et pauvre en matières premières dans un écosystème fragile. Selon les statistiques les plus récentes, 22 % de la population mondiale se concentrant dans ce pays possède seulement 11 % des terres cultivables, 4 % des ressources forestières et 5 % de l’eau douce du monde. Or, les activités économiques du pays, avant et après 1978, ont souvent été réalisées au détriment de l’environnement. Avec son effet de masse la croissance économique de ces cinquante dernières années s’est accompagnée d’une forte dégradation de l’environnement, de la qualité de l’air et de l’eau.
La Chine est actuellement le deuxième émetteur de gaz à effet de serre juste derrière les États-Unis, et dans beaucoup de grandes villes, la pollution dépasse largement les standards internationaux. Parmi les 338 villes possédant un système d’inspection de pollution aérienne, deux tiers des villes ont un taux de pollution considérablement élevé. Si 16 des 20 villes les plus polluées du monde sont chinoises, on estime également que dans les 11 plus grandes villes chinoises environ 50 000 décès prématurés chaque année sont dûs à la pollution. Globalement, la pollution atmosphérique coûte à la Chine 2 % à 3 % de son PIB, car les pluies acides engendrent des pertes supérieures à 110 milliards de yuan (13,3 milliards $) par an, selon des experts chinois.
En raison de l’industrialisation et de l’urbanisation rapide ainsi que de l’utilisation d’engrais et de pesticides pour l’agriculture, la Chine connaît également une pénurie d’eau potable, de graves problèmes d’érosion de la terre et de désertification. Les pluies acides liées aux problèmes de la pollution de SO2 touchent un tiers du territoire et le pays perd 740 000 hectares de forêts par année. Si aucune politique volontariste n’est mise en œuvre, la poursuite de la croissance et de l’urbanisation risque d’aggraver une situation déjà très préoccupante.
Malgré une croissance économique remarquable, presque tous les indicateurs économiques per capita en Chine sont encore très bas par rapport à ceux des pays développés (voir figure 2a), et ce, en raison de la taille de la population. La figure 2b suggère que la Chine est à l’étape préliminaire de l’industrialisation, alors que le Japon, la France et les États-Unis sont des pays postindustrialisés. Ainsi, la Chine doit toujours traverser la « montagne » de l’intensité industrielle, représentée ici par la Corée du Sud. Même si la solution pour la Chine afin de contourner le sommet de cette « montagne » demeure le progrès technique, nous ne pouvons pas anticiper une solution totale du problème de pollution.
La discussion sur la relation entre la croissance et l’environnement depuis trente ans a abouti à une hypothèse très connue souvent appelée la courbe de Kuznets environnementale (CKE). Une interprétation de cette hypothèse est que la pollution augmente d’abord avec la croissance économique au début du développement. Puis, lorsque le revenu atteint un certain seuil critique, cette pression environnementale s’inverse pour diminuer avec la croissance. Des analyses économiques prédisent le point de retournement où l’augmentation de la pollution se découple de la croissance économique à 5 000 $-8 000 $ de PIB par tête (Stern, 2004 ; Grossman et Kreuger, 1991, etc.). Puisque la Chine possède actuellement un niveau de PIB par tête de 1 200 $, cette hypothèse signifie-t-elle que les Chinois doivent continuer à supporter la détérioration de l’environnement pour s’enrichir ? En tenant compte du fait que la situation est déjà très grave, existe-t-il un danger que la capacité naturelle d’absorption de la pollution soit déjà atteinte en Chine avant qu’elle ne s’approche de ce point de retournement ?
L’apparition d’un découplage entre la dégradation de l’environnement et la croissance
Les faits montrent que le découplage entre la croissance économique et la détérioration environnementale s’est déjà produit en Chine à un seuil de PIB bien inférieur à celui prédit par l’hypothèse de CKE. Les graphiques de la figure 3 illustrent que les écarts entre la croissance économique et l’évolution de la plupart des indicateurs de pollution deviennent de plus en plus importants dans le temps. Alors, si le dynamisme de la situation environnementale en Chine montre une amélioration relativement tôt, quelles sont les sources de cette amélioration ?
Une analyse de décomposition sur l’émission industrielle de SO2 (He, 2005a) semble fournir quelques indices. Dans le graphique 4, les variations de l’émission de SO2 montrées par la ligne noire, sont décomposées en contributions de la croissance économique (effet d’échelle), des changements structurels (l’effet de composition) et des progrès techniques (effet technique). Il est évident que les variations relativement lentes de l’émission de SO2 par rapport à la croissance économique sont dues à la réduction de la pollution issue des progrès techniques. Ces derniers annulent en grande partie l’augmentation de pollution due à la croissance économique et à l’évolution de l’industrialisation.
Les limites de la mise en place d’un corpus réglementaire et législatif
Indépendamment des progrès techniques, les efforts de l’État dans les diverses mesures de contrôle de la pollution ne doivent pas être ignorés. Plusieurs études de la Banque mondiale ont déjà montré que la performance du système de contrôle de pollution en Chine est nettement plus efficace contrairement à la croyance populaire. Effectivement, un rapide développement d’un corpus réglementaire et législatif fut observé durant les trente dernières années.
La montée d’une conscience environnementale en Chine peut être décelée au début des années soixante-dix lorsque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a révélé pour la première fois les effets négatifs de la pollution sur la santé en Chine. En 1971, le premier organisme s’occupant de l’utilisation et de la gestion des eaux usées a ainsi été créé. La protection de l’environnement a été introduite dans l’agenda de l’administration de l’État en 1973. Ensuite, le gouvernement a créé en 1974 une agence d’État spécialisée dans la protection de l’environnement : la SEPA, soit en français, l’agence nationale pour la protection de l’environnement. De 1973 à 1978, sous les efforts de la SEPA et du Conseil des affaires de l’État, une série de politiques visant à protéger l’environnement ont été établies, comme « le système des trois simultanés », « le système de l’élimination avant la date limite », etc. En 1978, la Constitution chinoise était amendée par l’ajout du fameux article 11 soulignant l’obligation pour l’État « de protéger et d’améliorer l’environnement, ainsi que de prévenir la pollution et les autres formes de périls publics ».
La promulgation de la loi sur l’environnement lors de la 11e Assemblée populaire nationale (APN) en 1979 est, dans cette optique, un jalon important dans la construction d’un système légal de protection de l’environnement. Au cours des cinq années suivantes, les lois sur la protection de l’environnement marin, sur la prévention de la pollution des eaux et sur la prévention de la pollution atmosphérique ont été promulguées les unes après les autres. Parallèlement, durant la même période, le Conseil des affaires de l’État et la SEPA n’ont cessé d’établir des règles visant à améliorer la gestion de l’environnement. Ces dernières ont concerné la gestion des paiements pour les déversements, les études d’impact des nouveaux projets sur l’environnement, le système d’alerte des accidents de pollution, la gestion des comportements polluants des petites entreprises au niveau des cantons et des villages, etc.
Cependant, bien que la promulgation de ces différentes lois témoigne de la mise en place d’un cadre politique visant à protéger l’environnement, elle ne signifie pas pour autant l’application des lois et des règlements en réalité. Durant la période 1970–1990, la protection de l’environnement était certes souhaitable, toutefois la priorité du gouvernement et de la population chinoise demeurait la vigueur de la croissance économique et l’amélioration des conditions de vie.
Au cours des années 1990, la relation entre l’environnement et la croissance économique dans la stratégie du gouvernement chinois s’est complexifiée. D’une part, la croissance économique est passée d’une économie planifiée à une économie de marché qui offre à la Chine davantage de possibilités de croissance grâce au renforcement de sa compétitivité sur le marché mondial. D’autre part, l’accentuation de la dégradation environnementale et la pression exercée par la communauté internationale pour mieux contrôler la pollution ont conduit la Chine à prendre des mesures plus concrètes. Ainsi, l’évolution du cadre politique de contrôle de la pollution ne se traduit plus uniquement par une diversification des lois de prévention et de protection et un renforcement du pouvoir de la SEPA, mais aussi par la mise en œuvre de contrôles sur l’application des règlements et l’apparition des instruments économiques de suivi de la pollution. Au même moment, la Chine a commencé à assumer et même renforcer son rôle international dans le domaine de l’environnement ce qui s’est manifesté, entre autres, par la signature des conventions « environnement et développement » et de l’accord de Kyoto pour la prévention des changements climatiques et de la convention de Stockholm afin d’éliminer et limiter la production, l’utilisation et les rejets des polluants organiques persistants (POP).
À la suite d’une vingtaine d’années de développement, le corpus des lois de contrôle de la pollution en Chine est presque complet. Bien que celui-ci ait déjà aidé la Chine à réaliser, jusqu’à un certain degré, un découplage entre l’augmentation de la pollution et la croissance économique, il existe encore de nombreux problèmes d’efficacité des mesures environnementales. Les problèmes les plus flagrants sont le manque d’efficacité des mesures de contrôle et le fait que la plupart des méthodes utilisées sont celles d’une économie planifiée à laquelle il manque des incitations économiques et des initiatives privées. De plus, la Chine éprouve souvent de la difficulté à surveiller et punir les petites entreprises en faute. Également, la pénalité infligée aux grands pollueurs reste encore trop faible. En fait, les mécanismes de contrôle n’exigent des pollueurs que de payer la partie dépassant la norme, et s’il existe différents polluants, ils ne paieront que pour le polluant qui dépasse le plus la norme. Wang (2000) montre ainsi que le taux de paiement actuellement appliqué en Chine pour une unité de pollution est seulement égal à la moitié du coût d’investissement dans les technologies de dépollution et 1⁄10 du coût sur la santé publique. Donc, pour un producteur, polluer et payer les pénalités coûte moins cher que de se moderniser et réduire ses émissions.
Principaux problèmes du système de protection de l’environnement en Chine
Ce manque d’efficacité pourrait être expliqué par plusieurs raisons sociales, économiques et administratives.
En premier lieu, le caractère stratégique de l’environnement n’est pas vraiment pris en compte par le gouvernement chinois qui considère toujours que la croissance économique et l’enrichissement matériel sont prioritaires. Cela explique le fait que la promulgation des lois et des règlements n’entraîne pas forcément leur application et que la position administrative actuelle de la SEPA, même si elle s’améliore, reste toujours marginale par rapport aux autres ministères qui s’occupent des affaires économiques.
Deuxièmement, la mise en application de certaines politiques de protection de l’environnement repose aussi sur un compromis entre l’environnement et le bénéfice économique. Plutôt que d’appliquer de façon égale la législation à toutes les entreprises, le gouvernement chinois a souvent tendance à prendre en compte la capacité d’une entreprise à supporter ces mesures lors de leur application. La rigueur de la régulation environnementale sur une entreprise est aussi souvent assouplie en fonction du nombre d’employés. En outre, certaines politiques économiques vont à l’encontre des principes de la protection de l’environnement. Un bon exemple est que le prix de matières premières tels que le charbon et l’eau est toujours plafonné, ce qui a pour but de promouvoir certains secteurs industriels lourds souvent considérés comme stratégiques dans le processus de développement et d’industrialisation.
Troisièmement, la coopération entre les gouvernements centraux et locaux est insuffisante. Cela a pour effet que les gouvernements locaux appliquent avec beaucoup de souplesse les mesures de protection de l’environnement. Bien que l’importance de l’environnement fut déjà signalée par le gouvernement central dès 1990, les critères servant à évaluer la capacité des chefs des gouvernements locaux restent toujours fortement liés à l’économie : la croissance de PIB, la création de l’emploi, les exportations, l’entrée des IDE, etc. Puisque la structure administrative en Chine est similaire à un système fédéraliste, les différentes provinces se sentent en compétition de sorte que les gouvernements locaux ont souvent tendance à sacrifier l’environnement pour obtenir de meilleures statistiques économiques. On note très souvent la négligence voire même la dissimulation de la vérité sur les dégâts environnementaux dans les rapports gouvernementaux des provinces. Seulement quelques provinces déjà relativement riches et aisées, comme Shanghai, Jiangsu, Zhejiang, etc., commencent à vraiment s’intéresser au problème de l’environnement.
Par ailleurs, le non-achèvement d’un système juridique indépendant en Chine nuit au bon fonctionnement du système de contrôle, car les décisions peuvent être influencées par le pouvoir de négociation des entreprises, par les bénéfices commerciaux, par les activités de corruption et par les interventions du gouvernement. Même si dans plus de 90 % des cas, la décision d’un juge est acceptée par les parties concernées, les juges chinois admettent que leurs décisions sont prises en tenant en compte de facteurs tels que la capacité à payer les amendes et les interventions potentielles provenant du gouvernement. Pour les 10 % de cas restants, ils sont résolus par des médiations semi-formelles entre les régulateurs, les pollueurs et les victimes.
La nouvelle tendance du développement économique de la Chine pourrait faciliter l’amélioration de l’efficacité du système de protection de l’environnement, par l’apparition et la perfection des instruments de marché, l’ouverture et le renforcement de la conscience publique sur l’environnement. Malgré cela, nous ne pouvons pas ignorer quelques difficultés dont les causes profondes pourraient continuer à empêcher l’apparition d’une meilleure gestion de l’environnement en Chine.
- Le conflit entre le besoin d’un système législatif efficace et l’héritage de la philosophie confucéenne. Pour achever la construction de systèmes législatifs et juridiques et renforcer l’efficacité du contrôle de la pollution en Chine, le changement de la position subalterne des systèmes juridiques par rapport au gouvernement et la construction d’une véritable société de droit sont inévitables. Cependant, ceci bouscule l’héritage de la philosophie confucéenne, qui a guidé l’organisation du système politique en Chine depuis plusieurs milliers d’années et souligne la vertu du leader politique au lieu d’un système législatif efficace. Ainsi, le défi le plus important dans l’évolution politique et sociologique de la Chine consiste à gérer l’articulation entre la tradition idéologique et la construction d’une société de droit et de lois.
- L’accroissement des disparités régionales devient de plus en plus marquant en Chine en raison de la croissance économique exceptionnelle. Le système de contrôle de pollution étant souvent déterminé par l’aspect économique de la région elle-même, la disparité entre les différentes régions pourrait constituer un grand danger pour les provinces les plus pauvres, car elles pourraient sacrifier la qualité de leur environnement dans le but de stimuler leur croissance économique.
- L’amélioration du niveau de vie, l’urbanisation et l’accroissement de la demande pour des biens manufacturés sont des facteurs qui entraîneront nécessairement l’augmentation du trafic routier. Selon He et Roland-Holst (2005), la consommation quotidienne du transport deviendra la source de pollution la plus importante en Chine à partir de 2015. Par conséquent, encourager l’amélioration des transports publics dans les zones urbaines demeure un défi majeur.
- Finalement, selon l’hypothèse du « havre de pollution », la Chine, possédant un niveau de réglementation de protection de l’environnement relativement moins rigoureux, risque de devenir un havre de pollution vers lequel les pays riches auront intérêt à délocaliser leurs productions polluantes. Ainsi, face à un accroissement inévitable de la mondialisation, un autre défi pour le gouvernement chinois reste de bien arbitrer entre le bénéfice économique qu’il pourrait tirer de l’économie mondiale et les dégâts environnementaux qu’il pourrait subir.
Bref, une réforme plus profonde du système de contrôle de la pollution en Chine est toujours indispensable. Cependant, cette réforme n’influence pas uniquement l’aspect environnemental. Effectivement, ces mesures vont forcément entraîner des changements dans le domaine social, politique, économique et structurel, car une réforme efficace et réussie requiert la coordination des politiques dans ces domaines.