Crus bourgeois du Médoc, l’exemple de Château Poujeaux
Les crus bourgeois ont une longue histoire derrière eux : ils remontent au développement, depuis la fin de la guerre de Cent ans des propriétés viticoles des riches marchands de la Jurade de Bordeaux, bénéficiant des privilèges obtenus par ces “ bourgeois ” lors de la domination anglaise.
Ces crus connurent un bel essor au XIXe siècle, notamment sur les marchés d’Europe du Nord. Comme tout le Médoc, leur expansion fut compromise par la crise phylloxérique, puis par la crise de 1929. Dès 1932, cependant, à la demande de la Chambre d’Agriculture et de la Chambre d’Industrie et de Commerce de Bordeaux, des courtiers établirent une liste de 444 domaines ventilés en trois catégories ; crus bourgeois supérieurs exceptionnels, crus bourgeois supérieurs et crus bourgeois. Venu top tôt et dans un contexte marqué par la crise économique, ce classement fut vite oublié.
En 1962, les producteurs se regroupèrent dans un nouveau Syndicat des crus bourgeois, qui compte aujourd’hui 285 membres (sur un total de 419 crus bourgeois actuellement en production). L’entrée dans ce “club” est soumise à l’avis d’une commission d’une dizaine de membres. Pour être éligible, le domaine doit avoir une surface minimale de 7 hectares. La Commission contrôle la vigne, les cuviers et les chais et goûte les vins avant de prendre sa décision.
À la suite d’une décision de la CEE, la réglementation actuelle ne reconnaît plus qu’une seule mention pouvant figurer sur l’étiquette, celle de “ cru bourgeois ”, exit donc les “ supérieurs ” et “ supérieurs exceptionnels ”.
L’ensemble des crus bourgeois couvre plus de 7 000 hectares, soit près de la moitié du Médoc. Ils se répartissent sur deux appellations régionales : Médoc (50 % de l’AOC), Haut-Médoc (66 %) et six appellations communales : Listrac (70%), Moulis (85%), Saint-Estèphe (50%), Pauillac (10 %), Saint-Julien (15 %) et Margaux (25 %).
Dans le Médoc, les plus connus sont les Châteaux La Cardonne, Loudenne, La Tour de By, Les Ormes-Sorbet, Potensac et Tour Haut-Caussan.
Dans le Haut-Médoc, ce sont les Châteaux Bel Orme Tronquoy de Lalande, Citran, Lestage-Simon, Liversan, Hanteillan, Sociando-Mallet et Lanessan.
À Listrac, ce sont les Châteaux Clarke, Saransot-Dupré, Fourcas-Dupré et Fourcas-Hosten.
À Moulis, ce sont les Châteaux Biston-Brillette, Chasse- Spleen, Maucaillou et Poujeaux.
À Margaux, ce sont les Châteaux Bel Air Marquis d’Aligre, Labégorce-Zédé, Monbrison et Siran.
À Saint-Julien, ce sont les Châteaux Gloria, Moulin de La Rose, Terrey Gros Caillou et Lalande-Borie.
À Pauillac, ce sont les Châteaux Fonbadet, Lafleur- Milon et Pibran.
À Saint-Estèphe, enfin, ce sont les Châteaux Le Crock, Lilian-Ladouys, Les Ormes de Pez, Meyney, de Marbuzet, Haut-Marbuzet, Phélan-Ségur et Tronquoy-Lalande.
L’exemple du Château Poujeaux cru bourgeois à Moulis
Moulis fait partie de ces communes qui n’ont pas été retenues dans le classement de 1855. Ce dernier a classé entre premier et cinquième certains crus des communes de Margaux, Pauillac, Saint-Estèphe et Saint-Julien. Cependant, de l’avis unanime des experts et… du marché, des propriétés comme Poujeaux ou Chasse-Spleen ont largement la valeur d’un cru classé.
Le vignoble fut créé entre le XVIe siècle et le début des années 1800. Actuellement, sa superficie est de l’ordre de 50 hectares d’un seul tenant. L’âge moyen des vignes est de vingt-cinq à trente ans pour le Château Poujeaux et cinq ans pour le Château La Salle de Poujeaux, le deuxième vin de la propriété.
Rappelons que presque tous les grands châteaux produisent un second vin : Pavillon Rouge à Château-Margaux, les Carruades de Lafite à Château-Lafite… Généralement, comme on fait à Bordeaux des vins d’assemblage (plusieurs cépages sont assemblés à la différence de la Bourgogne où seul le Pinot Noir est cultivé pour les vins rouges), les propriétaires ont pris l’habitude de proposer à leurs clients un autre vin, issu du même terroir, mais aux vignes plus jeunes (replantées) ou à la maturité un peu moins parfaite que celle réservée au premier vin.
Obtenus à l’intérieur de la quantité maximale autorisée à être produite, ces vins, vendus à moitié prix, se boivent plus jeunes et sont une parfaite introduction aux très grands vins.
Le terroir de Poujeaux est constitué d’un sol sablo-graveleux. Il accueille un encépagement de Cabernet-Sauvignon à 45 %, de Merlot à 35 % et de Cabernet-Franc et de Petit Verdot à 10% chacun. Les vins vieillissent en fûts de chêne pendant dix-huit mois, la futaille étant renouvelée par tiers chaque année. La vendange est, bien sûr, manuelle et Poujeaux produit environ 300 000 bouteilles par an.
Voici nos commentaires de dégustation sur quelques vins produits par Château Poujeaux dans des millésimes récents.
Poujeaux 1990
La couleur est de type foncé, pourpre, presque noire. Olfactivement, le fruit est bien marqué, avec une dominante à noyau (prune/pruneau) caractéristique du Cabernet, et des notes épicées (poivrées). En bouche, l’attaque est souple et laisse très vite se dégager une sensation de puissance avec beaucoup de matière. Les tanins sont souples, pas encore totalement fondus. Des notes vanillées liées au bois sont présentes et se combinent très bien aux arômes de fruits noirs. Le vin possède un bel équilibre et la persistance, signe d’un grand vin, mesurée en caudalies (secondes), est très longue.
Château La Salle de Poujeaux 1993
(le Château La Salle de Poujeaux est le second vin du Château Poujeaux)
Le millésime 1993, sans atteindre la concentration de son frère aîné (Poujeaux 93), est très agréable. Moins concentré il est déjà prêt à boire et peut encore vieillir quatre-cinq ans. Au nez, on relève des notes vanillées avec des arômes de fruits noirs (cassis), bien mûrs. En bouche, les tanins sont encore présents, ne sont pas astringents, et donnent une belle matière (structure). Belle finale fruitée (prune).
Château La Salle de Poujeaux 1992
Le millésime 1992 est issu de tries sévères qui ont permis d’élaborer un très beau vin dans une année difficile. Du reste, le Château Poujeaux a gagné en 1995 la coupe des crus bourgeois, concours officiel où des oenologues et professionnels réputés désignent le meilleur vin sur trois millésimes (1990, 1991 et 1992).
La couleur est rouge grenat avec quelques signes d’évolution. En bouche, c’est un vin tendre et agréable, plein de fruits (rouges) et doté d’une belle vivacité (acidité). C’est le vin typique pour un plaisir immédiat bien que sa bonne structure tannique permette de penser qu’il pourra se conserver cinq ans sans problèmes.