Culture chinoise et management moderne
1. Diversité du monde chinois
Vu de l’Occident, la culture chinoise, avec ses cinq milles années d’histoire, évoque immuablement son caractère mystérieux, sa complexité, sa richesse et en même temps son inaccessibilité par un Occidental. L’individu chinois est souvent décrit comme respectueux, intelligent, travailleur, commerçant et introverti.
En réalité, la Chine et sa culture cachent derrière leur apparente uniformité une réelle diversité qui elle-même évolue selon les degrés du développement économique des régions.
Déjà à la base, les langages diffèrent considérablement d’une région à l’autre, par exemple entre le Nord et le Sud où le cantonnais n’est pas compréhensible par un Pékinois. Le mandarin est alors devenu la langue véhiculaire pour communiquer entre régions.
Histoires, conditions climatiques et géographie ont forgé des caractères spécifiques des gens. Par exemple, on dit que :
- le Shanghaïen est sophistiqué, commerçant, ouvert aux nouvelles idées,
- le Pékinois est plutôt politique, cultivé,
- le Cantonnais est très commerçant, gourmet
- le Harbinnais est chaleureux, généreux.
Le plus grand succès de développement économique de certaines régions du Sud et de la côte, par contraste avec les régions du Nord, trouve une grande partie de son explication dans ces différences de mentalités régionales. Un investisseur étranger en Chine doit élaborer sa stratégie sur la base d’une connaissance précise de la région ou de la ville telle que :
- les caractères des gens et leur histoire,. le niveau d’éducation,
- le degré de développement économique,
- la faculté et la facilité de communication avec l’extérieur.
Une expérience n’est pas forcément transposable d’une région à l’autre.
2. Comment est managée une entreprise chinoise
Intéressons-nous maintenant à la vie d’une entreprise chinoise et essayons de comprendre comment fonctionnent habituellement les différents registres du management.
Le périmètre du management d’une entreprise chinoise
À la grande différence du management occidental, le périmètre du management d’une entreprise chinoise comprend non seulement les aspects classiques du management à l’occidentale comme la motivation, l’évaluation, la promotion, la sanction, la formation, etc., mais également tous les aspects de la vie d’une communauté comme la santé du personnel, les mariages, le logement, le planning familial, la scolarité des enfants, les vivres pour l’hiver, les fêtes et récréations, etc.
L’entreprise est comme une famille, elle doit s’occuper et se préoccuper de la vie de chacun de ses membres.
L’environnement d’une entreprise chinoise
Le management d’une entreprise chinoise s’inscrit dans un environnement souvent interventionniste : par le parti qui gère la promotion des cadres principaux, par le bureau de supervision municipal qui est la tutelle politique et par la société mère qui enfin représente l’actionnaire. Cela exige un vrai talent de diplomate de la part du management.
L’organisation
L’organisation d’une entreprise chinoise dans son apparence ne diffère pas de celle d’une entreprise occidentale, tandis que son fonctionnement peut en être complètement opposé.
Tout d’abord, une organisation d’une entreprise chinoise en cache toujours une autre, l’organisation du parti communiste. Cette dernière n’est jamais explicitement indiquée sur l’organigramme, le parti impose des procédures de fonctionnement et joue un rôle prépondérant dans bien des aspects comme la promotion, la formation, les problèmes sociaux, les sanctions. Certains personnels cumulent les fonctions de l’entreprise et du parti, ce qui leur confère une position plus importante que ne l’indique l’organigramme.
À cela s’ajoute, comme dans de nombreux pays, l’organisation syndicale, qui vient se superposer à l’organisation de l’entreprise. Le responsable du syndicat, généralement un membre du parti, doit bien sûr protéger les intérêts du personnel tout en se soumettant aux règles du parti.
Le rôle du directeur général
Il est le père de famille. Il doit s’occuper des problèmes de haut en bas, appelons ça le management vertical. Il doit contrôler tout spécialement la finance et le personnel, il n’y a pas de délégation véritable. Il est accessible par tous les échelons de la hiérarchie, le phénomène de by-pass est courant.
Il est censé être compétent dans tous les domaines, capable d’apporter toujours une solution à une question posée. Il doit assurer une présence forte, être au courant de tout et aussi jouer le rôle du policier de temps en temps.
La communication
Dans la communication d’entreprise, la recherche de la vérité n’est que secondaire, l’important est de faire passer le message. Cacher la vérité n’est pas condamnable et mentir est admissible lorsque les circonstances l’exigent.
L’accès à l’information est un privilège et même une faveur (voir plus loin).
Le middle management
Du fait de l’omniprésence du directeur général, le middle management se trouve souvent dans une situation qui le met devant le fait accompli ; un subalterne peut justifier une décision sans consulter son chef puisqu’il a directement consulté le directeur général. Ce dernier peut également donner une instruction directe à un subalterne sans passer par les échelons intermédiaires.
Le middle management a un poids relativement faible dans le processus de décision, sa place n’est pas toujours confortable. Outre la pression de la hiérarchie, il est en plus soumis à une pression venant du bas quelquefois plus redoutable.
La délégation
Elle est peu pratiquée : le supérieur hiérarchique a peur de perdre le contrôle ou encore, d’être mis en « sustentation ».
La motivation
Pour déclencher la motivation, il faut que l’exécutant arrive à identifier un intérêt réel : une récompense financière, l’obtention d’une promotion ou d’une formation, l’adhésion au parti, etc. La motivation sera encore plus forte si, en plus, il y a une forme de plaisir associée à la tâche. Par contre, offrir une plus grande responsabilité n’est pas nécessairement motivant, il y a là la peur de mal faire, ce qui ferait perdre la face.
L’évaluation
Elle est à double sens : la hiérarchie évalue les collaborateurs et les collaborateurs évaluent leur chef.
La promotion
Elle n’est pas nécessairement basée sur la compétence mais sur la capacité d’être bien vu par les échelons inférieurs et donc par la capacité de rassembler. Ce qui peut être pervers.
La sanction
L’employé commettant une faute n’est pas en soi systématiquement sanctionné, le supérieur hiérarchique s’en porte quelquefois responsable pour montrer son sens de protection. Il est souvent plus important de réduire rapidement les conséquences négatives d’une faute afin de ne pas faire perdre davantage la face de l’entreprise en même temps que celle de l’employé concerné. Le traitement d’une sanction n’est pas toujours rendu public.
À l’inverse, il arrive aussi qu’une sanction fasse l’objet d’une surcommunication au personnel. Dans ce cas, la direction veut passer un message clair sur une dérive non souhaitée, elle tire la sonnette d’alarme en sacrifiant la face d’un fautif, c’est une action préventive.
La faveur
Pratique courante, un collègue qui offre une faveur à un autre collègue attend en retour un service, le supérieur qui offre une faveur à un subalterne (par exemple offrir une formation) attend une plus grande fidélité de celui-ci. Cela peut aller jusqu’à une forme d’exploitation sentimentale.
La confiance en l’autre
Elle est souvent liée à un besoin du moment, elle est donc souvent temporaire. Lorsque ce besoin disparaît, disparaît aussi la confiance qu’on a pu porter à l’autre… et les chances de l’autre d’espérer une faveur en retour.
La confiance reste par contre réelle, voire éternelle, dans une relation à l’intérieur d’une famille.
3. Vers un management moderne aux caractéristiques chinoises
Ce tour d’horizon dans une entreprise chinoise a permis de mieux apprécier l’essentiel du management à la chinoise et comment les valeurs de la culture chinoise agissent sur le comportement dans l’entreprise. Nous pouvons constater qu’il existe de nombreuses contradictions, voire d’incompatibilités entre le management moderne et la culture chinoise.
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L’expérience d’une société commune entre Chinois et Occidentaux ressemble à une belle aventure car il s’agit de greffer, et non pas de créer, un système de valeurs du management moderne à un système de valeurs existantes dans le personnel apporté par le partenaire chinois.
À partir de l’expérience de Saur International à Harbin et à Shanghai, deux types de valeurs ajoutées doivent être apportés par le partenaire étranger dans une opération de société commune :
- des valeurs « non négociables » : objectif de profit, transparence des comptes, qualité de produit, protection des intérêts des actionnaires, etc. C’est l’action au niveau du conseil d’administration ;
- des valeurs managériales : le respect de procédures, la délégation, la bonne circulation de l’information, la tenue des réunions régulières et la production des comptes rendus, l’interface avec les actionnaires, etc. C’est l’action au quotidien au niveau d’une direction générale sino-française intégrée.
Par ailleurs, n’ignorons pas l’évolution rapide de la société chinoise et son incidence sur le management de l’entreprise :
- mise en faillite des entreprises d’État, le critère de profit devient la règle,
- apparition des chômeurs, diminution voire disparition du rôle de l’entreprise protectrice,
- naissance d’entreprises privées qui ont tendance à pratiquer un capitalisme sauvage et accentuation par le fait que le pays n’est pas un État de droit,
- atomisation de la famille, l’individu doit sortir encore plus de son cocon familial,
- augmentation de la liberté individuelle, apparition de la classe moyenne, ce qui devrait favoriser un middle management moins effacé.
Tout ce grand bouleversement que la société chinoise est en train de vivre profitera certainement aux plus talentueux qui sauront associer avantageusement les valeurs de la culture chinoise au concept du management moderne.