Curiosités
La curiosité intellectuelle – vouloir comprendre – dérive d’un besoin aussi fondamental que la faim ou la sexualité : l’énergie exploratrice.
Arthur Koestler, Le cri d’Archimède
Jadis, tout homme cultivé qui pouvait se l’offrir avait un « cabinet de curiosités » où ses amis pouvaient admirer des objets rares et généralement exotiques. Sortir des sentiers battus, pour les éditeurs de musique enregistrée, relève de l’exploit : faut-il publier un énième enregistrement des Ballades de Chopin, ou un disque improbable, pari sur l’intérêt du public ? Les quatre enregistrements qui suivent, intéressants à plus d’un titre, devraient éveiller… votre curiosité.
Brahms aujourd’hui
Sous ce titre, un disque récent rassemble les essais de trois compositeurs contemporains – Philippe Hersant, Nicolas Bacri, Graciane Finzi – inspirés par les trois Sonates pour violon et piano de Brahms, joués par la violoniste Agnès Pyka et Laurent Wagschal au piano . La musique de chambre de Brahms – indéfectiblement tonale et romantique – se prête particulièrement bien à cet exercice 1 : comment Brahms aurait-il écrit s’il avait connu Debussy, Bartók, Prokofiev et Art Tatum ? Nos trois compositeurs, qui ont une culture et un métier de haut niveau, se tirent avec honneur et brio de cet exercice, sans échapper – et c’est bien ainsi – aux évocations de Debussy, Prokofiev et même Ravel.
1 CD KLARTHE
Bach Reworks
Dans le même esprit, le pianiste islandais Víkingur Ólafsson, qui s’est illustré par ses interprétations de Bach, a enregistré sous ce titre des pièces de divers compositeurs contemporains, notamment nordiques, inspirées par Bach. Contrairement à Busoni, qui transcrivait simplement Bach en multipliant les notes, transformant chaque pièce transcrite en une œuvre orchestrale… pour piano, les pièces enregistrées ici sont sobres et minimalistes. Une vision intéressante du monde de Bach vu par l’Europe du Nord.
1 CD Deutsche Grammophon
Quatuor Ardeo : métissage
Les compositeurs contemporains, confrontés à la triste évidence du « tout est dit », ont diverses façons d’innover. Jouer sur l’instrumentarium en est une. C’est ce qu’a choisi George Crumb qui, en pleine guerre du Viêtnam, a écrit Thirteen Images from the Dark Land, chant funèbre fondé sur un métissage Orient-Occident, qui associe au quatuor classique des instruments tels qu’harmonica de verre, tam-tam chinois, etc. Échappant aux canons auxquels nous sommes habitués, Crumb joue non sur les structures mais sur l’évocation poétique : écouter sans chercher à analyser et se laisser envahir.
Sur le même CD, des pièces de Purcell et Monteverdi et, de Schubert, le très beau Quatuor Rosamunde et la transcription de deux Lieder.
1 CD KLARTHE
Hendrik Hofmeyr
Last but not least, une véritable découverte : celle du compositeur d’Afrique du Sud Hendrik Hofmeyr dont un disque récent ‑présente, sous le titre Partita Africana, six pièces pour piano, flûte et piano, violon et piano, vibraphone et piano. Avouons nous être désintéressé des ‑références africaines de ces pièces : la vraie musique se passe d’explications. Et c’est la divine surprise : voilà un compositeur majeur, inconnu – ou presque – en Europe, qui ne relève d’aucune école et dont la musique, tonale, remarquablement construite, procure un véritable plaisir d’écoute. On attend avec impatience que l’on nous montre d’autres faces de sa musique, symphonique en ‑particulier. Plus qu’une curiosité, une ‑révélation.
1 CD TRITON
1. Lors d’une soirée Jazz X au Club Lionel Hampton du Méridien Étoile, Jean-Marc Phelippeau (89), Frédéric Morlot (2001) et l’auteur de ces lignes avaient déjà improvisé sur un Intermezzo de l’opus 119 de Brahms.