Daniel Schwartz (37), fondateur de l’épidémiologie moderne
Unanimement considéré comme le fondateur de l’épidémiologie française moderne, Daniel Schwartz a créé le premier laboratoire de recherche dédié à cette discipline au début des années 1950 et fondé une école dont les élèves ont couvert tous les champs de la médecine ; il a apporté des contributions importantes, aussi bien sur le plan médical que sur le plan méthodologique ; enfin, il a formé à la recherche épidémiologique, et même au-delà à la démarche scientifique, des dizaines de milliers de médecins et de biologistes. Son œuvre a été rappelée dans un article précédent de La Jaune et la Rouge (Lellouch et col., janvier 2010).
Daniel Schwartz, sorti dans le corps des « manufactures de l’État », avait tout de suite manifesté son intérêt pour la biologie, végétale d’abord, à travers l’étude des maladies de la plante du tabac. Il comprend que le vrai sujet, ce sont les maladies que cause le tabac. On est alors encore dans l’ignorance à ce sujet. Ce n’est qu’en 1950 que paraissent les premières études cas témoins sur les cancers des bronches et l’usage de la cigarette. Leurs résultats sont vivement contestés, par ceux qui ne croient pas à la démarche statistique ; par ceux qui ne jurent que par l’expéri mentation animale (incapable d’adresser ce problème); par l’industrie du tabac. Mais ces études convainquent Daniel Schwartz, et il va en France, en rejoignant l’institut Gustave-Roussy à Villejuif, apporter sa contribution au sujet.
L’épidémiologie moderne est en marche : les premières études de cohortes (on suit prospectivement une population dont on connaît le détail des caractéristiques au temps zéro de ce suivi, et on observe l’arrivée de cancers en relation avec ses caractéristiques de départ), se lancent : des milliers de sujets vont être suivis en détail pendant des années (40000 médecins anglais par Doll, 188000 volontaires de l’American Cancer Society par Hammond). Daniel Schwartz va à ses débuts se lancer avec succès dans la compétition internationale en ce qui concerne l’étude de la relation entre tabac et cancer des bronches. Il apportera des arguments importants sur la causalité de cette relation. Mais, plus généralement, on pressent que ce nouveau champ de la recherche médicale va s’étendre, car il est à même d’identifier des facteurs de risque des grandes maladies qui ne peuvent être découverts par les approches expérimentales ou cliniques.
Les études de cohortes vont coûter très cher, et nécessiter le développement de méthodes statistiques complexes, certaines nouvelles. C’est ce que comprend tout de suite Daniel Schwartz qui saura persuader des décideurs variés d’entrer dans ce nouveau champ de recherche. Ensuite, il recrute à la fois des médecins de qualité et des statisticiens-mathématiciens, plusieurs X notamment (à cette époque, la France, si féconde en bons mathématiciens, était peu dynamique dans le domaine de la statistique). Conscient des lacunes en formation en statistique, Daniel Schwartz a beaucoup investi dans l’enseignement de la statistique, non seulement à l’intention de ses collaborateurs directs, mais surtout à celle des médecins, chercheurs et cliniciens.
En médecine, c’est bien entendu dans le domaine de la thérapeutique que les affirmations non prouvées peuvent faire le plus de mal, coûter le plus d’argent comme on le constate toujours aujourd’hui. C’est pourquoi sa recherche méthodologique concerna en priorité l’épidémiologie expérimentale, c’est-à-dire l’expérimentation humaine dans laquelle l’évaluation de l’efficacité d’un traitement par rapport à un autre est opérée par la constitution de deux groupes de sujets, désignés par tirage au sort. La recherche concerne les schémas expérimentaux (qui sont conditionnés par les préoccupations éthiques) et les méthodes d’analyse des données. Daniel Schwartz a donné plusieurs contributions extrêmement importantes, notamment sur l’impact, en termes de planification et d’analyse, de la différence entre ce qu’il a appelé les essais « explicatifs » (destinés par exemple à comprendre le mécanisme d’action d’un nouveau traitement) et les essais « pragmatiques » (destinés à évaluer si – dans les conditions pratiques – un traitement est meilleur qu’un autre). Ses travaux, continuellement cités, ont été traduits notamment aux États-Unis.