Dans le vent solaire
Le Laboratoire de Physique des Plasmas (LPP) est le principal laboratoire français dans le domaine des plasmas, avec aujourd’hui plus d’une centaine de personnes, réparties entre Palaiseau et Jussieu. Matthieu Berthomier y est responsable d’une contribution essentielle à la mission Solar Orbiter.
Je suis issu de l’Université Pierre-et-Marie-Curie et j’ai fait ma thèse au Centre d’étude des environnements terrestres et planétaires (CETP) : c’était un laboratoire du CNRS issu de l’ancien Cnet de France-Télécom qui était au départ centré sur les problèmes de propagation d’ondes dans l’ionosphère terrestre, puis s’est étendu progressivement à la magnétosphère et enfin à l’espace extraplanétaire. Les équipes du CETP travaillant sur ces plasmas spatiaux et celles du Laboratoire de Physique et Technologie des Plasmas de l’X ont formé en 2009 le LPP sous tutelle principale de l’X, avec une implantation à l’École et à Sorbonne-Université.
Champ magnétique et plasmas
Le champ magnétique joue un rôle fondamental dans l’étude des plasmas en astrophysique. Il était déjà au cœur de ma thèse en 2000, qui portait sur les phénomènes d’accélération de particules le long du champ magnétique terrestre à l’origine des aurores boréales. Au départ, j’étais plutôt physicien théoricien, m’intéressant aux phénomènes non linéaires dans les interactions entre ondes et particules dans les plasmas magnétisés. Mais lors de mon post-doc à Berkeley, j’ai été en contact avec des spécialistes de l’instrumentation spatiale. Et j’ai donc poursuivi dans ce domaine à mon retour en France, avec Jean-Jacques Berthelier (60), qui était responsable des spectromètres plasmas pour les sondes spatiales au CETP.
Le vent solaire
Le projet Solar Orbiter consiste à aller observer le soleil au plus près pour comprendre le mécanisme d’émergence de son champ magnétique et du vent solaire. L’émergence de ce champ s’accompagne de l’émission de particules énergétiques et provoque des éruptions de matière sous forme de gaz ionisé. Ce plasma chaud que le soleil envoie à grande distance dans l’espace est appelé vent solaire. Ce vent est extrêmement variable puisque sa vitesse peut varier de 300 à plus de 1 000 km/s. Pour comprendre l’émergence du champ magnétique et l’origine du vent solaire, le satellite Solar Orbiter emporte deux types d’instruments : des télescopes pour observer en détail la surface solaire ; et des instruments de mesure in situ des particules (électrons, protons et ions lourds) et des champs électromagnétiques.
Au plus près du Soleil
Pour atteindre ces objectifs, il y a deux conditions à remplir. La première est que le satellite soit mis en co-rotation, au moins partielle, avec le Soleil. Il existe en effet une différence de vitesses de rotation à la surface du Soleil, qui n’est pas un corps solide. Le Soleil tournant plus rapidement dans le plan de l’écliptique, si le satellite reste placé dans ce plan, il n’est pas assez rapide pour observer durablement une zone donnée du Soleil. Il faut donc sortir du plan de l’écliptique et venir se placer à une latitude plus élevée, typiquement vers 30–35° de latitude.
La deuxième condition est de s’approcher suffisamment du Soleil pour observer un vent solaire « originel » encore peu perturbé par des effets de propagation : à son périhélie, Solar Orbiter sera ainsi à environ 42 millions de kilomètres du Soleil (moins d’un tiers de la distance Terre-Soleil). Cela pose évidemment des problèmes de tenue à des conditions extrêmes de température et d’exposition aux particules solaires. À noter que la mission Parker Solar Probe de la NASA à laquelle le LPP est aussi associé s’approchera encore plus près de la surface du Soleil, à un peu plus de 6 millions de kilomètres.
Quelle est l’origine du champ ?
La mission Solar Orbiter abordera quatre grandes questions scientifiques. La première porte sur l’origine du champ magnétique, qui reste mystérieuse. On sait que les photons créés dans le cœur par les réactions de fusion mettent des milliers d’années pour traverser la zone radiative qui l’entoure. L’énergie finit par s’échapper au niveau de la zone convective, pas très loin de la surface : cette zone est le lieu de mouvements de plasmas, qui génèrent par « effet dynamo » le champ magnétique. Ce dernier s’échappe de la surface, par exemple au niveau des tâches solaires. En observant le Soleil depuis les hautes latitudes, Solar Orbiter va acquérir des informations sur le magnétisme solaire qui font actuellement défaut aux modèles de dynamo solaire.
“On ne comprend toujours pas la variabilité du vent solaire.”
Champ magnétique et éruptions solaires
Ensuite, le champ émerge de manière chaotique et assez imprévisible lors des éruptions solaires. Dans certains cas, ces éruptions s’accompagnent d’importantes éjections de matière. Le vent solaire est alors particulièrement dense et son impact sur l’environnement terrestre en est décuplé. En comprimant fortement la magnétosphère qui protège la Terre, ces éjections coronales de masse provoquent des orages magnétiques. Ces orages ont pu aller par le passé jusqu’à détruire des réseaux de distribution d’électricité. Régulièrement, ils perturbent les communications des systèmes de type GPS ou Galileo, avec des implications aussi bien sur les applications militaires (guidage de missiles…) que civiles. Solar Orbiter va nous aider à comprendre la naissance et l’évolution dans l’espace interplanétaire des éjections coronales de masse et à savoir identifier celles qui auront un impact sur notre environnement.
Lors des éruptions solaires, il y a aussi une forte production de particules énergétiques (dont des électrons de plusieurs MeV), qui pénètrent assez loin dans l’atmosphère terrestre, ce qui est nocif pour les personnels naviguant fréquemment soumis à ces phénomènes, mais aussi ce qui présente des risques pour les satellites. Aussi bien pour l’aviation civile que pour sauvegarder des moyens spatiaux dont notre société dépend de plus en plus, il est essentiel de pouvoir protéger les personnes et les satellites vis-à-vis de ces évènements en comprenant quand, où et comment sont produites ces particules.
Pourquoi le vent solaire varie-t-il tant ?
Enfin, et c’est proprement mon domaine de recherche, il y a le vent solaire lui-même. L’existence de ce vent, postulée en 1958 par Eugene Parker, a été confirmée dès le début de l’ère spatiale. Mais on ne comprend toujours pas sa variabilité, avec des accélérations qui peuvent aller jusqu’à plus de 1 000 km/s. Solar Orbiter aidera à comprendre ce phénomène et à le relier à la variation du champ magnétique observé à la surface du Soleil.
Ma contribution personnelle à cette mission réside dans la conception du système de détection du spectromètre d’électrons. Ce système intègre un circuit électronique durci aux radiations unique en son genre, qui a aussi été utilisé par la NASA pour la sonde Parker Solar Probe. Le LPP a aussi conçu l’analyseur de bord des mesures électromagnétiques faites par l’instrument RPW (radio and plasma waves). Cet analyseur permet de réduire significativement la quantité de données à transmettre vers la Terre. RPW est le seul instrument à responsabilité française. Il a été développé sous la direction du Cnes et de l’observatoire de Paris-Meudon. Pour le LPP et ses tutelles, cela a représenté dix ans de travail et un budget d’environ 10 M€.